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C’est certain, tout immigrant qui débarque à Montréal passera forcément une étape de québéquisation. Elle sera plus ou moins longue selon le quartier et les gens que tu fréquentes, on s’entend.
Le truc, tu me diras, c’est que n’importe quel immigrant dans n’importe quel pays passe forcément par une étape similaire. Et c’est parfois pire si tu considères le lot de touristas qui s’offrent à toi par certaines régions.
Ok tu as raison, mais au Québec, c’est quand même pas pareil. Voila pourquoi.
Prenons l’expérience du point de vue d’un français.
C’est plus drôle, parce que le gus, quand même, a pris l’avion avec la joyeuse idée de débarquer dans une contrée remplie de gens qui parlent français comme lui, avec une culture franco-française comme lui, puis un accent bizarre, pas comme lui.
En fait, beaucoup s’attendent à atterrir dans un genre de grand village gaulois qui résiste à l’imposante culture nord-américaine. Ils n’ont pas tort. Ils n’ont pas raison non plus.
La réalité est toute autre, et le choc culturel monumental. Accroche-toi, on commence la liste des épreuves à relever pour une québéquisation réussie.
1. L’hiver
Sérieux, tu croyais VRAIMENT que ton manteau Zara sur trois couches de pulls te préserverait des joies du froid hivernal?
En même temps, le truc marrant, c’est que nous les français faisons partie de la population la plus facilement repérable à Montréal, dès le mois d’octobre. C’est simple, pour nous trouver, il suffit de chercher les seuls individus emmitouflés dans un manteau prévu pour résister par -30 degrés lorsque dehors il en fait 5.
2. La parlure
Oui, au Québec on parle français. Oui, notre tête d’ahuri, quand on se retrouve pour la première fois mêlé à une conversation entre Québecois vaut largement le détour. Puis ça s’arrange.
D’abord, t’as l’air d’un cave, surtout la première fois où tu apprends que non, « tabernacle », ça ne se dit pas au Québec.
Puis tu t’habitues, et tu y prends goût, et arrive le jour où sans t’en apercevoir, tu te mets à ponctuer la moitié de tes phrases par un « lô », et où tes séances de Skype avec la France prennent une tournure d’étude linguistique :
« Ouahh la vache t’as pris l’accent!
-Trop pas, j’me québéquise. »
3. La poutine
Ahhh quel bonheur de voir et d’entendre un français sur l’arrivée, lorsque tu lui énumères avec délectation les ingrédients de la poutine nationale. C’est bizarre, ça n’a pas l’air de lui faire tellement envie, peut-être parce que 90% des mots utilisés dans cette description contiennent à eux seuls 90% de matières grasses.
Mais quel bonheur aussi de le voir attablé pour la première fois devant son assiette, les yeux ouverts comme des soucoupes devant le plat copieux que l’on vient de lui servir.
Et quel bonheur, enfin, de le croiser quelques mois plus tard, avec une petite bedaine dont on soupçonne l’origine.. à moins qu’il ne s’agisse de la bière.
4. l’aréoport
Voila, si les français prononcent « aéroport », pour les québécois, en revanche, c’est une autre affaire. Ici, c’est « aréoport », vous avouerez que c’est classe et ça change tout, vraiment. Qui n’a jamais un jour rêvé de se sentir comme un Serge Karamazov ou une Odile Deray?
Oui, parce qu’on va pas se mentir, quand on entend le mot prononcé pour la première fois, une seule réplique occupe notre esprit: « Aréoport de Nice. Deux minutes d’arrêt. » Et à ce moment-là, on remercie le Québec de faire honneur à un monument du cinéma français, et on se sent un peu plus chez nous tout à coup.
5. Vin et Fromage
Je revois ta face et tes yeux grand ouverts, lors de ta première visite d’une SAQ, au moment de baisser le regard vers les étiquettes de prix. Comment pouvais-tu savoir? Comment pouvais-tu prévoir que ton idée de soirée vin et fromage n’était pas si bonne que ça finalement?
Voila donc une des premières leçons que tu as appris en arrivant ici : ces denrées-là sont chères et précieuses.
Puis, quand tu auras essayé plusieurs fois l’alternative des caves à vin de dépanneurs, tu finiras par capituler face aux maux de tête des lendemains de veille : Et merde, après tout, la Pabst et le Cheddar ne vont pas si mal ensemble…
6. Le Plateau
Que tu le fasses exprès ou pas, il y a presque toujours un moment, plus ou moins proche de ton atterrissage, où tu feras le choix d’emménager sur le Plateau, au milieu des Français. C’est comme un baptême, un passage obligé.
L’avantage, s’il en est, c’est que tu as quasiment jamais besoin de préciser à quiconque où tu vis, et que tu as souvent droit à la fameuse vanne.
« Oh t’es française? Nice! Tu vis où? Attend, le Plateau j’parie héhé!
– Ouais.. »
Tout à coup, tu te sens tellement original. Mais on le sait, les plus aventureux, les révolutionnaires et les autres se sauveront un jour.
7. Fuir le Plateau
Oui, tu quitteras le Plateau. Tu partiras le coeur lourd, avec la mission d’aider la gentrification du coté de St-Henri.
Tu partiras, des étoiles plein les yeux, en pensant à tes bagels quotidiens et à tes futures dates avec des anglos du Mile End.
Tu donneras les clefs de ton appart à ce PVTiste surexcité, pensant au beau bicycle que les loyers de Rosemont – Petite Patrie te permettront d’enfin t’acheter.
Mais je suis pas mal convaincue d’un truc: même si tu t’enfuies un jour, et où que tu ailles, ils finissent souvent par te manquer un jour, les Français du Plateau…
Il y a beaucoup d’autres étapes dans un processus de québéquisation. Je suis moi-même toujours en pleine découverte, trois ans et demi après l’atterrissage. Alors il se pourrait que ce billet ait un jour sa suite.
Puis, si tu fais partie de ces français fatigués de m’entendre te demander quand tu viens, tu comprendras que j’écris ça aussi pour essayer de te convaincre, un peu…