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Petit lexique pour comprendre (et combattre) le harcèlement de rue
Fixer du regard une personne inconnue, lui poser des questions intrusives et insistantes, la suivre délibérément, commenter son apparence physique… Est-ce du harcèlement de rue? C’est aujourd’hui qu’on clarifie la question et qu’on clôt le débat.

URBANIA, la Ville de Montréal, le Service de police de la ville de Montréal (SPVM) et la Société de transport de Montréal (STM) s’unissent pour vous sensibiliser au phénomène du harcèlement de rue et vous outiller si vous en êtes témoin.
Ah, Montréal l’été! Il fait beau, il fait chaud. Les fleurs affichent leurs couleurs. Les gens aussi. Tout le monde profite de l’espace public et y circule librement dans en toute quiétude d’esprit, en toute liberté, en toute confiance. En toute sécurité.
Rêve ou réalité?
On aimerait y croire, mais lors d’une étude réalisée à l’automne 2021 auprès de 3 324 Montréalaises et Montréalais, deux personnes sur trois ont déclaré avoir été victimes de harcèlement de rue à Montréal.
De plus, certains groupes en sont davantage la cible : 69 % des femmes cisgenres déclarent en avoir vécu – la majorité d’entre elles affirment même y avoir été confrontées dès l’âge de 10 ans. La proportion grimpe à 91,5 % chez celles qui ont entre 18 et 24 ans, et à 95 % chez les personnes racisées, autochtones ou issues de la diversité des genres.
Choquant, n’est-ce pas?
C’est pourtant la réalité avec laquelle on doit composer. Puisque l’inaction n’est pas une option, il faut s’armer de solutions. Première étape? L’éducation. On a eu la chance de jaser avec Audrey Simard du Centre d’éducation et d’action des femmes de Montréal (CÉAF), travailleuse communautaire et militante contre le harcèlement de rue depuis 10 ans.
Laissez-nous définir (et débanaliser du même coup) le harcèlement de rue grâce à quelques notions clés et à des pistes de solutions concrètes à privilégier pour le combattre. C’est parti!
HARCÈLEMENT DE RUE
Contrairement à ce que son nom peut laisser croire, non, le harcèlement de rue ne se déroule pas que dans la rue! Le harcèlement de rue* se définit par tout propos ou comportement dégradant, intrusif et non consenti, commis par des inconnu.e.s dans l’espace public (école, commerce, parc, transport en commun, réseaux sociaux, etc.) et s’appuyant sur des rapports de pouvoir.
Il prend parfois la forme de gestes banalisés (sifflements, regards insistants, remarques grossières, avances sexuelles, bruits de bisous, etc.), mais il couvre également des actes criminels : attouchements sexuels, menaces, utilisation de la force physique, etc. Il peut être de nature physique, sexuelle, psychologique, verbale ou non verbale.
Il peut viser l’appartenance ethnoculturelle, la couleur de peau, la religion, l’origine, l’âge, le handicap, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne.
C’est pourquoi les cibles sont majoritairement, et de façon disproportionnée, des femmes, des jeunes filles, des membres de la communauté 2SLGBTQ+, des personnes autochtones et des personnes racisées. Plus une personne cumule des facteurs d’oppression, plus elle risque d’être la cible de harcèlement de rue. Par exemple, une femme noire appartenant à la communauté 2SLGBTQ+ est plus susceptible d’en être victime qu’un homme blanc hétérosexuel. D’où la nécessité de poser un regard intersectionnel sur cet enjeu.
* Il est important de noter qu’il n’existe pas de définition légale du harcèlement de rue au Canada. Il est donc possible que la définition qu’on en donne varie légèrement selon l’expert.e ou l’organisme consulté.e, et qu’elle évolue selon les recherches.
TÉMOIN PASSIF
Un témoin passif est une personne qui, face à un acte de harcèlement de rue, reste inactive et se détache de la situation, croyant qu’elle ne la concerne pas ou encore que quelqu’un d’autre interviendra.
Si vous vous reconnaissez, pas de panique ni de culpabilisation! C’est l’attitude adoptée par la majorité, et plusieurs raisons peuvent l’expliquer. Être témoin de harcèlement de rue peut :
- provoquer une réponse émotive et réactiver des traumatismes psychiques;
- ébranler notre propre sentiment de sécurité si nous n’avons pas les outils nécessaires pour désamorcer la situation;
- nous forcer à intellectualiser ce qui se passe par peur d’intervenir, avec des discours comme « ils doivent se connaître » ou « ce sont sûrement des blagues ou de la séduction ».
TÉMOIN ACTIF
Un témoin actif est une personne qui se positionne en alliée de la victime lors d’une situation de harcèlement de rue et qui cherchera à influer positivement sur l’espace public. C’est une personne faisant preuve d’une bienveillance citoyenne et qui s’efforce de demeurer consciente de son environnement et de la présence de celles et de ceux qui l’entourent.
Elle est consciente de son privilège dans une situation de harcèlement de rue et comprend que, si elle souhaite vivre dans un espace inclusif et sécuritaire pour tous et toutes, une part de responsabilité lui revient et qu’elle ne doit pas rester indifférente.
EFFET TÉMOIN OU EFFET SPECTATEUR
L’ « effet témoin » est une expression consacrée en 1968 par deux chercheurs américains en psychologie sociale, John Darley et Bibb Latané, qui ont démontré que plus il y a de personnes témoins d’une situation quelconque, plus les possibilités sont faibles qu’une d’elles intervienne, car la plupart se déresponsabilisent et s’attendent à ce que quelqu’un d’autre agisse.
Comment briser ce réflexe de paralysie? Voici le truc « premiers soins ».
Un des éléments de base enseignés dans les cours de premiers soins est d’interpeller directement un.e témoin de la scène en lui donnant une directive claire, comme « vous, avec le chandail vert, appelez l’ambulance ». Le même principe peut s’appliquer lorsque vous êtes victime d’un acte de harcèlement de rue. Ainsi, vous pourriez vous adresser à un.e témoin de votre choix en lui demandant par exemple de vous aider à vous sortir de la situation. Ça aurait pour résultat de contrecarrer l’effet témoin.
DE TÉMOIN PASSIF À TÉMOIN ACTIF : DES GESTES CONCRETS À POSER
Maintenant que la table est mise, quelle est la suite? Demandez-vous quel genre d’action vous pourriez poser face à une situation de harcèlement de rue. Et parce qu’on est ben d’adon, pas besoin d’aller chercher les réponses très loin… on les a juste ici!
La règle de base no 1 : évaluez toujours les risques pour votre propre sécurité. Nul besoin de se mettre en danger pour soutenir quelqu’un d’autre. Et n’hésitez jamais à composer le 911 ou à demander l’aide de la police ou d’un.e responsable de la sécurité sur place.
La règle de base no 2 : concentrez-vous sur la personne victime et ne perdez pas votre temps ni votre énergie avec la personne qui la harcèle.
La règle de base no 3 : mettez fin à la situation le plus rapidement possible. L’objectif est de permettre à la personne victime de retrouver son sentiment de sécurité afin de pouvoir continuer à circuler dans l’espace public.
Voici quelques suggestions d’actions à la fois simples et sécuritaires à poser.
1 : Détourner l’attention de la personne qui commet le harcèlement. Posez une question anodine à la personne victime (par exemple, demandez-lui l’heure ou l’itinéraire menant vers tel ou tel endroit), faites semblant de la connaître en engageant une conversation avec elle, dites-lui que vous êtes disponible si jamais elle a besoin d’aide, etc. Toutefois, si elle refuse, n’insistez pas.
2 : Mobiliser d’autres témoins. Décrivez à voix haute l’acte commis par le harceleur pour que d’autres personnes en prennent conscience, demandez directement l’appui de quelqu’un, alliez-vous au personnel désigné de l’endroit, etc.
3 : Documenter. Filmez ou photographiez la scène, notez l’heure, la date et l’endroit, etc. Offrez ensuite à la personne victime de lui envoyer ces images, qui pourraient faire office de preuves si elle souhaite porter plainte.
4 : Soutenir la personne victime lorsque la situation est désamorcée. Offrez-lui du soutien, demandez-lui comment elle va, offrez-lui de la raccompagner quelque part, d’appeler un.e proche, acceptez de témoigner à ses côtés si elle souhaite porter plainte aux autorités, etc.
Qu’on le veuille ou non, la banalisation, l’inaction et l’indifférence face à une situation de harcèlement de rue contribuent à augmenter le seuil de tolérance sociale face à ces actes et à renforcer le sentiment d’impunité de ceux qui les commettent. En tant que témoin de ce type de violence, vous avez le pouvoir de changer les choses et de contribuer à une société où tout le monde a la possibilité d’occuper l’espace public et d’y circuler en toute quiétude d’esprit, en toute liberté, en toute confiance. En toute sécurité.
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Pour découvrir des outils et des ressources d’aide, et pour comprendre l’importance du rôle (essentiel!) de témoin dans une situation de harcèlement de rue, visitez le site Web de l’initiative « Témoins, agissons » et celui du Centre d’éducation et d’action des femmes. Le harcèlement de rue, c’est non.