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Petit guide pour percer (et survivre) dans l’industrie du jeu vidéo

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J’écrivais il y a quelques mois qu’il y a typiquement deux réactions quand je dis que je travaille en jeu vidéo. La première est enthousiaste ou curieuse, la deuxième oscille entre l’indifférence et la condescendance.

J’ai un peu omis de dire qu’il y a aussi une troisième réaction : l’interlocuteur se rend compte que c’est possible de gagner sa vie en faisant des jeux vidéo !

À l’entendre régulièrement, je constate que beaucoup de gens avec un passé en jeu vidéo ont le désir d’en créer à leur tour, mais très peu connaissent le chemin menant vers cette vie.

Je travaille aujourd’hui comme concepteur indépendant, mais j’ai, à une époque pas si lointaine (et lourde en péripéties), passé un temps considérable chez les grands joueurs de l’industrie. J’ai donc l’occasion de te faire un survol du monde des studios préétablis, qu’ils soient gros ou petits, pour te donner une idée de ce qu’il en coûte de s’aventurer dans notre univers.

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CHAQUE ANNÉE, VOUS ÊTES PLUSIEURS CENTAINES QUI CHERCHENT À PERCER

Rien qu’à Montréal, on peut compter plus d’une soixantaine d’établissements dans lesquels on peut décrocher un diplôme pour entrer dans l’industrie. À chaque année au Québec, c’est par centaines que les étudiants graduent.

De plus en plus de gens cherchent à entrer alors que de moins en moins de places sont disponibles.

Encore considéré comme “émergent” par certains, le secteur du jeu vidéo reste quand même une industrie créative qui s’apparente à toutes les autres industries créatives où l’offre surpasse très largement la demande. Devenir réalisatrice requiert des années de travail impayé ou ingrat ou les deux; devenir comédien dans une bonne distribution est une constante question de bon endroit/bon moment; devenir développeur de jeux, c’est le même chemin de croix.

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ON S’EN FOUT DE TES IDÉES CRÉATIVES

Sérieusement, tes idées ont aucune valeur. Que ce soit ton concept de jeu incroyable que tu nourris en secret depuis longtemps, ta douzaine de drafts d’apps mobiles, ta nouvelle vision de la dynamique d’un MOBA… va falloir attendre encore avant de leur donner vie. Tout le monde autour et au-dessus de toi ont autant sinon plus d’idées et de concepts, en plus de travailler en permanence dans une atmosphère créative.

Les nouveaux arrivants sont appelés à exécuter, et non à innover.

Les studios recherchent d’abord des individus qui ont une créativité technique : des gens créatifs dans la mesure où ils sont capables de trouver des solutions à des problèmes complexes et, surtout, des gens qui savent exécuter le plus possible de créativité dans un cadre donné, aussi petit puisse-t-il être.

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TON TALENT EST PAS TRÈS IMPORTANT

Le succès et le progrès vont principalement provenir de ta compréhension du game politique et de tes aptitudes en leadership. Être talentueux et brillant dans son métier, c’est utile, voire nécessaire, mais comme dans n’importe quelle industrie de divertissement, ton rang est en règle générale influencé par qui te connait et qui te supporte.

LE GAMER EN TOI SERA EN DANGER

Quand ta vie professionnelle te demande d’être rivé à un écran pendant un minimum de huit heures dans ta journée à cogiter devant un jeu vidéo, le désir de s’amarrer à un sofa le soir pour quelques heures de plus va peut-être te sembler de moins en moins attrayant.

Certaines personnes dealent très bien avec cette vie homogène de développement le jour/gaming le soir, quoique cette innocence initiale qui les a menés à apprécier les jeux vidéo sera définitivement perdue, remplacée par quelque chose d’autre. Peut-être plus de lucidité sur les trucages employés, peut-être plus d’empathie pour les créateurs derrière le jeu, ou peut-être plus de cynisme face aux clichés?

Je te dis ça parce que, penses-y, peut-être que t’aimes juste jouer à des jeux vidéo? C’est pas parce qu’on est passionné par un hobby qu’on est prêt à le changer en profession.

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Si t’es encore en train de lire, j’imagine que je ne t’ai pas trop écœuré avec mon image non filtrée de ce milieu et, au mieux, que t’es curieux d’en savoir plus.

Après tout, je considère quand même que c’est un domaine qui en vaut la peine. L’étape du pied dans la porte est une phase épeurante et frustrante, mais la magie de créer des univers interactifs; le trac de voir un joueur essayer son travail, c’est une des plus belles choses qui puissent arriver à un créateur.

Comment percer alors?

Une chose est certaine : c’est pas un diplôme qui va te garantir une place.

Tu peux aller à l’école, mais (pour la majorité des métiers) on se contentera de t’apprendre l’ABC des outils, quelques notions de base et, si t’es chanceux, un peu de méthode. Je te dis ça en tant que prof et dropout : on peut apprendre à l’école à devenir développeur jusqu’à un certain point. Le savoir-faire s’acquiert par la pratique et non l’étude.

Il y a donc deux voies parallèles qui s’offrent à toi.

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MISE SUR TON NOM

Si le diplôme et le talent sont pas tant prioritaires, ton hustle l’est. Faire le hustler, c’est passer par tous les chemins possibles pour mieux se faire connaitre. À travers évènements et rencontres, de fil en aiguille, on se tisse un réseau.

Se créer un réseau est pas juste une question de se faufiler dans des cocktails VIP hautains en quête d’un recruteur. Non, thank God, l’industrie du jeu vidéo a l’avantage d’être particulièrement décontractée et approchable. Le hustle, c’est simplement une question de s’impliquer et de se mélanger à la communauté.

Il se passe beaucoup plus de rassemblements que tu penses autour de toi. Pour faire un peu d’acronym-drop, juste à Montréal, t’as l’IGDA, le MRGS, le MIGS, le GGJ, Game Curious, Game Loop, Pixelles, Montréal Joue… Au niveau international, si ton budget le permet, t’as le PRACTICE, le Indiecade, le PAX, le TWO5SIX ou encore le GDC et j’en passe à la pelletée. T’as pas d’excuses. Sors de chez vous et va te faire des amis.

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MISE SUR TON TALENT

Ok, c’est pas entièrement vrai que ton talent est pas important. Du bon hustle repose toujours sur du bon talent (qui a été nivelé par une bonne éducation, qu’elle soit scolaire ou pas). Être bon dans ce qu’on fait, ça reste la base.

La meilleure façon de devenir bon est de tabler sur la quantité.

On s’en fout de la qualité. C’est inutile d’en parler pendant les premiers pas d’un apprenti. Avec la quantité, en revanche, on a un point de départ qui est la bonne vieille règle des 100 : c’est pas avant les 100 premières itérations qu’on devient bon à quelque chose.

On va te donner un nombre différent à chaque fois, mais l’idée derrière cette donnée absolument pas scientifique est d’arrêter de chercher à être original, de se lever les manches et de rapidement produire en quantité, peu importe la qualité.

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C’est la base de ce qu’on appelle le processus itératif : à chaque essai, on comprend un peu plus pourquoi ce qu’on fait est pas bon; on voit un peu plus comment mieux faire la prochaine version et, finalement, on apprend à un peu plus se connaitre en tant que créateur.

Avoir passé par la règle des 100, c’est ce qu’on appelle l’expérience, et c’est ce que les studios cherchent. Des gens expérimentés (nonobstant l’éducation et le curriculum vitae) qui ont échoué régulièrement au point où ils sont désormais rendus à faire du travail de qualité.

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C’est plus facile que jamais de créer un jeu. Les outils ont été démocratisés depuis plusieurs années déjà et sont pratiquement tous gratuits et accessibles. Sans débourser quoi que ce soit, t’as Twine, Stencyl, Defold, Gamemaker, Construct, GameSalad, Unity, Unreal, Source, Lumberyard… Encore une fois, t’as pas d’excuses.

Essaie quelque chose. Ça va être mauvais, mais c’est correct, t’es maintenant juste à 99 essais de quelque chose de décent.

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La barrière d’accès vers une vie professionnelle confortable est haute et va le rester, mais je crois que c’est une bonne chose, parce que c’est le chemin vers celle-ci qui, plus tard, sera la partie de l’histoire le fun à raconter.

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