Puisque dans la vie comme dans la musique, y a pas juste deux genres, on a décidé de faire sortir de l’ombre certains genres musicaux plus obscurs ou regrettables, pour le meilleur ou pour le pire. Aujourd’hui, on revisite un des genres les plus ludiques de l’histoire de la musique : le chiptune, parfois aussi appelé 8-Bit.
Et non, on va commencer tout de suite en démontant un mythe tenace : ce ne sont pas que des nerds qui apprécient le chiptune. Anyway, c’est quoi un nerd en 2018, considérant que les milléniaux n’ont toujours pas décroché de Pokémon, hein? Ça vient qu’on le sait plus trop, ce qui est peut-être une bonne chose d’ailleurs… Dans tous les cas, le chiptune propose d’explorer de nouvelles facettes de vos vieux jeux vidéos, mais avec une approche vintage, un son funky et un maximum de vaisseaux spatiaux et d’arcs-en-ciel dans l’esthétique, ce qui est toujours un fantastique ajout à mon avis.
Ça remonte pas à hier
L’idée de base du chiptune n’est pas compliquée. Décortiquons rapidement le mot, pour se donner la définition la plus obvious possible : « chip », c’est la version courte en anglais de « circuit imprimé » ou « puce », et « tune », ben c’est de là que vient notre très cher anglicisme « toune ». On se retrouve donc avec un équivalent littéral franco qui donnerait sensiblement « musique de circuits imprimés ». Dans un sens, c’est le genre de musique le plus électronique que tu peux pas avoir!
Les premières créations musicales électroniquement assistées remontent donc aux années 1950 et 1960, époque révolue où des laboratoires entiers, comme le célèbre GRM fondé par le Français Pierre Schaeffer, se consacraient entièrement à l’exploration du son et de la musicalité dans se formes les plus brutes. On est toutefois bien loin de l’aspect ludique que le chiptune peut revêtir aujourd’hui : le but est plutôt d’explorer le potentiel des ordinateurs, alors plus ou moins compacts, si on veut y aller avec un grossier euphémisme. À l’époque, la musique électro, c’est de la science en gros. On est loin de Kaytranada donc.
Space Invaders
Dans les années 1970, on commence à maîtriser le phénomène et à pouvoir produire de la musique à partir de puces de plus en plus petites. Or, c’est aussi l’âge d’or des jeux d’arcade et au Japon, certains se demandent si on ne pourrait pas joindre l’utile à l’agréable et jumeler jeu et musique. Éclair de génie qui mènera, en 1978, à l’arrivée du premier jeu proposant une musique en continu, plutôt que seulement quelques sons ponctuant ici et là les actions du joueur. Ce jalon de l’histoire technologique, c’est Tomohiro Nishikado qui le détient grâce à son énorme succès Space Invaders.
À la même époque, le groupe culte, encore une fois japonais, Yellow Magic Orchestra (dont fait d’ailleurs parti l’illustre Ryuichi Sakamoto!) voit dans cette production un réel potentiel pop. Leur premier album, également paru en 1978, utilisera d’ailleurs des samples de la trame-son de Space Invaders, ainsi que plusieurs inclusions purement électros produites à partir de circuits intégrés de jeux d’arcade. On assiste ainsi à la naissance d’un genre, qui ne sera alors que majoritairement mené par les compositeurs de musique de jeux vidéos en tant que tels, ce qui s’explique principalement par l’absence d’outils de composition accessibles pour le grand public.
Et en pratique?
C’est qu’en pratique, l’utilisation de puces, si elle n’est pas particulièrement complexe, demande tout de même quelques notions de base en manipulation électronique. Et les logiciels ne sont apparus que vers la toute fin des années 80 : les trackers! En évitant de trop entrer dans les détails, parce que j’ai moi-même ultimement pas tout compris à 100%, le principe de base est de venir sampler les différents sons stockés sur une puce, de les traiter par ordinateur pour en faire des notes simples et de venir composer par la suite des mélodies et de la musique à partir d’un clavier MIDI en réutilisant ces mêmes notes. Plus récemment, des gadgets proposent aussi d’utiliser directement la puce ou même la console complète. Et pour ceux qui n’ont rien compris, c’est pas grave, faites-vous-en pas!
L’avantage, c’est qu’avec la démocratisation des outils électroniques au début des années 2000, jumelée à une simplification des manipulations nécessaires et à un goût prononcé pour le vintage, on se mentira pas, le chiptune fait un certain retour en force, après 10-15 ans d’oubli. Des softwares comme LittleSoundDJ proposent au grand public de composer directement sur leur GameBoy Advance et des stars de la pop alternative commence à utiliser le procédé, comme Deadmau5, Beck dans l’intro de sa chanson Girl ou encore Crystal Castles avec plusieurs chansons de leur premier album, dont Alice Practice.
Rétro ou pas?
Le phénomène reste toutefois marginal. Le son chiptune est souvent utilisé pour son côté un peu edgy chez les producteurs renommés et reste donc, en tant que genre, une curiosité. Certains producteurs s’y mettent toutefois de façon sérieuse dès les années 2000, notamment Trash80, souvent cité comme l’un des premiers compositeurs sérieux du chiptune moderne. C’est lui et ses compères qui y infusent originellement un son techno marqué, assez rapide et agrémenté de basses lourdes et très présentes. Dans ces cas-là, on est assez loin d’une nostalgie rêveuse et boboche.
À partir de 2010-2012, le chiptune se transforme tranquillement pas vite, gagnant chez certains des influences plus funk, incluant même occasionnellement des instruments réels comme de la guitare ou des claviers non-modifiés. Les scènes dubstep et grime y feront également régulièrement appel, grâce à la malléabilité du son 8-bit. Dans les dernières années, le style s’est toutefois encore une fois raréfié, avec l’émergence de l’EDM qui a pris le dessus sur le reste des musiques électroniques. On peut toutefois encore retrouver des artistes talentueux partout sur la planète, notamment au Québec avec le collectif Toy Company. Et tant qu’à parler de musique locale, soulignons que le musicien Game Genie Sokolov produira l’un des premiers albums chiptune sur un label grand public en janvier, soit Insert Disk 02 chez Lisbon Lux Records.
https://soundcloud.com/ggsokolov/agrumes
Finalement, pour poursuivre l’écoute et la découverte, je vous recommande les cinq albums suivants :
-Insert Disk 02 / Game Genie Sokolov / Lisbon Lux Records (2019)