Puisque dans la vie comme dans la musique, y a pas juste deux genres, on a décidé de faire sortir de l’ombre certaines niches musicales plus obscures ou plus douteuses, pour le meilleur ou pour le pire. Aujourd’hui, on souligne le décès de Philippe Zdar en s’intéressant à son genre de prédilection, la French touch.
Semblerait-il que la France a su au fil des années développer son propre son en musique électronique et lancer une vague qui aura réellement marqué la planète entière… ou pas, selon certains des principaux intéressés. Le mystère plane donc : ça existe-tu pour vrai la French touch?
Allons voir.
La Genèse
Si la France est depuis les années 90 l’un des pays où la musique électronique est la plus populaire, avec une culture rave et des médias spécialisés bien établis, ça n’a pas toujours été le cas. Dans les années 80, alors que la house et la techno émergent de Chicago et Détroit, on s’intéresse assez peu à ces réinventions de la disco. À l’époque, la France ne jure presque que par le rock et conserve encore ses relents de chansons françaises, si populaires 20 ans plus tôt.
En 1987, certains voient toutefois que le phénomène américain commence à se doter d’un potentiel international. Les raves parties sont déjà populaires en Angleterre et chez leurs voisins du sud, c’est le photographe parisien Jean-Claude Lagrèze qui sera le premier à les adapter. Il fonde cette année-là les soirées French touch au club Palace et y invite les grands-papas de l’électro française David Guetta, Laurent Garnier et Guillaume La Tortue, tous encore des petits jeunots passionnés de productions américaines. Ils y remixent des importations de Chicago et commencent éventuellement à y présenter quelques créations.
Le mouvement reste toutefois fort marginal. C’est à partir de 1988 qu’il prendra de l’ampleur, alors que Margaret Tatcher décide d’interdire les raves, en plein Second Summer of Love. C’est que les Anglais viennent d’inventer l’acid house et ça dérange les bonnes mœurs, semblerait-il. Leurs ennemis de la guerre de Sept Ans décident donc d’allumer le calumet de la paix pour une fois et de commencer à produire de plus en plus de rave pour combler le manque.
La terre promise
Dès lors, les adeptes de raves en Europe ont deux options : la populaire île d’Ibiza dans les Baléares, où les hippies vont se retrouver cycliquement, ou la France. Les premiers labels émergent rapidement, notamment la FNAC Music Dance Division d’Éric Morand, dont le slogan deviendra bientôt une expression consacrée : « We give house music a french touch ».
Les DJs pullulent , écoutant à parts égales des productions américaines et anglaises, notamment grâce au label acid et proto-garage Mo’Waz, père du trip-hop. On peut voir entre 1992 et 1996 les premiers sets d’Étienne de Crécy, de Snooze ou encore de Philippe Zdar partout à travers le pays. Ils commencent également à composer, influencés aussi par le jazz et leurs racines rock, et placeront bientôt des hits sur les palmarès musicaux en Angleterre, et ce bien avant la France.
Le genre se cristallise
Entre 1995 et 1998, cinq artistes viennent cristalliser l’idée que l’on se fait encore aujourd’hui de la French touch. Le bal est lancé par Ludovic Navarre, que l’on connaît pour son projet St Germain, alors qu’il lance l’album au son nu-jazz et trip-hop Boulevard, un succès immédiat. Son single Deep in it devient aussi la première chanson French touch primée en Angleterre. Viennent ensuite les premiers maxis d’Étienne de Crécy, rassemblés en 1997 sur la compilation Super Discount, et l’illustre Pansoul du duo Motorbass, formé de ce dernier et de Philippe Zdar.
Mais c’est principalement en 1998 que tout change alors que l’un des deux membres du duo Darlin, formé aux côtés de Laurent Brancowitz (Phoenix), décide de lancer un nouveau projet qui fera école. Ce génie s’appelle Thomas Bangalter et il forme aux côtés de son acolyte Guy-Manuel de Homem-Christo le robotique duo Daft Punk, dont le premier album Homework viendra créer une véritable commotion sur la planète musique avec son mélange de funk et de compositions électroniques compressées.
Et finalement, les derniers, mais non les moindres, le duo Air lancera la même année son Moon Safari, dont le single Sexy Boy deviendra un hit mondial deux ans avant de signer la trame-son du Virgin Suicides de Sofia Coppola.
Traité stylistique
Bon, depuis tantôt, j’utilise des termes assez différents pour décrire le style de chacun des artistes comme vous vous en êtes probablement rendu compte. On passe de la house à la disco et du funk au jazz, en passant par la techno et le rock. C’est parce que la French touch n’a jamais constitué un style à proprement parler, de l’aveu même de certains de ses principaux acteurs. Je pense ici notamment à Justice, qui décrira souvent le terme plutôt comme un état d’esprit rassembleur que comme une sonorité à part entière.
Cette idée n’est ni entièrement vraie, ni entièrement fausse. C’est qu’à la longue, certains éléments finissent par se ressembler. La French touch se caractérise principalement par deux ingrédients principaux : les effets de son et la nostalgie.
Dans le premier cas, les DJs à l’origine de la vague française jouent principalement avec deux effets souvent associés à des productions plus grasses ou plus rock. Certains abusent alors des filters, comme le low-pass ou le high-pass, qui viennent respectivement atténuer les hautes fréquences ou les basses et donnent un son assez crunchy. D’autres sont de grands fans du phaser, effet qui vient créer une sensation de vagues successives dans le son.
Or, ces deux effets proviennent à la base des productions rock, plus hard dans le premier cas, et plus liées au milieu du prog dans le second. Ce ne sont alors pas des sonorités particulièrement actuelles, tout comme la disco ou le funk dont les producteurs musicaux de l’époque se gavent avidement. En show, les producteurs électros français ont justement la manie de se lancer dans des reproductions live en band de leurs compositions, ce que l’on voit un peu moins de notre bord de l’Atlantique. La French touch finit donc par adopter un son vaguement rétro, mais sans non plus tomber dans le ringard. En gros, on rénove du vieux au goût du jour!
Les années 2000
En 1998, l’éphémère groupe Stardust lance son unique single Music Sounds Better With You, qui deviendra un classique instantané. Le single est d’ailleurs édité chez Roulé, maison de disque appartenant à Thomas Bangalter, qui est aussi membre du trio. C’est fait, le genre vient officiellement d’atteindre son apogée. Reste maintenant à voir comment il évoluera. En 2003, un autre événement vient aussi mettre du vent dans les voiles du mouvement : on crée le label Ed Banger de Pedro Winter, ex-gérant de Daft Punk, qui éditera la plupart des grands noms à venir.
Si certaines têtes d’affiche comme Daft Punk ou Air poursuivent leurs explorations, d’autres apparaissent peu à peu. C’est le cas de Justice, Gessafelstein, Kavinski, Mr Oizo, Cassius, Danger, ou encore M83 qui fera le tour du monde avec sa chanson Midnight City en 2011. La scène française arrive bientôt presque à saturation avec cette deuxième vague de créateurs et la French touch devient dès lors, ironiquement, internationale.
Une troisième vague émerge également à partir des années 2010, avec de jeunes producers reconnus à l’international comme Breakbot, Canblaster, Brodinski, Polo & Pan ou Fakear à l’avant-plan, de même que la maison de disque Nowadays Records. Des artistes de partout imitent ces stars et le Québec ne fera d’ailleurs pas exception. D’autres, finalement, retournent à une production house plus classique, comme c’est le cas pour Folamour ou Mall Grab qui font leurs débuts un peu après 2010.
Près de chez nous
Comme je le mentionnais, le Québec, toujours bien attaché à ses cousins d’outre-mer, n’aura pas manqué l’occasion de surfer sur la vague. Le label montréalais Lisbon Lux Records se fera le héros de ce son réadapté à une sauce locale en produisant les premiers albums du groupe nu disco Le Couleur, du producer d’origine française Fonkynson et du plus synthwave Das Mörtal. Ceci dit, si on peut faire un rapprochement du côté des sonorités, reste que l’on ne peut pas non plus qualifier ces artistes de French touch, l’étiquette restant encore plutôt réservée à la France elle-même, tout comme bien des appellations d’origine contrôlées. Ils sont ben forts là-dessus!
La french touch en 5 albums
Boulevard, St Germain, 1995
La fondation house-jazz voir lounge du mouvement.
Pansoul, Motorbass, 1996
La deep-house vient changer les choses, mais le nu-jazz ne démord pas.
Homework, Daft Punk, 1997
On touche enfin à une vraie production 100 % électro.
Justice, Justice, 2007
Les véritables rock star de la french touch!
Lambs Anger, Mr Oizo, 2008
Vidéaste, musicien et marionnettiste, le compositeur de Positif fait encore parler de lui. Par moi d’ailleurs…