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Petit guide de survie aux surdoses

L’organisme Plein milieu accouche d’une recherche préventive.

Par
Hugo Meunier
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«Le plus important move à faire selon moi pour prévenir les surdoses serait de décriminaliser», lance la chargée de projet Kristine Gagnon-Lafond, qui vient de signer une recherche exhaustive sur la prévention des surdoses, pour le compte de l’organisme montréalais Plein milieu.

Malgré une ouverture de la santé publique fédérale sur la décriminalisation des drogues dures pour freiner la crise des opioïdes qui frappe durement le pays, leur consommation demeure interdite.

Devant les ravages du statu quo, l’organisme Plein milieu — dont la mission est de tisser des liens de confiance avec des personnes utilisatrices de drogue en situation d’itinérance ou en voie de l’être — a mandaté Kristine pour trouver des solutions.

Plutôt que de s’attarder aux morts qui gonflent les statistiques, la chargée de projet a décidé de se concentrer sur les survivant.e.s. Ce sont les mieux placé.e.s pour trouver des solutions et surtout prévenir les surdoses pour eux.elles, comme pour autrui.

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Pour y arriver, Kristine a pu profiter de l’expertise de 19 participant.e.s, qui ont vécu des surdoses (et parfois plusieurs puisque 55 situations ont été décrites). De ces rencontres, cette détentrice d’une maîtrise en psychoéducation (et drop out au PHD!) a dégagé treize recommandations.

Pour en discuter, j’ai rencontré la principale intéressée dans un parc grouillant d’enfants des garderies avoisinantes près de l’organisme Plein milieu. Un décor un peu surréaliste pour jaser overdose, admet Kristine, qui a traîné un cartable avec ses notes et sa recherche.

«J’ai réalisé qu’on manquait de données locales, qu’on se base souvent sur des écrits américains, mais surtout qu’il manque de recherche auprès de survivant.e.s»

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D’emblée, elle avoue être un peu stressée par l’entrevue, soucieuse de bien transmettre le fruit d’un travail de longue haleine amorcé il y a deux ans. D’une humilité désarmante, elle distribuera tout au long de l’entrevue des coups de chapeau aux organismes partenaires, aux intervenants et particulièrement à Ann Lalumière, la coordonnatrice des services cliniques en itinérance de Plein milieu. «Il y a énormément de surdoses depuis les années 2000 et un gros pic depuis la pandémie. J’ai réalisé qu’on manquait de données locales, qu’on se base souvent sur des écrits américains, mais surtout qu’il manque de recherche auprès de survivant.e.s», résume Kristine, expliquant la genèse de son projet, rendu possible grâce à du financement octroyé à divers organismes spécialisés pour trouver des solutions à la crise.

La quête de témoignages s’est faite de concert avec les intervenants sur le terrain. «Ce n’est pas une clientèle facile à rejoindre et les gens n’ont pas l’habitude de se confier à un chercheur dans sa tour d’ivoire. J’ai profité des contacts des intervenants et de leur lien de confiance pour les rencontrer directement à Plein milieu. Les gens étaient fiers de partager leurs connaissances», souligne Kristine.

Illustration: · Jenny Philpott
Illustration: · Jenny Philpott
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Les participant.e.s consomment des opioïdes, des stimulants et souffrent (55% d’entre eux) de douleurs chroniques. Les raisons de consommer varient de l’automédicamentation à la détente, en passant par la recherche du buzz avec un gros B, l’idée de faire comme les autres et la stimulation sexuelle. Les résidences privées seraient les lieux d’OD les plus fréquents. Quant aux symptômes, ils sont multiples tels que les chutes, les pertes d’équilibre, les psychoses, les nausées, la somnolence et les convulsions.

«La qualité de la dope a changé, l’accès est différent avec les frontières fermées, même chose pour l’accessibilité aux services. C’est une période de stress aussi, donc plus propice aux surdoses»

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Comme les statistiques précises sur l’ampleur des surdoses n’existent pas et sont difficiles à documenter, Kristine mise sur une collaboration étroite entre les organismes dédiés. «En ce moment, il y a des surdoses à chaque jour selon nos sources», affirme-t-elle toutefois.

Plusieurs facteurs expliquent les surdoses. La pandémie en fait partie. «La qualité de la dope a changé, l’accès est différent avec les frontières fermées, même chose pour l’accessibilité aux services. C’est une période de stress aussi, donc plus propice aux surdoses», énumère Kristine. Elle ajoute que le confinement n’a pas aidé, puisqu’une bonne façon de prévenir les surdoses est de ne pas consommer seul (certains le font via Facetime, ce qui est d’ailleurs encouragé).

Illustration: · Jenny Philpott
Illustration: · Jenny Philpott

«en sevrage, même si tu sais que ta drogue n’est pas bonne, tu en prends quand même tellement la souffrance est physique»

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Les problèmes de dosage ont aussi été mentionnés dans 23 situations et la substance a été absorbée par intraveineuse dans 87% des cas. «Le lien de confiance avec le dealer est vraiment important aussi, c’est une de nos suggestions de s’en trouver un fiable, capable de quantifier sa pureté. Mais ils ne sont pas tous de bonne foi», prévient la chargée de projet, qui encourage les consommateurs à essayer d’identifier des traces de contamination dans la drogue. «Il y a différentes façons d’identifier le fentanyl, mais en sevrage, même si tu sais que ta drogue n’est pas bonne, tu en prends quand même tellement la souffrance est physique», nuance Kristine.

Dans leurs témoignages, plusieurs participant.e.s ne cachent pas un problème d’accumulation de substance, c’est-à-dire une consommation sur une longue période et à plusieurs reprises. «J’ai dépensé tout mon chèque, 1000 piastres en une soirée. J’ai dépensé 400$ dans le crack […]. J’étais dans un mood plutôt party. Je consomme pas pour me downer, je consomme pour avoir du fun», explique l’un d’eux.

Illustration: · Jenny Philpott

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La polyconsommation est aussi répandue et les consommateur.rice.s semblent parfois bien conscient.e.s de jouer sciemment à la roulette russe. «Ben, j’étais saoul, j’étais gelé, pis j’étais pas capable de m’endormir, fait qu’un moment donné je me suis dit: ça va peut-être me calmer. Fait que j’en ai pris d’autres shots», raconte un participant.

«Les consommateurs ne veulent pas mourir, ils ont à cœur de prévenir les surdoses et ont tous perdu des gens à cause de ça»

La recherche de Kristine s’adresse directement aux consommateurs et sera accessible dans une semaine en ligne et en version imprimée, en plus d’être distribuée dans le réseau communautaire. «Les consommateurs ne veulent pas mourir, ils ont à cœur de prévenir les surdoses et ont tous perdu des gens à cause de ça», souligne la chargée de projet.

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Parmi les recommandations, plusieurs sont simples à mettre en pratique aussi, ce qui peut faire une différence. Par exemple, le fait de prévoir un filet de sécurité de minimum une heure après l’absorption de la substance, c’est-à-dire de consommer en présence de d’autres. «La surdose n’est pas instantanée. Certaines personnes qui s’injectent ont vu jusqu’à 20 minutes s’écouler entre la consommation de la substance et le déclenchement de symptômes plus graves d’OD, tels que la perte de conscience ou l’amnésie», peut-on lire dans la recherche.

Être attentif aux signes précurseurs de la surdose (essoufflement, vision trouble, perte d’équilibre), doser le hit soigneusement, interrompre l’accumulation de substances et porter le naloxone (un médicament à effet rapide) sur soi constituent aussi des moyens efficaces de réduire les risques.

Même chose pour l’importance de détecter toute trace de contamination, dont la manière est détaillée grâce à la méthode «check ta dope ».

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Là-dessus, les consommateurs sont les mieux placés pour déceler des trucs inhabituels dans leur drogue. «Quand [l’héroïne] est beige caillou, on sait qu’elle est bonne. En poudre, ben, quand elle est blanche, on voit bien qu’elle est coupée. Quand tu mets de l’eau dedans elle vire beige. Un genre de beige quand elle est plus pure que coupée, tsé veut dire», détaille à ce sujet un des participants.

Pour l’heure, Kristine souhaite encourager les gens à diversifier leurs recherches, les amener à s’intéresser davantage aux survivants qu’aux morts.

une décriminalisation permettrait une consommation moins clandestine, moins répressive et surtout plus sécuritaire.

Si les Sites d’injection supervisés (SIS) sont un premier pas vers une meilleure prévention, plusieurs consommateurs affirment éviter ces endroits prétextant ne pas s’y sentir confortables ou ne pas pouvoir y consommer comme ils.elles le souhaitent.

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Kristine en profite pour rappeler qu’une décriminalisation permettrait une consommation moins clandestine, moins répressive et surtout plus sécuritaire. «Il y a encore énormément de gens en prison à cause de l’héroïne et ça, c’est très dangereux pour les surdoses en sortant, puisque le sevrage a été dur et le corps s’est déshabitué», explique-t-elle.

Même si son travail est fini, Kristine continuera de travailler à Plein milieu, avouant être «tombée en amour» avec l’organisme durant ce projet.

Elle ne chômera pas et les chantiers qui l’attendent sont nombreux.

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À commencer par une clientèle d’origine autochtone bien présente sur le Plateau, qu’elle n’a pas réussi à rejoindre dans le cadre de sa recherche. «Ils font beaucoup de surdoses, mais il y a des enjeux de confiance, en plus de la barrière culturelle et linguistique», souligne-t-elle.

Un défi parmi tant d’autres, dans l’océan des problèmes qui frappent présentement les plus marginalisé.e.s de la société.