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Petit guide de la photographie éthique
URBANIA et l’exposition Disraeli revisité du Musée McCord Stewart s’unissent pour vous guider dans le monde de la photographie moderne et de ses différents principes.
On est en 2016, c’est un mardi soir d’hiver, et comme cela arrive à toute bonne étudiante, je passe ma soirée dans une buanderie de quartier vide qui sent le Bounty et les 25 cennes.
Un étranger entre et me sourit, un peu gêné.
« S’cuse-moi, je veux vraiment pas te déranger, je suis photographe et j’ai pris une photo de toi par la fenêtre parce que la lumière était vraiment belle. Je voulais juste savoir si c’était correct avec toi. Si t’es pas à l’aise, je la supprime tout de suite. »
Il tourne son appareil et me montre la photo en question, un portrait pris de l’autre côté de la rue, où on me voit assise sur le comptoir, un peu dans la lune, un moment ben banal qui m’apparaît soudainement super intime. Pour vrai, la photo est franchement belle.
« Hein, nice shot! Tu peux la garder, à condition que tu me l’envoies. »
Je faisais déjà un peu de photo documentaire à l’époque, et je n’avais JAMAIS pensé à la notion du consentement avant. Ce moment-là m’a fait me rendre compte qu’il existait probablement une panoplie de facteurs éthiques qui m’échappaient.
Jusqu’à quel point je peux retoucher une photo? C’est quoi, les limites à ne pas dépasser? Quelle est la frontière entre la vie privée et la vie publique?
À l’heure où on se parle, des millions de photos sont prises chaque minute, et des milliards de personnes consomment ces images sur une base régulière. Cette démocratisation de la photo est extraordinaire, mais avec l’apparition en parallèle des fake news, de la retouche photo et de la diffusion d’images sans consentement, il peut être laborieux pour un.e photographe ou un.e consommateur.trice de naviguer dans cet univers-là.
Faque… c’est quoi, la photographie éthique?
La déontologie photographique est une notion qui permet aux photographes de s’assurer d’être moralement outillé.e.s lors de la prise et de la diffusion de photos. Travailler de manière éthique, ça veut dire être en mesure de constamment s’en remettre à sa pensée critique, de faire preuve d’une grande sensibilité culturelle et contextuelle et de toujours réfléchir à sa responsabilité sociale et environnementale en milieu de travail. ME SEMBLE QUE C’EST PAS TROP DEMANDÉ.
Le ou la photographe devrait être en mesure de s’interroger sur le respect de son sujet, sa responsabilité par rapport à celui-ci ET la notion de consentement.
L’éthique en photo est bien évidemment subjective et dépendra toujours de l’expérience et des valeurs du ou de la photographe, mais cette personne devrait être en mesure de s’interroger sur le respect de son sujet, sa responsabilité par rapport à celui-ci, la notion de consentement (shout out au gars de la buanderie), et bien plus. Même s’il existe différentes lignes directrices reconnues internationalement, elles peuvent s’appliquer différemment selon l’endroit et les circonstances, et c’est pourquoi le contexte est aussi super important. Ce qui est considéré éthique à Montréal ne le sera pas nécessairement à Tokyo.
Au Québec, l’éthique de la représentation photographique a été débattue publiquement pour la première fois en 1972 lors de la tempête médiatique entourant le projet Disraeli, après qu’un collectif de jeunes photographes et de recherchistes eut réalisé un portrait photographique de « l’ordinairement vécu » dans une communauté rurale de la province. Dans les années qui ont suivi, les photographies ont suscité une réaction négative de la part de certains membres influents de Disraeli, qui soutenaient que les habitant.e.s de la ville avaient été mal représenté.e.s en raison du regard « misérabiliste » des photographes.
Pourquoi c’est important?
La déontologie photographique dépend aussi du type de photo. Par exemple, le monde du photojournalisme a des règles plutôt strictes en ce qui concerne le staging, la retouche et la responsabilité sociale, tandis qu’un.e photographe animalier.ière devra plutôt se soucier de l’environnement et de la faune, qui ont plus ou moins d’importance dans la photo éditoriale ou artistique.
Le respect des règles d’éthique est donc fondamental si on ne veut pas mettre l’intégrité du média en péril.
Le photojournalisme possède un grand pouvoir : celui d’avoir un réel impact sur la société, au-delà de la lentille. Chaque fois qu’on prend ou qu’on fait circuler une photo, on sculpte la façon dont les autres perçoivent le monde. Mais un grand pouvoir s’accompagne de grandes responsabilités (on se souvient que Spider-Man était photographe). Un regard bienveillant peut permettre aux photographes de prendre part à des changements de société importants, d’aider l’humanité et même de sauver la planète. Ben oui.
C’est pourquoi la crédibilité de l’industrie est importante. Si on prend une photo avec une mauvaise intention, personne ne voudra plus ensuite qu’on leur tire le portrait. Si on retouche nos images pour tromper le public, plus personne ne nous fera confiance. Le respect des règles d’éthique est donc fondamental si on ne veut pas mettre l’intégrité du média en péril.
Une approche humaine
Bon, comment on fait pour savoir si notre approche photographique est éthique? Tout d’abord, rendre une photo publique, c’est rendre une histoire publique : c’est pourquoi l’intégrité est de mise. Il est primordial de prioriser le respect des sujets et des communautés que vous photographiez, et c’est pourquoi de nombreuses associations de photographes se sont entendues sur quelques règles universelles, les principales étant les suivantes.
– Avant de vous rendre dans un nouvel endroit ou une nouvelle communauté, assurez-vous de bien vous renseigner d’abord. Ainsi vous connaîtrez mieux vos sujets et éviterez plus facilement les faux pas.
– Considérez l’impact émotionnel, psychologique, politique, économique et culturel que pourrait avoir votre photo et posez-vous la question : « Est-ce que cette image pourrait nuire à quelqu’un d’une quelconque manière? »
– Demandez-vous si vous seriez à l’aise à la place du sujet et si l’expérience vous semblerait positive. D’ailleurs, demandez toujours le consentement de votre sujet et ne prenez jamais de photos en cachette.
– Analysez la dynamique de pouvoir que vous avez avec votre sujet. Est-ce que celui-ci est vulnérable en raison du poste que vous occupez ou de votre situation financière? Créer une bonne relation avec lui pourrait vous permettre d’éviter cet inconfort.
– Si vous photographiez une situation socialement ou politiquement sensible, assurez-vous de protéger l’identité de vos sujets si nécessaire.
– Réfléchissez toujours à l’impact de la diffusion de vos photos. Est-ce que l’histoire que vous racontez au moyen de votre image est fidèle à la réalité? Contextualisez bien vos photos et assurez-vous que votre sujet est à l’aise avec le narratif que vous communiquez.
Respecter l’environnement
Si votre trip, c’est plutôt de prendre des photos de bébés loups, des gros plans de chenilles ou des autoportraits alors que vous faites semblant de tomber dans le Grand Canyon, on s’entend que les paramètres sont légèrement différents en ce qui a trait à l’éthique.
En photographie de la nature, le plus important est bien évidemment de faire attention à la faune et à la flore. Encore une fois, il y a des nuances. L’éthique du ou de la photographe dépendra toujours de son impact potentiel sur la nature. Cela dit, voici quelques éléments auxquels penser lors de la prise d’une photo.
– Ne nourrissez jaaaaaamais un animal sauvage pour tenter de vous en approcher. C’est un geste qui peut vous sembler super banal, mais qui peut grandement nuire à la santé de l’animal, et peut-être même l’exposer à divers dangers et prédateurs.
– Gardez vos distances. Même si l’animal ne semble pas dérangé par votre présence, il peut se sentir en détresse. De plus, le simple clic d’un appareil photo peut être un bruit beaucoup plus stressant pour l’animal que ce qu’on pourrait croire.
– Réfléchissez à l’impact que la diffusion de vos photos pourrait avoir sur l’écosystème. En faisant connaître un milieu écologiquement fragile et le lieu où il se trouve, on risque de créer un achalandage touristique qui pourrait lui être fatal.
– Faites attention à votre empreinte écologique lorsque vous êtes en pleine nature. Minimisez les traces de vos feux de camp, déplacez-vous sur des surfaces solides afin de ne pas endommager l’habitat et soyez soucieux ou soucieuse de votre production de déchets.
Bonne séance!
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Du 28 octobre 2022 au 19 février 2023, l’exposition Disraeli revisité du Musée McCord Stewart marquera le 50e anniversaire d’un événement majeur de l’histoire de la photographie au Québec : le projet Disraeli. L’exposition cherche à célébrer, à élargir et à réviser le projet original de Disraeli en rassemblant des photographies et des documents qui racontent l’histoire de plusieurs points de vue. Cliquez ici pour vous procurer des billets pour l’exposition.