Petit cours : réseaux sociaux en temps de crise

Les attentats de Paris nous ont bouleversés, interloqués, choqués. Pour ma part, j’ai passé ma soirée à attendre que mes amis parisiens me répondent qu’ils étaient vivants (avant que Facebook actionne la bébelle “En sécurité” plus tard vers 20 – 21 h). Le dernier dont j’attendais des nouvelles, à 22 h (4 heures à Paris, on se rappelle) est sorti indemne de son bureau adjacent au Bataclan où des inconnus et lui s’étaient réfugiés après une fusillade dans sa rue…

Bref, j’étais à 5550 km de gens que j’aime, mais mes nerfs en boule me faisaient croire que j’étais en plein 11e arrondissement. J’ai suivi iTélé sur mon ordinateur, j’ai regardé Jean-François Bélanger en direct de l’assaut au Bataclan sur ICI Radio-Canada Télé, Facebook et Twitter étaient ouverts….

C’est quand une personne que je respecte beaucoup, qui a un sens de l’observation ultra aiguisé, a partagé une fausse publication d’un feu dans les villages d’accueil pour migrants à Calais, disant que les Français se vengeaient (sérieux, c’est lourd!), que je me suis laissé tenter par une comédie romantique sur Netflix. Pis j’ai opté pour l’affaire la plus légère possible, que dis-je, légerte possible, car ici le mot “léger” nécessite une figure de style.

Et je me suis consolée en me disant que je n’apprendrais rien de nouveau dans la cohue médiatique dont même les journalistes les plus proches sont tenus éloignés à des centaines de mètres.

Attendons. Respirons. Espérons. Et pendant ce temps, faisons un registre.

Dès que j’ai su que le Bataclan avait été attaqué, je l’ai googlé pour voir quel spectacle il y avait ce soir-là. Je m’attendais à un groupe local inconnu, un show activiste, une soirée privée… PAS À EAGLES OF DEATH METAL, un band pas métal pantoute, mais plutôt très rigolo sur les bords, niaisant avec les codes redneck, une grosse joke joyeuse et zéro menaçante, ni en disque, ni en concert. De l’amusement pur. Je les aime bien (beaucoup).

Tout de suite, je suis allée voir sur leur page Facebook. Rien. J’ai rafraîchi la page souvent. Toujours rien. Tout ce qu’il y avait, c’était une photo publiée la veille, du concert à Dublin, remerciant la foule, répétant à quel point le band avait eu du fun. Pratique courante pour une page Facebook de groupe de musique.

Évidemment, une personne conne s’est appropriée la photo en tweetant que c’était la dernière photo prise au Bataclan avant la fusillade. La Twittosphère s’est enflammée, partageant à outrance ce mensonge, ne cherchant jamais à contre-vérifier la photo de cette personne conne. (Désolée, il n’y a pas d’autre mot pour la décrire.)

Ne croyez jamais un compte Twitter basé à 7500 km des événements, sans compte vérifié, dont le nom est @france7776. C’est visiblement pas un journaliste.

COME ON.

7 janvier. SEPT. JANVIER. Oui, le commentaire n’a toujours pas de sens, qu’on l’applique aux événements de janvier ou de novembre, mais peut-on garder un minimum de sens de l’observation et ne pas repasser du vieux stock cave de gens qui ne méritent pas notre attention, surtout en ces temps de tragédie? Focus gang, focus.

Non, changer sa photo de profil en la mettant aux couleurs du drapeau français, c’est pas un gros geste. En effet, cette personne n’a peut-être jamais mis les pieds au pays de nos cousins. Tu as raison, cette personne gosse peut-être qu’il y a trop de Français sur le Plateau. Oui, c’est maladroit de la part de Facebook de “cibler ses opérations de soutien” en proposant les couleurs du drapeau français, mais pas malien, ou tunisien.

Mais je refuse de penser que c’est un geste hypocrite. Je refuse de croire que cette personne qui change sa photo de profil aux couleurs du drapeau français le fait en pensant activement au fait qu’elle ne le ferait pas pour le Mali ou la Tunisie. Qu’elle est dans le déni. JE. REFUSE.

Sors de chez toi. Change d’air. Va prendre une marche. Amène une pelle. Enterre ton négativisme pis ton pessimisme pis tes sermons à cinq cennes.

Vendredi 19 h 20. On est en plein coeur des événements tragiques. Les terroristes ont pris des otages, on attend les développements. On rafraîchit les articles sur Radio-Canada et sur Le Monde, F5 est enfoncé non-stop sur Facebook. Pis là y a ça qui arrive.

ZÉRO LIKE.

UN LIKE PAR PITIÉ, 14 ROULEMENTS DE YEUX.

ZÉRO LIKE, UNE PERSONNE SORTIE LUI ACHETER “Culture générale pour les nuls”.

ZÉRO LIKE, C’EST QUOI CE COMMENTAIRE?!

TA YEULE. TOI PIS TON RACCOURCI INTELLECTUEL. JUSTE TA YEULE.

Finalement, une génération a été marquée par ces événements. Cette génération-là qui utilise les réseaux sociaux.

Tenez-vous la main. Serrez-vous fort dans vos bras. Dites-vous que vous vous aimez. Embrassez-vous.

***