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Personne n’a les moyens de prendre soin de sa santé mentale

Vider son portefeuille pour s'occuper de sa tête.

Par
Laurence Richard
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Avertissement de contenu : ce texte traite de suicide.

J’essuie mes larmes en terminant ma lecture de la chronique de Patrick Lagacé dans La Presse au sujet du suicide d’Amélie Champagne survenu quelques jours à peine après sa sortie de l’urgence psychiatrique. Juste le titre donne des frissons : Papa, je veux sortir d’ici.

Le texte aborde la détresse d’Amélie, mais aussi celle de ses parents, Alain et Joanne, qui ont tenté par tous les moyens d’aider leur fille de 22 ans malgré un système qui l’a abandonnée. Je reconnais, dans cette chronique, la sensibilité que mes propres parents portent à mes problèmes de santé mentale.

Ma sœur et moi n’avons pas manqué de les sensibiliser aux enjeux qui nous touchent, comme ceux liés au féminisme, aux communautés autochtones, à l’environnement et à la santé mentale… Avec leur bienveillance parfois maladroite, ils sont présents, comme les parents d’Amélie.

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En pensant à Alain et Joanne, je ne peux m’empêcher de penser à l’impuissance de mes propres parents devant le système de santé qui me varlope de gauche à droite et qui me donne des diagnostics au gré du vent, parce qu’un suivi psychiatrique n’est pas envisageable.

J’ai récemment eu un double diagnostic côté santé mentale, qui me pousse à prendre une double médication. Je n’ai pas encore trouvé l’équilibre chimique espéré. Mais bon, ça fait juste trois mois.

Je ne peux m’empêcher de penser à l’impuissance de mes propres parents devant le système de santé qui me varlope de gauche à droite.

En trois mois, j’ai eu le temps de faire de la psychothérapie à en épuiser mes assurances privées et mon compte en banque. J’ai eu le temps d’avoir des migraines pendant deux semaines d’affilée et de finalement être sur le bord de la psychose parce que le deuxième médicament que j’ai essayé (sur quatre) m’a fait vriller et m’a forcée à une semaine de congé.

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J’ai eu le temps d’avoir plusieurs réalisations, quand même, sur les raisons pour lesquelles j’avais des idées suicidaires à l’âge de 9 ans et pourquoi j’ai traîné une déprime et de l’anxiété toute ma vie. J’ai eu le temps de penser à m’enlever la vie entre deux séances de journaling alors que ça faisait des années que je n’y avais pas pensé.

Mais j’ai aussi eu le temps de voir dans les yeux de mes parents qu’ils comprenaient enfin que quelque chose n’allait pas et que ce n’était pas par manque de volonté de ma part. « La santé mentale, c’est tellement complexe », m’a dit mon père avec toute l’empathie du monde. Ma mère souhaite que l’on consulte ensemble pour qu’elle puisse avoir les outils pour m’appuyer. Ils sont là, même s’ils ne savent pas trop comment l’être.

Ça fait trois mois que je confronte ma psyché brisée et que je lui impose des médicaments dont elle ne sait que faire. Elle me met donc dans des états de léthargie ou bien d’énervement, elle ne me laisse pas dormir, me vole ma concentration, ma mémoire et mon énergie. C’est la première fois que je me sens malade, que je réalise qu’en fait, mes problèmes de santé mentale, il faut que je les traite comme une maladie chronique.

J’ai donc eu besoin de couper dans mes heures de travail, incapable de soutenir une tâche à temps plein, le temps de trouver la bonne dose. En réduisant ma tâche de 20 %, j’obtiens le même salaire que je recevais lors de ma première job. Je suis encore en début de carrière, mais le chiffre m’a marquée. Surtout dans un contexte où je dois payer de ma poche mes séances de psychothérapie, ce qui revient presque au double de mon loyer par mois.

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Ce n’est pas vraiment à mon employeur que j’en veux ou aux conditions de rémunération qu’il m’offre, mais plutôt à quelque chose qui nous dépasse tous les deux. En fait, personne n’a les moyens de prendre soin de sa santé mentale. Ça va donc au-delà d’un système de santé défaillant. C’est tout le système économique qui dévoile ses défauts.

Ça va au-delà d’un système de santé défaillant. C’est tout le système économique qui dévoile ses défauts.

À l’aube de mes 30 ans, je n’ai ni enfant, ni voiture, ni grande responsabilité financière, à part mon maigre loyer, mon épicerie et mes économies. Si je ne suis plus capable de payer mon loyer en raison du coût faramineux de ma thérapie, au pire, ma mère a une chambre douillette pour moi. Mon père a une maison en Estrie. Ma sœur a un divan confortable. Mes amis ont un lit bien chaud.

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On veut parler de santé mentale, on veut que ce soit moins tabou, on valorise le fait de prendre soin de soi, de mettre ses limites (en tout cas, dans mon milieu), mais, en réalité, personne n’a vraiment les moyens financiers ou même les outils pour savoir quoi faire avec ça.

Je suis consciente d’être privilégiée. D’avoir un employeur qui comprend, l’accès à une psychologue et à une infirmière praticienne qui fait mon suivi médical, un loyer pas cher, un entourage bienveillant (tout ça devrait être la norme d’ailleurs). Mais si un seul élément flanche, c’est toute la chaîne qui écope. Et là, la psy, il n’y en a plus. Pour avoir accès à une thérapie au public, il faudrait que je sois un cas urgent. Je pense aux personnes qui sont moins chanceuses que moi et qui n’ont pas tous les maillons de la chaîne…

Le système de santé va mal au Québec et la crise de la santé mentale sévit depuis des décennies. Et elle est d’autant plus critique après deux ans de vous-savez-quoi. Ce qui m’a le plus touchée dans la chronique de Lagacé, c’est le moment où Alain rassurait sa fille en lui disant de lui faire confiance, qu’elle était au bon endroit pour être prise en charge, à l’urgence psychiatrique. Il croyait que c’était la meilleure solution pour elle, il avait confiance en l’hôpital et aux soins qui lui seraient offerts. Je crois que dans une situation semblable, mes parents auraient le même réflexe. Ils font confiance au système de santé et m’ont beaucoup encouragée à prendre de la médication.

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Pourtant, le système de santé et même notre structure sociale et économique actuelle ne sont pas à la hauteur de cette confiance. Et il serait plus que temps qu’ils le soient.

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Si vous avez besoin d’aide ou que vous vous inquiétez pour l’un de vos proches, contactez le 1 866 APPELLE (1 866 277 3553) ou consultez le suicide.ca.

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