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Périple au pays du cloporte domestique
« Il y a vraiment deux types de réactions : “Ouache! Pourquoi t’as ça?” ou “Ah ouais!? Comment ça fonctionne?”. Une chose est sûre, ça ne laisse personne indifférent », soulève d’emblée mon guide dans l’inconnu.
C’est égaré dans les abysses de Kijiji que j’ai découvert l’existence d’une petite communauté gravitant autour de l’élevage d’isopodes, ce menu crustacé terrestre mieux connu sous le nom de cloporte.
Au fil des annonces qui défilaient, les questions se bousculaient dans ma tête, exaltées par une grande confusion et un soupçon de répulsion. Mais comment l’élevage de cloportes domestiques pouvait-il être plus attrayant que celui d’un hamster ou d’une perruche bleu et blanche?
Pour y répondre, direction Saint-Hyacinthe afin de m’entretenir avec Loyce Tranchant, un acteur bien en vue de la scène et pourvoyeur de colonies depuis plusieurs années.
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« Tout a commencé avec des reptiles, il y a une dizaine d’années. Des dragons, des caméléons, des serpents. C’est avec eux que j’ai réalisé que les décorations en plastique, ce n’était pas trop mon truc, alors je me suis vite dirigé vers les terrariums bioactifs », explique ce jeune homme natif de la région parisienne.
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Un terrarium bioactif est un écosystème entièrement naturel où l’on tente que les éléments s’épousent dans une symbiose autosuffisante. Un prédateur, qu’il soit lézard ou grenouille, vit parmi des végétaux et se nourrit de proies vivantes, comme l’isopode. Ce dernier, détritivore, joue un double rôle à la fois de garde-manger et d’éboueur en se nourrissant des peaux de mues, des excréments et des feuilles mortes pour ensuite fertiliser et aérer le sol.
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Silencieux et inodore, on lui attribue des qualités de nettoyeurs tout comme une grande richesse nutritive complémentaire au grillon ou au vers de soie. « L’isopode est certes moins connu et un peu plus dispendieux que le grillon, mais bien plus riche en calcium », précise l’ancien cracheur de feu.
Pour éviter que la colonie entière ne soit dévorée par le prédateur, on emménage le terrarium avec des cachettes et le cycle de la vie peut ainsi s’opérer devant nos yeux.
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Le premier attrait d’un élevage d’isopodes est donc son côté pratique, complémentaire au prédateur. Mais pour Loyce, la passion pour le crustacé est plutôt ce qui l’a dirigé du côté des hobbyistes, puis des entrepreneurs. Il gère depuis son domicile la boutique en ligne La Shop Bioactive dans laquelle il entretient en captivité une cinquantaine d’espèces différentes qu’il vend ensuite aux particulier.e.s.
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« Pour le débutant, le défi initial est de faire grandir la colonie, poursuit-il. La longévité moyenne d’un isopode est de deux ans. Dès que les membres ont atteint leur maturité sexuelle, il est possible d’établir un cycle reproductif qui peut s’étaler sur plusieurs générations. »
Si certaines espèces peuvent avoir une portée de douze têtes par année, d’autres sont susceptibles de pondre une soixante de rejetons à chaque deux mois. Il est donc possible de voir ses troupes se développer lentement ou de manière exponentielle.
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Un peu d’eau, un bout de carotte et le tour est joué? « Il va probablement y avoir des moments d’incompréhension lorsque des imprévus vont affecter la colonie, ajoute Loyce. C’est un peu comme un aquarium; il y a une période d’adaptation au départ. Un pic d’acidité, une gestion déficiente des bactéries ou de l’aération peuvent causer de la mortalité, mais acquérir des connaissances fait partie du projet. »
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L’élevage d’isopodes s’inscrit dans la catégorie des « animaux de compagnie » dits émergents, au même titre que les phasmes ou les mantes religieuses, de plus en plus populaires en Europe, mais prohibées au Canada en raison du risque d’évasion en milieu naturel. Les isopodes, en majorité originaires d’Asie et d’Europe, sont distribués au pays à partir de réseaux d’importateurs accrédités et ne sont pas victimes de restrictions frontalières.
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Composés d’une morphologie et d’un comportement différent, les porcellios, armadillums et cubaris sont les familles les plus communes et tournent autour de 20 à 50 dollars la dizaine.
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Loyce m’informe que le marché de l’isopode affiche un dynamisme manifeste. « Il y a toujours la dernière nouveauté du moment, surtout dans le haut de gamme. Des hybridations plus recherchées, plus colorées. Il y a des hype, comme le cubaris Rubber ducky. On peut même voir des sous-espèces rares se détailler jusqu’à 1 000 dollars pour une dizaine de têtes ».
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Selon l’entrepreneur, la scène de l’isopode est beaucoup plus développée en Europe et aux États-Unis, mais il estime que sa popularité est au Québec grandissante. Chaque année, son chiffre d’affaires croît de 30 à 40 %. Une progression enviable, mais limitée par son emploi du temps que la gérance parallèle d’une boutique de décoration occupe.
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La communauté québécoise possède entre autres son propre groupe Facebook, Isopodes Qc, pour s’informer des dernières tendances et poser ses questions. C’est sans compter aussi les nombreuses chaînes YouTube destinées à vulgariser la pratique. Comme il est habituel dans les sous-cultures méconnues, la solidarité entre passionné.e.s dévoile un réel esprit d’entraide ainsi qu’une grande érudition.
Loyce Tranchant admet sans hésitation que l’univers de l’isopode domestique est du domaine du très, très niché. On est loin du golden retriever et c’est là que réside une bonne partie du plaisir. Mais si les tarentules ou les scorpions, jadis compagnons alternatifs, sont aujourd’hui démocratisé.e.s, plusieurs annoncent un futur prospère pour ce petit crustacé aux 14 pattes.