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Perdre sa ville

Quand la crise du logement brûle l’espoir.

Par
Jean Bourbeau
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Un lit à quelques pieds des ronds de poêle. Pas de salon, qu’une terrasse pourrie penchant sous le poids des vidanges accumulées. Deux tuiles manquent au plancher de la salle de bain où le joint du voisin camoufle l’odeur de moisissure. En bas de la côte, côté est. Prix demandé : 1 100 piastres par mois, rien d’inclus autre qu’une claque dans face.

L’actuelle crise du logement à Montréal brise le pacte de ce qu’elle a toujours incarné; une ville aux frontières ouvertes où il est possible d’y respirer.

Une destination venant avec la promesse d’y trouver sa communauté, peu importe sa singularité. Avec l’ouverture d’esprit de se coucher tard, de s’habiller comme on veut, de tomber cent fois en amour et de se partir un band sans avenir autre que celui d’avoir du plaisir.

Je me rappelle de mon arrivée à Montréal, habité par l’espoir de la grande ville où tout semblait possible.

Mais le scénario s’enfarge désormais dans les fleurs de la gentrification. En doublant le prix du logement, c’est plus qu’une barrière à l’entrée que l’on impose à cette quête de liberté, c’est un refus de classe. La présence d’un nouveau doorman du portefeuille ne peut qu’aboutir en un nettoyage de la marginalité, oubliant au passage l’histoire d’une terre d’accueil investie de tous temps par les différents de la province, voire du pays entier.

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Trop trans pour ta Côte-Nord natale? Viens à Montréal et en traversant ses ponts, tu y trouveras une famille qui collera à tes couleurs. Un poète sans le sou? Pas grave, il y aura toujours un moyen de s’arranger. C’est correct d’être pauvre ici, crée et on écoutera tes vers en échange d’une bière.

Le doux souvenir d’une cité rapaillée.

Est-ce que tel artiste serait vraiment venu avec sa guitare vivre dans une coloc bancale à 2 200 balles sur l’avenue du Parc? Si aujourd’hui, une dompe coûte le prix d’un palais d’il y a 15 ans, c’est la fragrance alternative d’une ville qui s’exile. Cet obscur objet de désir.

New York, Berlin, Barcelone, jadis des cités porteuses de rêves, sont toutes confrontées aux mêmes dilemmes contemporains de surenchères et de line-up venus spéculer à cette grande course de rats.

Tétreauville, bientôt le prochain Williamsburg?

Si par chance on a scoré un bon nid à un vieux prix, on y reste mordicus en se croisant les doigts que notre propriétaire ne meure pas ou refuse de vendre à un jeune musclé qui voit ses portes comme une game boursière.

Sans oublier le marché parallèle réservé aux privilégiés, celui du swapping, où son 3 et demi jalousé prend la forme d’une pierre précieuse à l’abri des grands vents.

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On peut condamner le laxisme du provincial, les politiques de taxation municipales, les promoteurs immobiliers, la cupidité des petits propriétaires qui font la passe, la récession post-pandémique, alouettes. Mais même avec un vilain à blâmer, les chances sont minces que mon taudis en bas de la côte revienne au prix d’antan. La torontoisation est trop bien amorcée. L’âme de Montréal enfin domestiquée par le culte du rendement.

Naît de cette crise une génération de locataires prisonniers des angoisses du premier du mois. Nostalgiques d’une bohémie qui s’évadera en souvenirs lointains. D’un temps où le charme d’un appartement n’était pas synonyme de plancher flottant couleur acajou et des robinets minimalistes achetés à rabais au Ikea. Où l’on pouvait butiner de quartier en quartier sans capoter ni voir la moitié de son salaire mensuel s’envoler.

Je suis tombé sur l’annonce de mon premier appartement dans Centre-Sud : augmentation de 700 $ depuis mon départ. Loft d’artiste à Saint-Henri : 1 800 par mois. Sous-sol meublé sans fenêtre à Saint-Michel : 980. Wow, quelle aubaine! « Ah, mais le frigo est dans la chambre-salon parce que la cuisine est trop serrée, c’était un locker avant », lance la voix anonyme au bout du fil. Comment tirer tout le minerai d’un duplex.

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Alors que la ville n’a jamais eu l’air aussi poquée, ses derniers grands logements deviennent des Airbnb, ses épaves des hôtels de luxe, tandis que les étudiants soupent à la chandelle pour sauver sur l’Hydro. Les nouveaux arrivants devront s’installer loin de leurs quartiers dans des patelins toujours plus reculés, mais surprise : là aussi les prix auront augmenté.

Quand les économies d’une vie représentent une mise de fond capable d’acheter un abri Tempo, on réalise que le citoyen n’est qu’une devise à taux variable et l’offre de logement abordable, un mirage.

Quelles seront les incalculables conséquences sur la culture montréalaise?

À quel degré son folklore et son imaginaire seront-ils victimes de la grande flambée des prix?

Personne n’en parle, mais on connaît tous la réponse.

Bref, étrange cinéma que celui qui s’offre à notre impuissance. Un drame urbain signé un bail à la fois, sans pour autant connaître là où la chute s’arrêtera.

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