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Perdre sa job à cause de ses statuts Facebook : de Marie-Chantal Toupin à Luc Saint-Hilaire

Quand ton comportement virtuel te nuit dans le réel.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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La Fédération des femmes du Québec (FFQ) s’est empressée de se dissocier de sa présidente Gabrielle Bouchard, après la publication d’un tweet controversé qui a fait grand bruit il y a quelques jours.

Mme Bouchard, qui n’en était pas à ses premières frasques du genre, s’est ensuite confondue en excuses, plaidant une maladresse.

L’avenir dira si Mme Bouchard saura rallier ses troupes et surmonter cette nouvelle crise virtuelle ou si la fédération qu’elle représente continuera de prendre ses distances.

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En attendant, il faut reconnaître que cette histoire est hautement dans l’air du temps et en phase avec un sujet qui m’intéresse depuis longtemps : ces gens qui perdent des emplois ou des opportunités de carrière à cause de leur comportement sur les réseaux sociaux.

Nous vivons dans cette époque particulière où un (e) employé (e) est évalué(e) dans son milieu de travail, mais aussi à la maison, derrière son clavier.

J’ai voulu en discuter avec des gens qui ont vu leurs publications sur les réseaux sociaux prendre des proportions imprévues.

« T’as 24h pour partir sinon on te met à la porte »

Luc Saint-Hilaire ne le cache pas : il est craintif à l’idée de m’accorder cette entrevue. Après avoir été trainé dans la boue puis évincé de son parti pour quelques publications sur Facebook, cet ancien candidat fédéral des Verts dans Lévis-Lotbinière ne veut surtout pas en rajouter une couche.

S’il accepte de me parler, c’est d’abord pour dénoncer le traitement injuste dont il estime avoir fait les frais, mais aussi pour sensibiliser des gens à y penser deux fois avant de détruire des carrières à coup d’amalgames et de fausses accusations.

Mais d’abord un peu de contexte.

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Luc Saint-Hilaire, un stratège et créateur publicitaire, s’est présenté pour les verts aux dernières élections fédérales, lui qui militait bénévolement en faveur de l’environnement depuis des années.

À quelques jours du déclenchement de la campagne, le blogueur Xavier Camus (qui a beaucoup fait parler de lui récemment, notamment en lien avec cet article, qui m’a d’ailleurs valu d’édifiantes insultes) a dénoncé certaines publications de M. Saint-Hilaire sur sa page Facebook personnelle, qu’il jugeait islamophobes.

L’ « effet Camus » a été immédiat. « Dans les minutes suivant la publication du texte, un membre du parti m’a appelé pour me dire: t’as 24 heures pour partir sinon on te met à la porte », raconte M. Saint-Hilaire.

«J’ai reçu des tonnes d’insultes. Ma fille essayait de se porter à ma défense et quelqu’un que je ne connais même pas m’a écrit : vous devriez apprendre à vivre à l’ordure qui vous sert de progéniture.»

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Luc Saint-Hilaire dit avoir tenté de communiquer avec le blogueur, en vain. De toute façon, le mal était fait et l’étiquette « islamophobe » venait de signer l’arrêt de mort de sa courte vie politique. « J’ai reçu des tonnes d’insultes. Ma fille essayait de se porter à ma défense et quelqu’un que je ne connais même pas m’a écrit : vous devriez apprendre à vivre à l’ordure qui vous sert de progéniture », se remémore douloureusement M. Saint-Hilaire, encore secoué par les évènements.

Il déplore aussi le traitement cavalier qu’il a subi de la part du Parti vert du Canada, qui n’a même pas pris la peine d’entendre sa version des faits. « En même temps, je comprends qu’un candidat poteau, tu t’en débarrasse à la moindre controverse », nuance M. Saint-Hilaire.

Il revient en détail sur les trois statuts qui ont fait l’objet d’une dénonciation de la part de Xavier Camus. «Il a remonté plusieurs mois en arrière sur ma page personnelle pour faire des amalgames avec deux posts que j’ai simplement relayé et un original dont la formulation n’était pas élégante j’en conviens, mais c’était pas des attaques islamophobes non plus! », peste Luc Saint-Hilaire, qui en a gros sur le cœur contre ce qu’il estime être une chasse aux sorcières sournoise.

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Il dénonce les dérives sur les réseaux sociaux et leur impact dans la réalité. « Avant, quand tu voulais écœurer quelqu’un, tu le faisais en pleine face, aujourd’hui, les gens se cachent derrière un écran pour régler leurs comptes », se désole l’ancien candidat échaudé, qui ne pense pas se relancer en politique de sitôt. « Je suis à la veille de recevoir mon premier chèque de pension. J’avais rien à gagner là-dedans, je le faisais pour la collectivité. Disons que ça m’a rendu très amer. Facebook était une bonne idée à la base, mais c’est devenu un lieu de confrontations d’opinions et non de faits », résume Luc Saint-Hilaire.

Pas l’objectif de Camus

Joint à ce sujet, le controversé blogueur Xavier Camus assure que son objectif n’a jamais été de faire perdre des emplois à quiconque. « Ça fait cinq ans que j’ai ce blogue, j’ai publié des centaines, voire des milliers de publications et il y a peut-être 5 ou 6 personnes qui ont perdu des jobs. C’est pas beaucoup et ça n’a jamais été mon objectif », répète l’enseignant en philosophie. Quant à Luc Saint-Hilaire, le blogueur minimise sa responsabilité en soulignant que c’est le Parti vert du Canada qui a décidé de l’écarter pour ne pas faire de vagues. « Je n’ai aucune rancœur envers M. Saint-Hilaire et je suis prêt à prendre un café avec lui s’il veut en discuter », résume-t-il.

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Les publications du blogueur ont aussi mené au congédiement d’une agente immobilière, une enseignante et un DJ, en plus du renvoi de quelques candidats à différentes élections. J’ai tenté d’entrer en contact avec la plupart d’entre eux pour connaître leurs versions des faits, sans succès.

Le droit à l’erreur

S’il y a quelqu’un au Québec qui connait les effets pervers des réseaux sociaux, c’est bien Marie-Chantal Toupin.

La populaire chanteuse a subi dans le passé les contrecoups de certaines publications jugées racistes sur Facebook (une étiquette qu’elle a d’ailleurs toujours niée), sans compter plusieurs coups de gueule en majuscules qui lui ont valu bien des critiques.

«Il y a des gens jaloux de ton succès, des narcissiques qui n’ont pas de vie. J’ai réalisé que même quand c’était positif, je me faisais ramasser. Tu donnes de l’amour pis tu reçois de la marde!»

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Cinq ans plus tard, elle affirme avoir fait la paix avec tout ça et plaide le droit à l’erreur. « J’avais pété ma coche, j’étais dans un burn-out. Et comme je ne prenais pas de pilules, j’ai décidé d’aller voir un psy. J’ai réglé le passé », confie l’interprète de Maudit Bordel, qui garde quand même un goût amer de toute cette affaire. « Il y a des gens jaloux de ton succès, des narcissiques qui n’ont pas de vie. J’ai réalisé que même quand c’était positif, je me faisais ramasser. Tu donnes de l’amour pis tu reçois de la marde! », lance sans détour la chanteuse, avec la franchise qu’on lui connait.

Elle s’inquiète des dérives actuelles des réseaux sociaux, qui prennent souvent des airs de tribunaux. « Ça m’inquiète pour les artistes qui travaillent fort dans leur vie et se font démolir. Il y a des gens qui se réjouissent de te voir mourir à petit feu », déplore Marie-Chantal, qui ajoute avoir depuis lâché prise.

Sur Facebook, elle préfère maintenant parler de son nouveau chat Merlin et de ses spectacles, dont une cinquantaine sont à venir ces prochains mois. «Moi j’ai perdu un show à TVA pour une réplique niaiseuse. Je n’ai pas pu m’expliquer et même si je suis barrée là, j’ai encore des fans et je vais continuer à chanter. Je suis chanceuse», résume Marie-Chantal Toupin, qui semble vieillir en sagesse à l’aube de ses 50 ans. « Il me manque une dent, mais je suis encore dedans!», résume-t-elle.

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Imaginer le Centre Bell dans sa face

Je laisse le mot de la fin à Marie-Anne Sergerie, une psychologue spécialisée en cyberdépendance, qui illustre magnifiquement l’importance de mesurer la portée de nos écrits virtuels. « J’aime l’image d’imaginer un Centre Bell bien rempli. Avant de publier quelque chose, on peut se demander si on le ferait publiquement devant autant de gens. Si la réponse est non, on est mieux de se retenir», explique la psychologue, ajoutant que l’effet d’inhibition et l’utilisation de pseudonyme sur le web vont de pairs les risques de dérapage.

«Sur les réseaux sociaux, la rétroaction est immédiate, avec des likes, alors ça joue sur la notion de récompense comme n’importe quelle autre dépendance», résume Mme Sergerie, mettant en garde les internautes contre le miroir déformant qu’est notre algorithme. «On pense à tort que les réseaux sociaux sont le reflet de ce que les gens pensent. On oublie que les plus modérés sont les moins présents.»

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