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Fanny Lefort est auteure, réalisatrice, productrice chez Mimosa Films. Nous partageons son texte avec son autorisation.
9 h 45, jour de la semaine inconnu car les jours de la semaine n’existent plus. J’me dis que j’ai hâte à 13 h 00 pour connaitre le nombre de cas positifs. Pour me faire parler de courbe aplatie à grands coups de mains qui claquent. Pour me faire rassurer par Papa Legault. Notre bon père de famille qui nous dit quoi faire. Quoi ne pas faire. Qui nous fait des pep talks. Y’a maintenant une seule certitude dans ma journée : Legault et Horacio seront là. Ils seront là pour m’encourager à prendre des marches. Ils seront là pour m’expliquer qui peut prendre des marches et ne pas en prendre. Ils seront là pour me dire comment prendre mes marches pour qu’elles soient sécuritaires.
J’imagine, pendant un instant, mon expression faciale, il y a à peine deux semaines, si on m’avait dit que mon PM allait me dire comment marcher.
Marcher c’était une activité banale. C’est maintenant tout ce qui nous reste de l’ancien monde.
Il y a un petit peu plus de deux semaines, on vivait toujours dans l’ancien monde. Les enfants allaient à l’école, le temps doux nous faisait rêver aux terrasses, on prévoyait notre prochain voyage autour d’un copieux brunch entre amis, notre repousse de cheveux était une préoccupation, on mangeait des nachos en faisant des double dip dans la crème sure, on faisait la fête toute la nuit en enlaçant nos amis, on était loin de voir Legault comme un superhéros et on savait ben pas qui était Horacio. Pis des fois on marchait, simplement. Marcher c’était une activité banale. C’est maintenant tout ce qui nous reste de l’ancien monde. Marcher. Marcher, dans le nouveau monde, nous donne le pseudo-sentiment de liberté qu’il nous faut pour continuer d’avancer dans ce nouveau monde.
Imaginez-vous, si, il y a trois semaines, on vous avait parlé de ce nouveau monde. Si on vous avait tout déballé d’un coup sans vous ménager. Majorité d’entre nous aurions fini en petite boule, cachés dans notre garde-robe, les mains sur les oreilles en criant « Réveillez-moi quand ce sera fini … je ne pourrai jamais vivre dans ce monde-là. ».
Pourtant, ça fait deux semaines pis c’est comme si ça faisait deux ans. On se souvient plus de quoi on parlait quand les mots : pandémie, corona, covid, courbe, pic, morts, Italie, tartelettes, distanciation sociale, frontière, isolement, quarantaine, « restez chez vous », Chine, masques, papier de toilette, pénurie, « 2 mètres de distance » et Horacio ne faisaient pas partie de notre vocabulaire quotidien. Hier, j’ai écouté une vidéo provenant de l’ancien monde dans laquelle Obama se promenait dans la rue en serrant la main de tous les passants et dans ma tête, c’était l’équivalent de se faire poursuivre par un tueur et ne pas aller se cacher.
En deux semaines, on est tous devenus tant bien que mal des experts de la courbe aplatie, d’école à la maison, des couleurs exactes de l’arc-en-ciel, de distanciation sociale, de lavage d’épicerie et de pain maison.
On ne pleure pas dans le fond de notre garde-robe. La plupart du temps.
On trouve nos petits plaisirs dans les savoureux moments de folie d’Horacio, dans les photos d’enfance de nos amis Facebook, dans nos 5 à 7 virtuels et dans nos marches à deux mètres de distance.
L’ancien monde est déjà flou. L’ancien monde ne reviendra jamais comme il était. Si après seulement deux semaines, nous sommes devenus à ce point expert du nouveau monde qui était il y a quelque temps inimaginable, alors, après des semaines, des mois, que serons-nous devenus?
Si après seulement deux semaines, nous sommes devenus à ce point expert du nouveau monde qui était il y a quelque temps inimaginable, alors, après des semaines, des mois, que serons-nous devenus?
Les candidats d’Occupation Double vous diront qu’ils ne seront jamais plus les mêmes après avoir été confinés des mois dans une maison avec des gens qui dictent leurs moindres activités. Pis eux, ils avaient parfois droit de chiller avec Jay, à des partys arrosés avec des rapprochements et à des voyages qui font rêver.
Alors, après avoir été privé de tout, sauf des marches, comment réagirons-nous quand nous retournerons vers l’ancien monde?
Qui serons-nous ?
10 :15, jour de la semaine inconnu car les jours de la semaine n’existent plus, il n’y pas juste les marches qui me font sentir libre.
Écrire et imaginer aussi.
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