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Porté par l’adage « Il faut le voir pour le croire », j’ai entrepris d’aller voir de mes propres yeux la mythique frénésie chez Costco, un magasin grande surface élevé au rang de service essentiel, qui a fait les manchettes pour de bien tristounettes raisons ces dernières semaines.
Mais inutile de revenir sur le peu reluisant PapierCulGate qui a, en quelque sorte, marqué le coup d’envoi de la crise (et l’imaginaire).
Trois semaines de confinement plus tard, on a voulu voir si le Costco ressemblait toujours aux plaines d’Abraham le 13 septembre 1759 ou au Centre de la nature de Laval le 21 avril 2014.
À bord de ma rutilante Matrix 2008, j’ai donc mis le cap sur la mégasuccursale d’Anjou, l’endroit même où des clients fâchés jouaient du carrosse en nous forçant malgré nous à philosopher sur le concept de sélection naturelle.
Un crachin tombe du ciel lorsque je me gare dans le stationnement relativement plein du magasin de la rue Bombardier. Je suis habitué d’aller à l’épicerie Poivre et Sel, à la fruiterie Citron que c’est bon ou au Métro sur Saint-Joseph, alors je suis facilement impressionnable.
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Mon premier choc ne se fait pas attendre et confirme ce que j’appréhendais de pire: la file de clients s’étire tout autour de ce gargantuesque temple de la consommation. Des dizaines de clients, certains avec des parapluies, plusieurs âgés et portant des masques, qui attendent docilement à la queue leu leu, en respectant une certaine distance entre eux.
Veni, vidi, vici, disait, je crois, le dresseur canin Cesar Millan. Et maintenant que je suis venu et que j’ai vu, je dois vaincre.
Comme je ne suis pas membre du Costco, j’ai volé la carte de membre de mon père. Si on me gosse avec ça, ma stratégie est de plaider que je viens faire des emplettes pour un septuagénaire confiné sur l’ordre du premier ministre.
Bonne chance pour challenger ça, gérant du service à la clientèle.
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Deuxième constat: les clients sont masqués. Presque la moitié je dirais. Il peut bien y avoir une pénurie de masques dans le milieu hospitalier, les hooligans du Costco se sont clairement servis les premiers.
Visiblement, les gens ne trustent pas vraiment les conseils du doc Arruda, martelant depuis les débuts que le masque ne fait pas le poids devant le combo lavage des mains + distanciation.
Confidences autour du panier
Avant d’entrer dans le magasin, armé pour faire l’épicerie, j’interpelle de loin quelques clients qui en ressortent pour savoir à quoi m’attendre. La plupart semblent en un seul morceau, ça m’encourage.
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Manuel m’assure que les choses tournent rondement chez Costco, mieux qu’ailleurs même. « Les gens gardent leurs distances et quand t’arrives à la caisse, ils s’occupent de vider, scanner et emballer ta commande », raconte le client, qui calcule avoir attendu 50 minutes dehors mais que les choses vont vite une fois à l’intérieur.
Ce travailleur de la construction confiné avec sa famille sort faire l’épicerie deux fois par mois. Sa blonde attend leur deuxième enfant en mai d’ailleurs. « Ça nous stresse un peu parce qu’on a entendu parler de cas d’enfants de quelques mois décédés », souligne Manuel, également inquiet pour ses parents qui vivent au Portugal.
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Un peu plus loin, Nancy aussi ne cache pas ses inquiétudes. « Il y a toujours des gens qui sont malhonnêtes et qui sortent malades. C’est pour ça que je garde mon masque », raconte cette cliente, qui s’inquiète aussi pour son mari. « Il a 69 ans et il est livreur dans un restaurant. Il travaille 10-12 heures par jour et j’ai deux ados à la maison », souligne Nancy.
À mon tour de ramasser un panier pour me mettre en file, avec les autres.
Pas de passe-droit chez Costco, justice pour tous.
Je croise un homme découragé par l’attente. « Ça a pas d’allure! », peste-t-il à l’entrée, avant de rebrousser chemin avec sa bonbonne de propane.
Non camarade, ce n’est pas le temps d’abandonner, courage! Nous vaincrons! #Çavaaller!
Mes encouragements sont vains, cet éducateur spécialisé à la retraite viendra acheter son café favori une autre fois. « Je vais me contenter du vieux en attendant », tranche-t-il.
Ok file d’attente du Costco, tu as peut-être gagné cette bataille, MAIS PAS LA GUERRE.
« Plusieurs viennent pour rien »
Contre le mur, une employée en pause grille une cigarette en broyant du noir. Elle avoue être un peu fâchée de voir que des gens ne suivent pas les consignes à l’intérieur, mais se console avec l’arrivée des panneaux de plexiglass. « Plusieurs viennent pour rien ou pour passer le temps. On va finir par avoir un cas ici avant longtemps », craint cette caissière, qui souligne que le magasin est limité à 200 clients à la fois. « C’est encore trop selon nous », soupire l’employée.
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La file avance plus vite que je pensais. Il pleut encore, si bien que je trouve mes compagnons de line-up encore plus motivés de se faire chier dehors pour pouvoir se procurer des quantités exagérées de Froot Loops, de Scott Towel ou de crottes au fromage.
Un couple de personnes très âgées s’amène en file avec son panier et se fait dévisager par tout le monde.
En approchant de l’entrée, quelques affichent énumèrent les produits en rupture de stock et les règles « d’éloignement social » à suivre à l’intérieur.
2020 sera à jamais l’année où le Purell était discontinué.
Voici d’ailleurs la fiche LinkedIn de la big boss de la compagnie Purell, au cas où vous ressentez le besoin de lui écrire pour lui dire qu’elle A FUCK ALL LIVRÉ LA MARCHANDISE.
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Frotter des congélos
J’observe les paniers des gens qui sortent du magasin. Ça me frappe de voir que plusieurs sont pratiquement vides ou remplis de chips, liqueurs et autres produits absolument non essentiels.
Les mots de la caissière en pause me reviennent en tête.
« Plusieurs viennent pour rien ou pour passer le temps ».
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Ma ruse de fausse-carte fonctionne à l’entrée. L’employée à la porte se tient loin et veut simplement que je lui montre à distance.
« RECULEZ! », m’exhorte une autre employée à l’intérieur, qui entreprend un nettoyage sommaire de mon panier avec une lingette désinfectante pendant que je reste en retrait.
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L’immense magasin est relativement vide. Pour une si grande surface, on s’entend. Parce qu’il y a quand même des dizaines de personnes éparpillées dans les allées, qui s’efforcent tant bien que mal de garder leurs distances.
Plusieurs employés frottent simultanément les portes des congélateurs avec un produit nettoyant. « On fait juste ça », me répond l’un d’eux lorsque je lui demande à quelle fréquence il sort son poush-poush.
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Le papier de toilette aussi est en rupture de stock. Un employé de l’entretien me conseille de venir le matin si je veux en avoir. « Il y a des essuie-tout par contre », ajoute-t-il, comme pour me suggérer une douloureuse alternative. J’ai un bidet de toute façon, je suis au-dessus de mes affaires.
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Il y a une drôle d’ambiance dans le magasin. C’est terriblement silencieux, presque apaisant. On n’entend que le son des carrosses dans les rayons, poussés par des clients masqués qui se toisent avec méfiance.
La bonne humeur règne néanmoins aux caisses, où les employées souriantes accueillent les clients un par un derrière leur panneau de plexiglass. La cantine encore ouverte près de la sortie cultive assurément ce semblant de normalité. 1,50$ pour un steamé moutarde-choux, aucune pandémie ne pourra venir à bout de ça.
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J’exhibe à nouveau ma fausse-carte pour sortir, de loin, à l’employée qui décortique moyen.
L’usurpation d’identité doit être le cadet des soucis de la maison présentement.
Dehors, la pluie a redoublé d’ardeur. La file, elle, s’étend toujours à perte de vue.