Je ne sais pas combien de livres j’ai bien pu lire dans les dernières années, mais je peux affirmer sans hésiter lequel est mon préféré. C’est La renarde et le mal-peigné, recueil qui contient une partie de la correspondance qu’ont entretenue Pauline Julien et Gérald Godin, deux géants de la culture et la politique québécoise.
Deux fougueux, brillants et engagés amoureux qui ont tenté d’exploser les cadres du public comme de l’intime.
Ce livre-là, c’est un peu mon guide. J’y retourne pour me rappeler comment aimer mieux. Comment mettre mes limites et les défoncer volontairement de temps à autre. Comment m’investir, me dévoiler, me déchirer ou me retenir de le faire.
Pauline Julien, c’est pour moi une référence en tant que femme. Pour d’autres, c’est un modèle à titre d’artiste ou encore de militante. Honnêtement, je pense que tout le monde peut trouver en cette géante de quoi aspirer à devenir meilleur. J’ai donc discuté avec deux créatrices dont elle est la muse, question de dresser la liste des raisons pour lesquelles l’interprète et comédienne peut toujours nous influencer, plus de 20 ans après son décès.
S’intéresser à Pauline Julien, c’est mieux nous comprendre
En 2018, Pascale Ferland a réalisé un superbe documentaire au sujet de l’artiste : Pauline Julien, intime et politique. Elle me raconte la genèse du projet : « Je venais de rencontrer un jeune homme qui ne savait à peu près pas qui était René Lévesque. Ce n’était pas de sa faute, c’est juste qu’il n’y a pas de volonté politique pour inscrire ces gens-là au programme… Alors, j’ai eu envie de parler de Pauline Julien. Comme elle s’est impliquée dans énormément d’évènements politiques, ça me permettait de raconter un moment charnière de l’histoire du Québec — qui est la nôtre —, à travers son regard à elle. »
Parce que Pauline Julien ne s’est pas contentée d’être témoin de moments phares de notre passé, elle s’est jetée dans la mêlée. Citons simplement ce jour de 1964 où elle a refusé de chanter pour la reine Élisabeth II; cette fois où elle a fait scandale en criant « Vive le Québec libre! » pendant une conférence du secrétaire d’État canadien au Niger, ou encore son injuste arrestation lors de la crise d’octobre…
Ses actions, comme ses chansons, ont contribué à nous édifier en tant que peuple. (Rappelons-nous qu’elle chantait Vigneault à Paris…)
Ines Talbi, instigatrice des magnifiques spectacles et album La renarde, sur les traces de Pauline Julien, partage cette admiration pour l’artiste citoyenne : « Il y avait quelque chose dans sa façon de s’exprimer, de s’intéresser et de se commettre qui m’inspire beaucoup. Qui me donne le goût d’en savoir plus sur ma société, mon pays. On n’a plus tant de porte-parole comme elle qui nous invitent à regarder notre environnement, à nous éduquer, à embrasser nos pairs et notre culture. À faire en sorte d’exister pour vrai! »
Quand je fais remarquer à Ines que la chanson L’étranger est d’ailleurs toujours tristement d’actualité (avec ses réflexions sur la peur de l’autre), la jeune artiste me répond : « J’ai l’impression que Pauline Julien était plus en quête d’identité qu’en besoin identitaire libéral. Il y avait à l’époque une envie de connaître l’autre et de construire avec lui pour faire un Nous, tandis qu’aujourd’hui, on se demande si les gens font partie du Nous ou pas. »
Triste, et pas faux.
https://www.youtube.com/watch?v=BA_bpGLwnP8
Un modèle d’engagement
Malgré toutes ses actions dans l’arène publique, Pauline Julien refusait de dire qu’elle faisait de la politique. Elle se voyait plutôt simplement comme une citoyenne engagée. En fouillant les archives personnelles de l’artiste, Pascale Ferland a d’ailleurs pu constater à quel point cet engagement était vaste : « Pauline ne sortait jamais chez elle sans avoir de la monnaie à distribuer aux itinérants. Elle aimait beaucoup chanter à la prison de Bordeaux, elle a même correspondu pendant 30 ans avec un prisonnier en particulier. Elle avait à cœur le sort de ses concitoyens, elle était très sensible à la vulnérabilité des autres. »
La réalisatrice poursuit, passionnée : « Elle s’est battue pour les prisonniers politiques, le pays, la langue et les conditions des travailleurs, toutes des causes importantes de l’époque. Mais plus que tout, elle s’est battue pour les femmes, et ça, c’est une cause toujours très actuelle. »
Ines Talbi croit également que le cœur immense de la chanteuse et comédienne a encore de quoi nous inspirer aujourd’hui : « Pauline Julien peut nous rappeler à quel point c’est pertinent d’être connecté à ses sentiments, à sa culture, à sa société; d’avoir un feu intérieur; d’assumer qu’on a des choses à dire, qu’on a le goût d’entendre l’autre, mais aussi de dire le soi. C’est une femme qui se posait énormément de questions avant de s’exprimer, et ça aussi c’est quelque chose qu’on devrait peut-être retrouver… »
Une reine d’affirmation
https://www.youtube.com/watch?v=MAMpHryuqTE
« Elle avait une liberté de corps et de parole. Elle prenait des risques. » Ce sont en ces mots qu’Ines Talbi résume l’impact que Pauline Julien peut aussi avoir sur notre intimité.
Et je partage entièrement son point de vue.
Quand on la lit, on découvre un droit affirmé à la vulnérabilité et la force, le rôle de mère et de tombeuse, la sexualité brute et la tendresse. Chez elle, tous les spectres de l’identité peuvent se déployer, sans honte ni fards.
En entrevue, on a pu l’entendre parler de sa carrière internationale, de ses ambitions artistiques immenses avec front et audace. Là encore, déterminée. Pas de gêne.
https://www.youtube.com/watch?v=V500qCgyB1U
Bref, que ce soit dans l’autodétermination, l’engagement, l’amour de l’autre, l’intimité ou le politique, Pauline Julien a de quoi nous ramener dans le droit chemin. S’agit de lui donner la place qu’elle mérite dans notre cœur et notre histoire.
(Un bon début, ce serait de regarder ce documentaire disponible sur le site de l’ONF, d’écouter ce magnifique album hommage ou encore d’aller voir le show aux Francos!)