L’incendie se répand à vive allure. Les avions-citernes sont là pour calmer le brasier, mais le gros de la job devra se faire sur le terrain. La vigilance sera de mise, puisque les arbres s’embrasent comme des allumettes. L’hélico est sur le point de décoller. Il devra se poser près d’un cours d’eau pour installer les motopompes.
Mario Trépanier, chef de base à Havre-Saint-Pierre, contacte Patrice Godin, en train de siroter son café dans l’appartement qu’il a loué à Sept-Îles. Le comédien, sur le qui-vive, a déjà enfilé ses pantalons de travail.
– Pat! Un feu vient d’être déclaré dans la montagne, t’es prêt?
– You bet!
On dit parfois que la réalité dépasse la fiction. C’est précisément le cas ici, puisque cette scène s’est réellement déroulée il y a quelques mois.
À 55 ans, le comédien-romancier-marathonien Patrice Godin (L’homme qui aimait trop, District 31) a décidé d’ajouter une nouvelle corde à son arc : pompier de la SOPFEU.
L’histoire commence avec la série Détective Surprenant, dans laquelle l’acteur interprète l’antipathique enquêteur Sébastien Gingras.
Le tournage se déroulait rondement aux Îles-de-la-Madeleine, au moment où les feux de forêt faisaient rage* à travers la province et défrayaient les manchettes. « Ça m’a fessé, j’ai voulu faire ma part. Je me suis demandé comment devenir pompier forestier. En novembre 2023, j’envoyais mon CV », raconte Patrice Godin, assis à une table de pique-nique d’un parc à Saint-Lambert.
*2023 était le pire bilan québécois en matière de feux de forêt, avec 4,5 millions d’hectares de forêt qui ont brûlé, dont 1,1 million en zone habitable.
Il vient tout juste de rentrer d’une première saison à combattre des incendies sur la Côte-Nord.
De ZAP à la SOPFEU
Mais avant d’aller plus loin, un petit retour dans le temps s’impose.
Patrice Godin est un acteur prolifique, ancré dans notre paysage culturel depuis une trentaine d’années alors qu’il faisait ses débuts dans le rôle d’un raccrocheur dans la série jeunesse ZAP. Il a ensuite enchaîné les personnages dans des émissions cultes (Ces enfants d’ailleurs, La vie, la vie, Ruptures), en plus de jouer au cinéma (Nô, 1:54) et sur les planches (Le Cid). Il a aussi fait sa marque comme romancier, ayant signé six romans, dont le plus récent, Après les tempêtes (Libre Expression), a été publié en 2024.
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Adopté à la naissance, il a piloté la série documentaire Retracer ses origines, où il accompagnait des gens en quête de leur famille biologique. Amateur de sensations fortes, il a également documenté le quotidien de personnes se préparant à la fin des temps dans la série documentaire Survivalistes.
Bref, d’un coup d’œil extérieur, on serait en droit de se dire que la vie professionnelle de Patrice Godin est au beau fixe et que le succès lui sourit à pleines dents.
Toutefois, fast forward jusqu’après la COVID, lorsque le téléphone commence à moins sonner. Pas au début, puisque la sortie de pandémie s’est avérée plutôt lucrative avec des rôles dans L’homme qui aimait trop et Rencontre au sommet. C’est plus tard qu’un creux est survenu, le prenant par surprise.
« J’avais peut-être surestimé le swing (financier) de ces rôles. J’arrive à l’âge vénérable où une insécurité s’installe. Les filles grandissent (il en a 3, âgées de 22, 20 et 15 ans), le temps passe… », philosophe Patrice Godin.
Pour la première fois, un dur constat s’impose : il n’était pas heureux. « Je ne peux pas me plaindre, j’ai une super belle carrière, mais j’ai trouvé ça dur, de me retrouver dans une position où j’attendais des offres et où j’acceptais des choses que j’aurais refusées avant », nuance-t-il avec franchise.
Pour son bien-être mental, le comédien avait besoin de concret.
C’est dans ce contexte qu’il décide d’envoyer sa candidature à la SOPFEU, après avoir vécu une épiphanie devant l’ampleur des feux de forêt de 2023. « J’avais fuck all d’expérience, sinon d’avoir couru des ultramarathons et de ne pas avoir peur dans le bois. Je ne m’attendais à rien, sérieux. »
C’était aussi l’occasion de concrétiser un rêve de ti-cul.
« Quand j’étais jeune, je voulais être pompier, policier, ambulancier, militaire. Je voulais faire un métier d’aide. Mais je n’ai pas grandi dans une famille où c’était encouragé », explique Godin. Après une enfance rurale à Sainte-Catherine-de-Portneuf, ses ambitions de servir et protéger s’évanouissent en déménageant à Montréal.
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L’appel de Mario
Même s’il n’y croyait pas, Patrice Godin n’a pas eu besoin d’attendre longtemps avant de recevoir un coup de fil de Mario Trépanier, chef de base à Havre-Saint-Pierre. « Il a cru en moi. Il trouvait ça motivant et stimulant, de voir un gars de 56 ans faire un tel move de carrière. »
Patrice Godin passe ensuite les tests physiques les deux doigts dans le nez.
Il faut dire que notre homme n’en est pas à son premier BBQ. Cet ultramarathonien a réalisé plusieurs exploits sportifs, comme des courses de 24 heures ou des épreuves hors normes comme le Bigfoot 200 (300 kilomètres en altitude).
Le chef de base lui donne donc rendez-vous en avril à Havre-Saint-Pierre. Ça voulait aussi dire s’exiler plusieurs mois, loin de sa carrière, sa famille, bref de sa vie. « J’ai le soutien de ma famille, mais je savais que je prenais le risque de perdre des contrats entre avril et septembre. »
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Patrice Godin décide néanmoins de suivre son instinct et fonce tête baissée. Le 5 avril – le jour de son anniversaire – Patrice prend la route seul pour abattre les douze heures jusqu’à sa destination sur la Côte-Nord. Il loue un logement et amorce une période de probation, qui s’est terminée en août dernier.
Résultat : Patrice Godin a passé le test après avoir « coché toutes les cases » et suivi moult formations.
D’ailleurs, sur les six « petits nouveaux », deux ont échoué.
Durant la probation, les aspirants pompiers côtoient les vétérans. Au total, l’équipe compte parmi ses rangs une douzaine de membres.
Une sorte de deuxième famille que l’acteur vient à peine de quitter avec un pincement au cœur.
« Il y a une gang qui se trouve actuellement sur les feux en Alberta et je suis un peu jaloux », confie Patrice, revenu pour jouer un nouveau rôle dans la série Indéfendable.
Toutefois, il n’écarte pas le rêve d’être un jour dépêché en renfort dans une autre province, voire à l’étranger, comme en Australie.
Un trip personnel
À ceux qui doutent, Patrice assure que cette nouvelle vocation n’a rien d’un stunt. Il nie aussi profiter d’un capital de sympathie à cause de sa renommée pour obtenir un traitement de faveur. Au contraire, même, certains collègues se sont d’abord braqués et il a dû faire ses preuves.
« Je n’ai pas eu de free pass. La formation est obligatoire pour tout le monde, sans exception. Au début, des collègues se demandaient un peu ce que je faisais là. Si c’était pour un rôle ou un livre. J’ai vite démontré que ce n’était pas l’acteur qui voulait être là, mais juste moi », assure Patrice Godin.
Il a aussi dû rassurer ceux qui craignaient de le voir débarquer avec des caméras. « C’est vrai que des producteurs m’ont proposé de me suivre pour documenter ma démarche, mais c’est le contraire que je voulais. J’allais là pour m’éloigner de tout ça. »
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De ses collègues, tant les plus jeunes qui ont étudié en tourisme d’aventure ou en foresterie que les plus vieux, dont un ancien militaire de 59 ans, Patrice Godin ne tarit pas d’éloges. On sent l’affection profonde qui unit désormais le comédien à cette « gang de clowns » avec laquelle il vient de passer les derniers mois. « C’est du monde qui aime travailler fort, qui n’a pas peur d’aller au front. Bref, la camaraderie propre à ce type de métier, peu importe l’âge… Mais on a tous 16 ans d’âge mental », résume la recrue.
« Quand les feux pètent, t’es là all in. »
Sur le terrain, ça goal et les troupes n’ont pas le temps de niaiser. Un euphémisme, avec les feux de forêt qui reviennent comme une fatalité, chaque été.
Patrice Godin n’est d’ailleurs rentré chez lui qu’une seule fois, cet été, après avoir accumulé une semaine de congé.
« Dès la mi-mai, les risques d’incendie augmentent. Avant ça, on suit des formations de secourisme pour devenir combattant national ou apprendre à manipuler une scie à chaîne. Mais quand les feux pètent, t’es là all in. »
Patrice a donc partagé son temps en stand by à Sept-Îles et dispersé sur des bases.
« De la mi-juin à la mi-juillet, j’étais dans un camp minier au nord de Port-Cartier, proche de l’épicentre de gros feux. »
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Si la majorité des incendies sont causés par des humains – comme les feux de camp – les plus périlleux à contrôler, selon Patrice Godin, sont provoqués par la foudre, puisque ceux-ci prennent parfois plusieurs jours avant de s’embraser.
S’il commence à connaître son ennemi et son comportement de mieux en mieux, les outils technologiques à la disposition de la SOPFEU sont indispensables à leur combat. Parmi eux, l’hélicoptère est crucial pour survoler le territoire et trouver les points thermaux.
Malgré ces avancées techniques, le travail se fait sur un terrain souvent hostile, en plein cœur du bois, loin des points d’eau. Les journées sont longues, éreintantes, débutent tôt, finissent tard, et ainsi de suite.
« C’est une grosse job sale. Il faut comprendre comment le feu agit, trouver un cours d’eau où installer les motopompes et dérouler des tuyaux à parfois un kilomètre de distance du feu. Mais c’est l’fun en tabarnak, d’aller travailler tous les matins en hélicoptère », résume Patrice Godin avec un enthousiasme contagieux.
La peur de ne pas faire la job
Si le métier de pompier forestier comprend son lot de dangers, Patrice Godin n’a qu’une seule crainte : ralentir le groupe. « Ma plus grande peur était de ne pas pouvoir faire la job, mais je pense qu’à date, je suis pas trop pire. Le feedback est bon », s’enorgueillit-il.
Et si son statut de vedette pouvait ne servir qu’à une seule chose, ça serait de démystifier le métier, surtout étant donné les circonstances dans lesquelles on vit.
« Disons qu’on ne se dirige pas vers une période glaciaire. Il faut faire face à cette nouvelle réalité. »
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En attendant, il ne cache pas avoir hâte à avril prochain, pour reprendre le service et renouer avec la saleté, l’incertitude, les flammes et la Côte-Nord avec laquelle il est tombé en amour. « J’aime les belles affaires, mais travailler à la SOPFEU avec un sandwich au jambon tous les midis ne me pose aucun problème. Il n’y a aucun matin où je n’avais pas un sourire dans la face en allant travailler, cet été. »
Et si Patrice Godin avait enfin trouvé le rôle de sa carrière?