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Passer des photos post-mortem aux selfies funéraires

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Vous avez sûrement déjà vu passer sur internet ces fameuses galeries de photos datant de l’époque victorienne, sur lesquelles on voit une personne décédée, habituellement bien mise, seule ou accompagnée.

Ces compilations de photos sont souvent accompagnées de mots comme “creepy”, “haunting” ou “choquantes”, et bien franchement, on comprend assez vite pourquoi en les regardant.

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On a beau savoir que ces photos étaient pour les proches l’une des rares représentations visuelles du défunt à garder en souvenir et qu’elles servaient à cheminer dans le deuil, il ne nous viendrait pas aujourd’hui l’idée d’arranger une photo de famille entre l’exposition et la messe.

Vraiment?

Il semblerait pourtant que les photos post-mortem ne sont pas si éloignées de cela de notre réalité : elles ont été remplacées par un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur… les selfies funéraires. On n’invente pas ça, c’est Denis Desrochers, président de la Corporation des thanatologues du Québec, qui le dit!

“J’ai une appréciation mixte par rapport à ça, mais je note que c’est un phénomène en croissance. Si c’est fait pour les bonnes raisons, ça peut être correct, ça peut avoir tout son sens. Si les proches veulent garder un souvenir avec la personne décédée et qu’ils gardent ça privé, c’est une chose. Mais faire un selfie pour faire un selfie et mettre ça sur Facebook, j’ai un peu plus de misère, je trouve que ça dénature le geste posé. Il ne faut pas faire ça par souci de valorisation individuelle. Ce qu’on vient célébrer dans des funérailles, c’est la vie d’une personne, pas sa mort!” dit-il.

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Heureusement, une recherche sommaire sur Instagram et sur la partie publique de Facebook tend à démontrer que les gens ont la décence de garder ces photos pour eux-mêmes. Il y a bien sûr quelques exceptions, mais vu que ça fait les nouvelles chaque fois que ça arrive, on peut se douter que le partage de ces images n’est pas généralisé.

Et comme le deuil est un cheminement bien personnel, il faut parfois s’arrêter un peu avant de juger : un homme a raconté à son thanatologue que c’est une photo de ce genre qui l’avait aidé à accepter la mort de son frère, décédé lorsqu’ils étaient tous deux enfants. La photo en question réunissait le garçon et son frère décédé, et avait permis au premier de concrétiser l’affaire en vieillissant, et de vivre un cheminement de deuil plus aisé.

Photo ou pas, il ne faut pas négliger l’impact de la visualisation de la mort sur le processus de deuil, soutient Denis Desrochers.” Dans la mort, on est tous un peu des Thomas : il nous faut voir pour croire. Je suis l’un des grands défenseurs de l’importance de la visualisation. Je ne parle pas de tout un rituel avec cercueil et compagnie nécessairement, mais c’est important de prendre un moment pour dire adieu. Ça peut être juste avec les proches.”

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Embaumé sur sa moto

Lorsqu’on imagine une exposition, les éléments varient peu : on pense au défunt dans un cercueil, en habit chic, les mains croisées.

Certains ont toutefois des idées bien originales. On a déjà vu un homme embaumé sur sa moto, un autre debout sur un ring de boxe ou encore un assis avec une cigarette à la main.

Une façon de faire avec laquelle les thanatologues interrogés ne sont pas très en accord. “Dans nos maisons funéraires, on choisit nos politiques et lignes directrices. Il y a certaines choses qu’on peut faire, et d’autres qu’on ne fera pas pour ne pas que ça devienne burlesque ou loufoque. T’as le droit d’aimer le poker ou la moto, on va rentrer la moto dans le salon si tu veux, mais des fois ce qui se fait, je ne suis pas sûr que c’est digne et respectueux”, estime Denis Desrochers.

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Parlant de dignité et de respect. Ces deux notions sont centrales dans le projet de loi 66, qui devrait être en vigueur d’ici la fin de la session parlementaire et qui actualise la Loi sur les activités funéraires, qui n’avait pas changé depuis 40 ans. On y précise entre autres que les cendres issues de l’incinération doivent être traitées avec dignité et respect, ce qui n’était pas le cas avant. Quand on lit l’article 71, on se surprend qu’il énonce une évidence comme “nul ne peut disperser des cendres humaines à un endroit où elles pourraient constituer une nuisance ou d’une manière qui ne respecte pas la dignité de la personne décédée”.

On doit vraiment préciser ça?

Oh oui. Des cendres abandonnées dans des supermarchés, dans des maisons ou même dispersées dans un stationnement, ça s’est vu.

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Avec 70 % des gens qui choisissent de se faire incinérer, c’est bon d’avoir des balises, même si elles laissent place à interprétation. “Le législateur nous donne ainsi une ligne de conduite particulièrement importante quant à la façon de traiter les restes des êtres humains et des personnes décédées. Ça fait des années que les présidents précédents et moi-même clamons sur tous les toits l’importance de traiter les humains décédés avec dignité et respect”, souligne Denis Desrochers.

Si les cendres sont inhumées ou dispersées, le lieu devra être indiqué au registre des activités funéraires de l’entreprise avec laquelle les proches du défunt ont fait affaire.

Sucre à la crème et souvenirs

Denis Desrochers en glissait un mot lorsqu’il parlait des selfies tantôt : dans des funérailles, c’est la vie d’une personne que l’on célèbre, pas sa mort. Ce qui peut donner lieu à des moments si agréables… qu’on pourrait être tentés d’esquisser un sourire sur une photo.

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“Tout récemment, une dame est décédée à l’âge de 102 ans, et on avait mis à côté de son cercueil une photo d’elle à l’époque où elle avait 25 ans. Elle se tenait dans une échelle appuyée sur un mur de grange, avec une jambe dans les airs et une belle jupe à paillettes. On la voyait, et on avait envie de la demander en mariage. À côté, elle reposait dans son cercueil, à 102 ans, et était encore toute belle. Quand on dit qu’on vient célébrer la vie d’une personne, c’est vraiment qu’on part en voyage dans sa vie, on se remémore et on relate des histoires de la personne qui vient de décéder. C’est ça qui est thérapeutique, qui fait du bien.”

Un autre exemple? Une femme dont les cinq dernières années de vie avaient été difficiles. Elle souffrait de la maladie d’Alzheimer et n’avait pas été commode avec son entourage. Mais à quoi bon se remémorer la maladie? “On avait mis du sucre à la crème dans le salon. On s’entend, personne n’en a mangé, mais tout le monde avait des histoires à se raconter par rapport à ça! On veut se rappeler de ce qui nous a fait du bien.”

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Ce n’est pas toujours tentant d’aller à des funérailles. Mais, soulignent les thanatologues, ça reste une forme de thérapie de groupe, un rite important pour cheminer dans le deuil. Se cacher dans le tourbillon de notre vie pour y échapper ne nous permettrait pas réellement de nous y soustraire; on ne ferait que repousser le contrecoup à plus tard.

Et si jamais vous êtes à l’étranger ou trop mal en point pour vous rendre à des funérailles?

Demandez à pouvoir assister à la cérémonie par webcam. Les salons ont pensé à tout…

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