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Pas de répit pour Valérie 

Quand les États-Unis refusent de te donner un break.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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La photo qui coiffe cet article ne reflète en rien la réalité de Valérie Beaudoin, chroniqueuse spécialisée en politique américaine qui n’a pas le temps de se prélasser sur le bord d’une piscine en cette période estivale.

Un euphémisme, puisque cette chercheure associée à l’Observatoire sur les États-Unis à la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM calcule avoir enchaîné une cinquantaine d’entrevues sur différentes tribunes, depuis deux semaines.

« J’en ai même refusé une quinzaine parce que j’essayais de prendre des vacances. Je voulais me limiter, mais un ex-président s’est fait tirer dessus…», soupire la principale intéressée, collaboratrice régulière au micro de l’émission Le Québec maintenant (98,5FM), qu’on peut aussi entendre chez Radio-Canada, Noovo et TVA.

Comme si l’actualité américaine s’était donné comme mission de ruiner toute tentative de répit, du verdict de culpabilité de Trump dans l’affaire Stormy Daniels, au lancement de campagne de Kamala Harris, en passant par le visionnement du débat catastrophique dans un wagon de VIA Rail.

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« Quand Biden a démissionné, j’étais enfermée dans ma voiture à 40 degrés, les fenêtres baissées, dans une halte routière de Rigaud, pour donner une entrevue. La semaine d’avant, lors de la tentative d’assassinat, je buvais des margaritas dans une chambre d’hôtel avant d’aller au FEQ. J’ai les jours suivants commenter l’événement dans ma voiture, au bord de la plage du Lac-Simon », raconte Valérie, qui ne se plaint aucunement de son sort.

Au contraire, elle se satisfait des six jours de congé qui lui ont permis de souffler un peu.

« OK, c’est plus cinq jours et demi… », corrige cette workaholic assumée, qui est parvenue à se frayer une place dans notre paysage médiatique au fil des années. « Je me permets plus de dire non de temps en temps, mais pas assez », admet Valérie, qui carbure à fond de sa passion pour la politique américaine.

Ses proches sont heureusement conscients de la place qu’elle occupe, comme cette amie qu’elle a quittée après son verre de vin, en plein restaurant, pour aller commenter au téléjournal la tuerie d’Uvalde, par exemple.

Sa dernière escapade a coupé court lorsque Biden a démissionné.

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« Je ne suis pas croyante, mais j’avais envie de prier pour avoir deux jours de congé, et je les ai eus avant sa démission. Il y a un côté égoïste de moi qui souhaitait que Biden reste au pouvoir pour avoir un bel été! », admet Valérie en riant, redoutant une nouvelle bombe médiatique à l’approche de l’anniversaire de son fils en août.

« Comme pigiste, il y a tout le temps une anxiété quand tu sais qu’une nouvelle va tomber et que tu espères qu’elle va entrer dans ton horaire », résume Valérie.

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House of Cards sur les stéroïdes

Pour lui donner l’illusion d’être un peu en vacances, on s’est donné rendez-vous chez sa mère, Marie-Josée, et son beau-père, Gilles, au bord de leur piscine de La Prairie, sur la Rive-Sud de Montréal.

C’est d’ailleurs là que Valérie a passé son adolescence, à l’époque où elle voulait devenir avocate en droit international (avant de réaliser que ça ne voulait pas dire grand-chose), ou journaliste terrain en zone de guerre, comme Michèle Ouimet.

Son intérêt pour les États-Unis remonte aux premières vacances familiales sur la côte est. « J’ai toujours aimé la culture américaine et j’ai suivi ce qui se passait après le 11 septembre, la guerre en Afghanistan… », raconte Valérie.

Elle a même obtenu une bourse en 2009 à Washington comme assistante de recherche à la National Defense University, en plein buzz Obama.

Aujourd’hui, l’ambiance n’est plus très « Yes we can », ce qui fait parfois sourciller la chroniqueuse.

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« Je me dis : “est-ce que j’ai fait toutes ces études pour commenter les histoires de Trump et d’une ancienne pornstar, ou encore la présence d’un ver dans le cerveau du neveu de Kennedy?” », illustre Valérie Beaudoin, d’avis que de plus gros enjeux mériteraient parfois notre attention.

« Je suis inquiète pour les femmes aux États-Unis. Depuis l’invalidation de l’arrêt Roe c. Wade [qui protégeait le droit à l’avortement], je n’envie pas leur position. C’est triste aussi pour les plus jeunes de ne pas avoir accès au rêve américain. Si j’étais Américaine, je serais extrêmement cynique », tranche Valérie, qui décrit actuellement la politique du pays voisin comme l’émission télévisée « House of Cards sur les stéroïdes ».

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Crème solaire et bon wifi

Ironie du sort, Valérie Beaudoin s’attendait à couler des jours paisibles après la présidence de Trump, lorsque Biden a transporté ses rhumatismes au 1600 de l’avenue Pennsylvanie.

« Même mes patrons se demandaient si ça valait la peine de maintenir une collaboration assidue, mais finalement, on m’a même ajouté des chroniques », souligne celle qui détient une maîtrise en études politiques appliquées de l’Université de Sherbrooke, notamment.

Au bord de la piscine familiale, elle profite d’une journée « relaxe »: deux chroniques le matin, une prévue en après-midi. Mais Valérie sait que les choses peuvent débouler rapidement.

Pas pour rien que, quand elle songe à prendre des vacances, une bonne connexion est en tête de sa liste de choses à prévoir, juste avant la crème solaire et les maillots de bain. « Ce qui est le plus difficile, c’est la culpabilité que je m’impose en étant sur mon cell. Parfois, je ne m’en rends même pas compte », avoue-t-elle.

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Par chance, l’animatrice de la série balado Miss America a le soutien de ses proches et un horaire flexible lui permettant – à l’occasion – de barboter dans la piscine de sa mère et passer du temps avec son fils.

« Je me sens quand même mal quand je suis en train de donner une entrevue en voiture et que je dois demander à mon enfant de se taire en arrière », admet-elle.

Pour l’heure, Valérie risque d’avoir de la broue dans le toupet au moins jusqu’aux élections de novembre. « Et ensuite, soit Trump retourne à la Maison-Blanche ou une première femme sera élue… »

Traduction : Valérie ne devrait pas manquer d’ouvrage jusqu’aux fêtes.

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Tant qu’à avoir une experte sous la main

Tant qu’à avoir un peu de temps avec une pro de la politique américaine, autant en profiter pour lui poser les questions que tout le monde se pose, actuellement.

Est-ce que les Américains sont prêts à élire une femme? Valérie ne tourne pas autour du pot, après avoir sans doute répondu 150 fois à cette question au cours des derniers jours.

«Oui, ils sont prêts à élire une femme, mais une femme parfaite », répond-elle.

On devine en voyant les premières attaques portées contre Laughing Kamala (allô Valérie Plante), soit sur le fait qu’elle n’ait pas d’enfant ou ne soit supposément pas assez noire (est-ce une vraie Américaine?!?), que la vice-présidente ne coche pas suffisamment de cases.

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« Est-ce la sauveuse du parti démocrate? Non. Mais elle a gagné en expérience depuis quatre ans », ajoute Valérie Beaudoin, précisant pour ceux qui reprochent à Kamala d’avoir été discrète que le travail de VP s’effectue surtout dans l’ombre.

Même si c’est toujours risqué pour un analyste politique de se lancer dans des prédictions, Valérie estime néanmoins que les démocrates ont de bonnes chances de l’emporter.

« Trump est un candidat faible et n’est pas aimé par plus de la moitié des États-Unis », estime la chroniqueuse, capable de reconnaître des forces au controversé candidat républicain. « C’est un bon showman, capable de parler naturellement au monde et de descendre de son piédestal de milliardaire », observe-t-elle.

Quant à savoir pourquoi, parmi une population de 333 millions d’humains, on peine à trouver deux adversaires de qualité pour prendre les rênes de la première puissance mondiale, Valérie hausse des épaules. « Trump voulait sa revanche et Biden croyait être le seul à pouvoir le battre. Aussi, leur système électoral ne permet pas de course à plus que deux partis », résume l’analyste.

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L’entrevue se termine, le soleil cogne dans cette oasis banlieusarde.

L’eau est à 80 et une saucette est de mise. Gilles propose de me prêter un maillot. Comme j’ai vaguement la shape de Ryan Gosling dans Barbie, pourquoi pas.

Si elle pouvait partir en voyage longtemps, Valérie ferait une tournée de plusieurs mois aux États-Unis en vanlife, pour raconter des histoires. Elle irait sinon en Grèce ou en Turquie. Lorsqu’elle a pris trois semaines de vacances, l’an dernier, c’était la première fois en cinq ans qu’elle s’offrait plus de cinq jours de congé.

« J’aimerais être aussi à l’aise financièrement que mes collègues chroniqueurs qui prennent deux mois en été », laisse-t-elle tomber, sourire en coin.

En attendant, la piscine de maman Marie-Josée et Gilles fait la job pour créer l’illusion.