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Partis pour la gloire : Capitalisme 1 – Créditistes 0
Comme la plupart des pays, le Canada évolue dans un système capitaliste (espérons qu’on ne vous l’apprend pas!) Donc ici, pour gagner de l’argent, il faut généralement vendre du temps de travail à une entreprise. Là non plus, pas de surprise. Le gouvernement peut aider les plus démunis notamment à travers différents mécanismes de redistribution de la richesse, mais de façon générale, la fameuse main invisible du marché est censée s’occuper du reste, somehow.
La droite se satisfait généralement assez bien de ce modèle, parce que selon elle, il incite à la productivité et à la responsabilité individuelle. Mais ça n’a pas toujours été le cas. Au vingtième siècle, un mouvement de droite populiste contestait ce modèle économique et proposait un système alternatif : le crédit social. Vous l’avez deviné, cette semaine, les créditistes sont à l’honneur!
Bon, le système de crédit social ne visait pas à renverser complètement le capitalisme. Le concept des créditistes ressemblait plus à un revenu minimum garanti, c’est-à-dire une garantie que tous les citoyens auraient droit à un revenu fixe annuel, en plus du salaire tiré de leur emploi.
Le crédit quoi?
La théorie est un peu lourde, donc on va garder ça simple. La prémisse de base, c’est que le pouvoir d’achat des citoyens n’augmente généralement pas aussi vite que le PIB national. Même en période de croissance économique, les gens ne s’enrichissent pas autant qu’ils ne le devraient, au rythme de l’économie. C’est pour rétablir cette injustice que les partisans du crédit social souhaitaient redonner de l’argent aux citoyens, sous forme de crédit.
Clifford Hughes Douglas, à l’origine du concept de crédit social, considérait que l’avancement des technologies allait inévitablement faire baisser le nombre d’heures de travail nécessaires, notamment grâce à l’automatisation des industries. C’était un de ses arguments principaux pour défendre l’idée du crédit social.
Si la droite et la gauche réussissent à s’entendre sur une idée, c’est surtout parce que c’est pas mal vendeur d’offrir du cash à tout le monde.
C’est le même argument qu’utilise aujourd’hui Andrew Yang, un des candidats démocrates à la présidence des États-Unis, pour vendre l’idée d’un revenu minimum garanti. Au Canada, le Parti vert et le NPD sont aussi favorables à l’idée. Mais si la droite et la gauche réussissent à s’entendre sur une idée, c’est surtout parce que c’est pas mal vendeur d’offrir du cash à tout le monde. Au vingtième siècle, cette idée était tellement populaire que les partis créditistes ont même réussi à former le gouvernement dans plusieurs provinces, parce que oui, le mouvement créditiste avait une branche fédérale et plusieurs branches provinciales.
Une année record
C’est en 1935 que le premier gouvernement créditiste provincial de l’histoire est élu, en Alberta. Le parti a même réussi à se faire réélire à huit reprises par la suite! Mais au départ, personne n’imaginait une victoire créditiste… à commencer par les créditistes eux-mêmes, qui étaient tellement convaincus de perdre qu’ils n’avaient même pas pris la peine de nommer un chef pour leur parti durant l’élection.
Les créditistes eux-mêmes étaient tellement convaincus de perdre qu’ils n’avaient même pas pris la peine de nommer un chef pour leur parti durant l’élection.
En 36 ans de gouvernement en Alberta, le Parti créditiste ne réussira jamais à instaurer un système de crédit social. Disons que réformer le capitalisme, c’est pas une mince affaire. Le parti créditiste souhaitait notamment nationaliser les banques et créer une monnaie complémentaire, et une simple province ne peut pas faire de tels changements sans modifier la constitution canadienne. Le parti s’est donc transformé en un parti de droite sociale traditionnel.
Et puis la chute
Le mouvement créditiste s’est par la suite essoufflé dans l’Ouest à partir des années 1960, notamment en raison de la division entre les Québécois et les autres Canadiens. À l’époque, l’aspirant-chef du parti fédéral, Réal Caouette, était détesté par les anglophones créditistes, qui refusaient de se faire diriger par un Québécois. Caouette créera donc par la suite le Ralliement créditiste, un parti essentiellement québécois, qui remplacera graduellement le Parti créditiste originel.
C’est par exemple grâce aux créditistes que les menus de la cafétéria du parlement canadien sont aujourd’hui présentés dans les deux langues officielles.
C’est au Québec que, par la suite, les créditistes feront élire le plus de députés. De 1962 à 1979, les créditistes remportent même plus de sièges au Québec que dans toutes les autres provinces réunies. Le parti deviendra donc rapidement un des premiers véhicules politiques à défendre le nationalisme québécois au parlement canadien, un peu comme le Bloc québécois de nos jours. C’est par exemple grâce aux créditistes que les menus de la cafétéria du parlement canadien sont aujourd’hui présentés dans les deux langues officielles. C’est quand même un peu cool. Un peu.
Aujourd’hui, le mouvement créditiste s’est pratiquement éteint. L’histoire ne retient donc pas beaucoup de choses d’eux, sauf qu’ils étaient un peu wacko et qu’ils avaient vraiment peur des jeunes, de la drogue et du fun en général. Mais au moins, ils ont rendu la politique canadienne du vingtième siècle un peu moins ennuyante. C’est déjà ça.
La semaine prochaine, on parle du plus vieux parti de l’histoire du Canada et du Québec : le Parti canadien.