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Partir chercher l’inspiration en Inde

Par
Zacharie Routhier
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Quand Delphine Dussoubs part en sac à dos, elle choisit l’aquarelle plutôt que la photo. D’un voyage à l’autre, elle trace le contour des rencontres et des surprises qui se dressent sur son chemin. Et de toutes ses aventures, c’est l’Inde qui lui a offert les plus beaux contrastes. Voici son récit.

Ça doit bien faire huit ans que j’attends le bon moment pour partir en Inde.

On m’a souvent dit que c’était comme voyager dans un univers parallèle — la pauvreté, le système de castes, la jungle humaine… Je sais que je serai choquée. Et c’est tant mieux ! Je souhaite aller à la rencontre de ce qui est différent de moi.

Ce n’est pas en écoutant les histoires des autres que je pourrai m’imprégner de la culture indienne. Ni en m’isolant dans des hôtels de luxe, protégés du chaos des rues. À quoi bon, sinon ?

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On m’a souvent dit que c’était comme voyager dans un univers parallèle — la pauvreté, le système de castes, la jungle humaine…

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Je l’ai senti dès mes premiers pas en Inde : je suis « la Blanche ». Partout, les gens de l’endroit ont cette curiosité déstabilisante à mon égard. Où sont rendues les photos qu’on a prises de moi ? Suis-je devenue l’épouse inventée d’un Indien sur Facebook ?

Avec une majorité d’hommes au pays, ça fait un peu peur, au début. Mais je m’habitue; même que je trouve ça drôle. Enfin, ça dépend des fois… À un moment, j’ai dû courir et me cacher derrière une statue pour éviter quelques groupes d’étudiants trop enthousiastes. C’était intense !

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Ce matin, en marchant à Agra, j’ai croisé un rassemblement de policiers. On m’a invitée à les rejoindre et à m’asseoir aux côtés du chef. Derrière moi, six rangées d’hommes, alors que les autres femmes sont installées en face. Gêne. Je n’ose pas croiser les regards, alors que la couleur de ma peau semble transcender les genres.

On m’accueille en grande pompe, car c’est la veille du jour de l’An. J’apprécie beaucoup l’hospitalité, mais il faut malgré tout que je fasse attention : je n’ai pas suffisamment d’anticorps pour boire l’eau qu’on m’offre. Je la verse plutôt discrètement derrière moi… oups !

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Comment se comprendre entre cultures différentes ? Dans deux langues différentes ? Pour négocier, j’essaie de reprendre les mouvements corporels de la population locale. Le classique, c’est un hochement de la tête à mi-chemin entre le oui et le non.

Mais qu’est-ce que ça signifie, exactement ? Oui ou non ? Un peu des deux, j’imagine… Je ne sais pas trop. Mais cette danse avec les vendeurs me permet d’avoir de meilleurs prix, comme pour récompenser mon effort d’intégration.

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Ici, les camionneurs sont propriétaires de leur bolide. Et ils en sont fiers, au point de les couvrir de mille et une couleurs. En marchant dans la rue, je ne peux pas m’empêcher de les photographier.

Les conducteurs en profitent : ils viennent poser aux côtés de leurs œuvres. Ça me rappelle drôlement les pick-ups modifiés des États-Unis, version indienne !

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Mon carnet et mes pinceaux attirent généralement peu l’attention quand je voyage, quoique des gens viennent parfois à ma rencontre pour jaser.

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Mais aujourd’hui, quand j’ai levé les yeux, il n’y avait pas qu’une ou deux personnes, mais plutôt… une vingtaine ! Vingt hommes qui m’observaient, espérant être immortalisés dans mes aquarelles. Awkward.

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En me faisant bousculer par le bazar dans les rues, j’ai eu l’impression de reprendre ma place dans le monde, de remettre mes pendules à l’heure.

Je quitte un pays, mais j’ai plutôt l’impression de quitter une autre époque. Je ne vais jamais juger une culture, mais c’est toujours déstabilisant de se confronter à une réalité qui est si loin de la sienne. En me faisant bousculer par le bazar dans les rues, j’ai eu l’impression de reprendre ma place dans le monde, de remettre mes pendules à l’heure.

De réaliser mes privilèges, aussi. Je ne suis pas née prisonnière d’une caste. Mon rang social n’est pas déjà tracé dès ma naissance. Et je vis dans un pays où les femmes peuvent élever la voix.

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Mais je reviens surtout avec plein d’odeurs, de couleurs et d’inspiration pour créer. Énormément d’inspiration pour créer !