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Vous avez sûrement entendu des histoires de gens gravement malades, qui s’accrochent péniblement à la vie jusqu’à ce qu’un événement ou un signe leur fasse savoir que c’est le bon moment pour lâcher prise.
Que ce soit un homme atteint d’un cancer et pour qui on sent que la fin arrive. On réunit les proches, et pour une raison inconnue, le malade décède seulement une fois que la dernière personne, celle qui venait de loin, entre dans la pièce. Comme si le mourant se disait: «Nous sommes enfin tous réunis, je peux maintenant partir».
On peut aussi penser à Bowie qui a quitté ce monde en janvier 2016, deux jours seulement après avoir lancé son album tapissé de paroles évoquant son éventuel départ. Le testament parfait, son chant du cygne. Comme si toute sa carrière était une immense mise en scène avec comme acte final, une mort annoncée.
Savoir partir au bon moment, c’est quelque chose qui va au-delà du phénomène du dernier souffle.
On indique sur les sites traitant de la fin de vie (soins palliatifs, société canadienne du cancer) qu’une personne qui s’approche de la mort a souvent une période passagère où ses symptômes semblent la quitter. Le mourant est alors plus alerte, plus ludique et interagit plus facilement avec les gens qui l’entourent. C’est comme si cette personne réussissait à faire l’effort d’accumuler assez d’énergie pour dire un dernier au revoir avant de partir pour de bon.
Mais dans certains cas, les conditions sont parfaites pour lâcher prise et dire : OK, je suis prêt, grande faucheuse, vient me chercher.
L’histoire de Rachel
Voici une histoire qui me permet d’en témoigner. Rachel, ma belle-mère, était atteinte de la sclérose latérale amyotrophique (SLA), aussi connue sous le nom de la maladie de Lou Gehrig.
Comme maladie, la SLA c’est vraiment une chienne, une salope.
En gros, c’est un brouillage de la communication entre le cerveau et les muscles. Le cerveau envoie habituellement des messages aux muscles pour réaliser des gestes simples comme bouger, marcher, parler, écrire. Avec la SLA, plus de lien. Perte du signal, pas de réseau, même pas une barre, rien. C’est comme si Donald Trump bâtissait un mur entre le cerveau et les muscles. Sans communication, les muscles s’atrophient et ne peuvent plus agir normalement. Cependant les signes vitaux (battement de cœur, respiration), les cinq sens et la conscience ne sont habituellement pas touchés. Donc tu souffres et tu en demeures conscient.
Rachel vivait avec la SLA depuis deux ans et son état se détériorait à vue d’œil. De visite en visite, les membres de la famille voyaient un affaiblissement de son état.
Vers la fin de l’été, son fils Mathieu qui est musicien décide de former une chorale et de monter un spectacle hommage pour sa mère dans la période des fêtes. Un projet ambitieux, surtout compte tenu de l’état de santé de sa mère.
Il compose des morceaux, choisit des pièces avec Rachel, rassemble des gens pour pratiquer et fixe une date pour le petit spectacle intime, le 18 décembre, juste avant Noël. Celui-ci devra avoir lieu au domicile de Rachel, car elle ne peut plus se déplacer.
Le jour venu, le sous-sol de la maison nous paraît comme une jolie salle de spectacle intime et chaleureuse. Amis et membres de la famille se sont rassemblés pour voir Rachel ainsi que la performance des artistes. On la transporte en bas, on l’installe le plus confortablement possible, assise avec sa fille, son autre fils et son mari (je tiens d’ailleurs à souligner le travail des aidants naturels, de véritables anges pour les mourants). Le spectacle commence.
C’est beau, c’est doux, c’est tendre, c’est presque funéraire et c’est parfait.
Une fois le spectacle terminé, une fois les convives retournés chez eux, Rachel décide elle aussi de partir, mais pour une autre destination. Elle savait que son fils avait ce projet de spectacle pour elle. Rachel a tenu bon jusqu’à ce moment. Elle a eu l’occasion de revoir tout son monde, elle pouvait maintenant fermer le livre. Le timing était parfait, c’était le bon moment pour partir.
Après le spectacle, ma belle-sœur qui est d’origine italienne nous demande si nous avons compris le sens des paroles de la première pièce de la chorale.
Laissez-moi mourir, que ça disait.
Mathieu nous raconte qu’il y a dix ans, alors que Rachel était encore en pleine forme, elle avait entendu cette pièce et dit: «À ma mort, je veux que vous fassiez jouer cette musique».
Dix ans plus tard, sans trop le prévoir, la pièce lui est jouée quelques heures seulement avant qu’elle nous quitte.
Bon voyage belle-maman.
Pour lire un autre texte de Fred Simard: «Le petit lexique de l’immigration».
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