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Après huit ans à essayer d’avoir un enfant, j’étais prête à passer à autre chose quand, de façon tout à fait inattendue, la chance a tourné. Aujourd’hui, je suis Mom, mais toujours pas Rose (ce n’est pas l’envie qui manque!). Les RoseMomz m’ont offert une tribune pour raconter mon expérience peu commune…

En huit ans d’infertilité, j’ai noirci les pages d’environ 25 journaux intimes. Puis, contre toute attente, je suis tombée enceinte et pour la première fois j’ai vécu une grossesse sans problème. Tout ce que j’ai trouvé à écrire pendant ces 40 semaines, ce sont les quelques moments difficiles et, surtout, l’inquiétude qui ne m’a pas quittée tout au long de cette période merveilleuse.

On pourrait croire que les femmes qui tombent enceintes après tant d’années d’attente éclatent de joie en permanence, mais ce serait trop simple. Après avoir vécu autant de pertes (que ce soit des fausses couches ou seulement le retour des règles vécu chaque mois comme un nouveau deuil), le cerveau est conditionné à s’attendre au pire.

Mais ce n’est pas de ça que je voulais parler.

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Lorsque les RoseMomz m’ont proposé d’écrire sur ma grossesse, j’ai accepté avec enthousiasme. Écrire sur la grossesse, n’est-ce pas ce dont je rêvais depuis près de 10 ans? Puis j’ai pris conscience que j’étais complètement terrorisée.

Tout ce qui me venait en tête, au début, c’était ce que j’avais couché sur papier, soit les moments de petite colère (mon médecin qui me dit que j’ai pris trois kilos de trop, puis au rendez-vous suivant, qui me chicane parce que j’ai perdu trop de poids; une overdose de conseils bien intentionnés; un mari le nez dans sa tablette plutôt que dans la liste de tâches qui s’allonge) ou de légères déceptions (le prénom choisi ne plaît pas à tous les grands-parents; un autobus bondé, personne pour me céder sa place et moi qui suis trop gênée pour le demander).

Et quoi d’autre? Le fait que je n’ai pas profité une seule fois des stationnements réservés aux femmes enceintes (j’ai souffert de façon chronique du syndrome de l’imposteur) et que j’ai eu peur de perdre mon bébé jusqu’à la fin de ma grossesse. J’envisageais l’accouchement comme la fin de la peur. Ma fille serait là, enfin, bien vivante, bien réelle, magnifique et merveilleuse, et je pourrais continuer à vivre en paix jusqu’à la fin des temps.

Pouhahaha!!

Ma fille est arrivée, bien vivante, bien réelle, magnifique et merveilleuse, mais je n’ai pas trouvé la paix pour autant. Et, encore une fois, mon fidèle journal s’est fait un double espresso et a ouvert grand ses pages pour écouter mes angoisses.

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Je ne savais pas la difficulté d’allaiter – surtout quand on n’a pas de lait au départ! –, ma peine, ma déception et le jugement des autres quand j’ai décidé de passer à regret à la préparation pour nourrissons pour éviter de faire une dépression (oui, je suis fragile de nature).

Je ne savais pas les difficultés qui surviennent dans un couple après la naissance d’un enfant, surtout après huit ans à s’être soudé dans une lutte contre un ennemi invisible. Je croyais, ô grande naïve que je suis (certains diraient plutôt, avec raison, « grande nouille »), que la joie d’être enfin mère m’épargnerait toutes les tristesses et toutes les colères.

Je n’avais pas imaginé la fatigue, le sentiment d’isolement par temps de grands froids, l’urgence de me redéfinir après des années à essayer de combler mon vide.

Je ne savais pas qu’être mère me laisserait avec autant de doutes sur moi-même, une plus grande peur de la vie, un battement de cœur différent, plus rapide, comme si toujours il fallait courir, attraper quelque chose qui pourrait tomber : l’enfant, le couple, mon identité, ma vie. Je m’en suis créé des attentes, je m’en suis fait des scénarios pendant tout ce temps!

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Mais, saperlipopette (depuis que j’ai lâché un sacre de trop devant le fiston d’une amie, j’essaie de diversifier mes jurons), je m’égare encore, je n’arrive pas à plonger.

Je voudrais parler ici de ce que je n’ai pas écrit dans mon journal intime parce que c’était trop beau, parce que j’étais prise de cette peur ridicule de blesser des gens et d’anéantir ma joie en la disant ou en la couchant sur papier.

Et encore, à cette minute, mes mains tremblent en écrivant et j’entends la même satanée voix : “Tu n’as pas honte de parler de ton bonheur après toute la tristesse que tu as vécue et côtoyée; un peu de pudeur, bon sang!”

Mais j’étouffe, bien sûr, sous ce manteau de culpabilité, de censure et d’inquiétude. Je vois bien comment on me regarde quand on me demande “C’est comment être mère après avoir attendu tout ce temps?” et que je réponds “Ben, c’est super, MAIS je suis fatiguée, je me sens fragile, anxieuse.”

Ce n’est pas faux, mais je pourrais aussi m’attarder sur le beau. En général, je réalise la teneur de mes propos rapidement et j’essaie de me corriger, mais le mal est fait.

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Pourtant, j’en vis plein de moments merveilleux et, chaque fois, je prends trois respirations profondes pour bien savourer ce que je suis en train de vivre et graver cette beauté dans ma mémoire. Mais je ne sais pas la nommer, je ne sais pas la raconter sans me sentir nue, vulnérable, pas correcte, sans avoir l’impression d’en dire trop.

J’aimerais apprendre. Pour moi. Pour elle aussi.

Comprenez-moi bien : je ne souhaite pas devenir une optimiste dépourvue de nuances, mais seulement apprendre à célébrer ouvertement, publiquement, dans les moments opportuns.

Dans ma culture d’origine, ou peut-être seulement dans celle qu’a préservée ma famille, il m’a semblé longtemps que de se dire heureux était indécent et prétentieux. Je voudrais sortir de ce carcan. M’inspirer d’Émilie, qui, je trouve, est bonne pour décrire les bons moments simplement, avec sensibilité et poésie.

Bref, j’aurais envie de rendre hommage à ce petit être qui m’a chatouillé et déformé la bedaine et que j’adore, et de raconter AUSSI les moments formidables que j’ai vécus enceinte et que je vis aujourd’hui. Je suis folle de ma fille. De ses grands yeux, de sa voix qui fait des « oh » et des « ah », de sa peau douce, de son sourire. Ai-je le droit de l’écrire? J’ai du mal à le faire, beaucoup de mal. Pour l’instant, il semble que je préfère encore garder le beau et le doux pour moi seule, sourire et caresser les joues de ma divine dans la forêt, devant un public de feuillus et de conifères…

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Mon défi : être capable, un jour, d’écrire un texte de 1000 mots sur le bonheur. Un texte qui ne contiendrait pas le terme « mais ».

Laura, invitée des RoseMomz

PS : Et maintenant, j’ai peur à crever de vos commentaires.

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