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Parler (ou pas)
Je suis une humoriste. Une humoriste femelle. Je possède des gonades qui, jusqu’à preuve du contraire, me qualifient ainsi. De très belles gonades d’ailleurs.
Dernièrement, une journaliste m’a appelée pour me poser des questions sur l’affaire Rozon, mais aussi sur le silence des femmes. Le silence des femmes de mon milieu. Elle nous trouvait absentes de l’espace public. Contrairement à nos confrères masculins.
Une réunion a été organisée au Bordel Comedy Club lundi soir, institut qu’évidemment j’affectionne vu qu’il est tellement important pour nous les humoristes. On m’a demandé si j’allais participer à l’entrevue. Disons que je voyais pas trop ce que j’irais faire là. D’un, ça fait deux secondes et quart que je suis dans le milieu. De deux, j’ai pas été agressée par Gilbert Rozon; je l’ai croisé deux fois dans ma vie et la seule chose que j’avais remarquée, c’est qu’il était toujours en retard.
Et puis je suis de l’école « Parler quand on a quelque chose de pertinent à dire » (à ce propos, saviez vous que si j’avais un restaurant de déjeuners je l’appellerais J’œufs de mots?). Et là, je voyais pas trop ce que j’aurais pu dire.
J’ai pas bâti une carrière grâce à Juste pour rire, je fais même partie d’une génération qui pense que tu peux faire carrière en humour sans jamais t’approcher de JPR.
Cela dit, je comprends que ça soit une sorte de joyau québécois, qu’on se demande à l’heure actuelle quoi faire avec… Mais on s’entend-tu que le contexte est un peu particulier? Je sais pas si c’est une bonne idée de mélanger business et aveux d’agressions sexuelles. Quel malaise. Arrangez-vous pour séparer ces deux choses-là. Si vous êtes une couple à vouloir récupérer JPR, ce qui est légitime, parlez-en en huis clos, loin de la volonté que le milieu change, loin de celles qui ont besoin de parler de l’état du boy’s club qu’est l’humour. Pis de grâce, ne vous drapez pas dans de l’empathie pour les filles, pour après vous revirer de bord et vous demander comment sauver JPR, l’empire d’un monsieur qui abusait les filles. C’est fuckin weird!
Le sujet est trop délicat. Et gardons-nous une petite gêne dans le timing avec lequel on fait les choses. Si vous voulez sauver JPR, enfermez-vous dans une salle avec des fauteuils en cuir, du bourbon, pis des cigares, pis faites-le. Mais éloignez-vous du contexte. Le courage que ça prend pour briser le silence d’une agression sexuelle est trop grave.
Je pense qu’y a pas mal de femmes du milieu qui avaient et ont espoir de se faire entendre, sauf qu’il faut que les gars prennent conscience de comment ça peut être tough d’évoluer dans ces milieux. Vous le savez à quel point ça prend de la job pour percer, se faire une place, devenir bon, se faire un public, gagner de l’argent… Ces derniers jours m’ont en plus appris, en écoutant mes collègues féminines, qu’elles sont une couple à trimballer des histoires poches. Des histoires qui rajoutent tellement à la difficulté de ce métier-là. L’humour, c’est une question de confiance en soi. Pis des histoires de mains baladeuses, de colons, pis de jokes de mononc, à la longue, ça te retarde. Et ça, c’est sans parler de ceux qui veulent que tu couches avec eux pour avoir de l’avancement. Mais avec qui tu couches pas, parce que tsé, c’est des gros porcs.
Bref. On est peut-être une couple de filles à pas prendre la parole, et c’est peut-être parce qu’en ce moment, on sait pas trop quoi dire. On est un peu sous le choc, on se réveille avec une sorte de « Heille, c’est vrai que c’est tout croche, pis heille c’est vrai que ça, pis ça, pis ça, c’était pas correct quand je l’ai vécu »… Pis ça nous tente pas trop de parler. Juste réfléchir un peu. Pis se protéger. Pis bien sûr, écrire des blagues.
J’ai hâte que ça retourne à être juste ça notre métier.
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