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Parents jusqu’au bout en esti

Par
Mad Amesti
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“Dès ces minutes-là je sais que je te porte, où que tu sois je te porte dans mon corps, je te porte à jamais, éclisse coincée entre mes os et qui me tient le cœur en place.”

— Dernière phrase d’un slam de Marie-Pierre Genest, dédié à sa fille atteinte de déficience intellectuelle.

Des mots qui résonnent fort dans la tête d’Anouk, des mots qu’elle reconnait, qu’elle aurait pu écrire.

Il y a de ces gens parfois qui, on le sent tout de suite, existent un peu plus fort que d’autres. On dirait qu’ils brillent plus, dans leurs coups d’éclat comme dans l’adversité, et que la lumière qui s’en dégage est purificatrice, qu’elle aurait le pouvoir d’embellir ce qui se passe autour. Et on a même l’impression qu’on pourrait devenir meilleur à leur simple contact.

Mardi j’ai rencontré Anouk et je crois sincèrement que mercredi j’étais devenue une meilleure personne.

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Ça fait longtemps que j’entendais parler d’elle, car c’est la femme de mon ami Roberto, un saxophoniste extraordinaire que je connais depuis bientôt 2 ans et que je vois à toutes les semaines à la Casa Obscura. Normal que je ne l’avais pas encore rencontrée, c’est extrêmement rare que les deux sortent ensemble, en même temps. C’est qu’ils sont les parents de 2 enfants bien particuliers.

Éli, 5 ans, trisomique.

Lhassa, 2 ans, souffre d’une maladie orpheline, on sait pas c’est quoi; des échantillons de son ADN se promènent d’un chercheur à l’autre partout dans le monde sans jamais ramener de réponse. Elle est lourdement handicapée : atteinte neurologique, retard global, hypotonie sévère, épilepsie, cécité corticale, obésité inexpliquée…

Parents jusqu’au bout.

Anouk est conseillère en emploi pour les nouveaux arrivants dans un centre communautaire d’Hochelaga, et elle est l’une des 4 femmes derrière le projet “Parents jusqu’au bout”. On a vu deux de ces femmes à l’émission TLMEP du 13 mars. Anouk y était, mais dans les coulisses. Elle agit dans l’ombre, loin des projecteurs.

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“Parents jusqu’au bout”, c’est des mamans qui demandent un régime de soutien financier au gouvernement pour qu’elles puissent continuer à s’occuper elles-mêmes de leurs enfants lourdement handicapés. Parce qu’elles ne peuvent pas travailler à temps plein, parce que peu d’employeurs acceptent de les accommoder, parce que leurs enfants ont des tonnes de rendez-vous par semaine, chez l’ergo, le physio, le neuro name it. Parce qu’elles doivent souvent nourrir leurs enfants par gavage, non mais c’est tu assez horrible ce mot-là?

Elles crient à l’aide, et si le gouvernement peut au moins alléger leur fardeau financier parmi tous les autres fardeaux qu’elles portent à bout de bras, c’est déjà ça.

Le reste, elles s’en occupent, elles sont fortes, elles sont là.

Elles ont rencontré le ministre Barrette qui a promis de s’occuper de leur dossier personnellement. On devrait en avoir des nouvelles le 15 avril, on a hâte. En attendant, on peut les suivre sur leur page Facebook.

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Vivre avec des enfants handicapés.

J’ai passé presqu’une journée complète chez Anouk et Roberto. Ils m’ont tout expliqué : les soins, la routine, les médicaments. Je ne vais pas raconter ça en détail, mais c’est d’la job en sale. Ils ont heureusement droit à de l’aide à domicile. Des gardiennes spécialisées du CLSC viennent leur donner un coup de main, mais un des deux parents doit être présent en tout temps.

Et puis Roberto est parti travailler et j’ai discuté longuement avec Anouk. C’est une femme brillante et pas pire comique.

Quand elle était enceinte d’Éli et que le test de dépistage de la trisomie 21 s’est avéré positif, ils ont pris la décision de le garder. Pour eux il n’a jamais été question de mettre fin à la grossesse, ils allaient aimer cet enfant et c’est tout. En lisant un billet d’Anouk dans le Devoir, j’apprends qu’un très haut pourcentage de parents décide du contraire et ça me fout un frisson dans l’dos. Surtout que j’ai rencontré Éli et que j’ai carrément un kick dessus. Impossible de ne pas fondre devant cet enfant qui, aux dires d’Anouk, NE S’EST JAMAIS FÂCHÉ DE SA VIE. Il est toujours content! En plus d’être doux, en plus d’être beau comme un cœur avec ses cheveux longs, on dirait un p’tit beach bum.

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Par la suite, ils ont voulu se rattraper et faire un deuxième enfant plus “régulier”.

Tentative plutôt échouée, “le yâb a chié dans leur trail”, comme on dit.

Ça fait beaucoup de deuils à vivre, le deuil de cet enfant qui allait être en santé, qu’on attendait avec joie et qui n’est jamais venu. Deux fois plutôt qu’une.

Et Lhassa. Comme sa maladie est inconnue, on ne sait pas dans quel sens elle va évoluer. Est-ce qu’elle restera stable pendant plusieurs années? Est-ce que d’un coup ça va se dégrader et qu’elle va mourir en bas âge? Et le plus difficile, c’est de ne pas avoir de réel contact avec elle. C’est comme si elle était dans un coma. La cécité corticale, c’est que ses yeux voient, mais le cerveau ne transmet pas l’information. Elle est donc coupée de son environnement; il n’y a pas de service au numéro que vous avez composé. On ne peut pas savoir ce qu’elle ressent, elle est dans une bulle increvable. Elle prend tellement de médicaments, Anouk dit qu’elle est polytoxicomane. Elle doit aussi bouger sans cesse, sinon le mal de vivre lui pogne dans les membres, enfin on s’imagine que c’est ça.

J’ai passé une seule journée chez Anouk et Roberto, et j’en suis revenue exténuée.

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Je ne peux pas m’imaginer vivre ça au quotidien. Comment on fait pour apprécier le moment présent quand on est terrifié de ce qui nous pend au bout du nez? Quand on va jusqu’à souhaiter que notre enfant ne nous survivra pas parce qu’on a peur qu’il meure seul dans un CHSLD, quand on se demande qui de nous ou de notre enfant va finir en premier dans ce même CHSLD? Et si en plus on est même pas certain d’avoir les moyens de s’occuper de ses enfants jusqu’au bout…

Dans ces ténèbres, il existe malgré tout des espaces lumineux : la douceur et le sourire d’Éli, les contacts peau à peau de Lhassa et Anouk, le phare qu’est Roberto dans la tempête. Il ne manque pas d’amour dans cette maison, je l’ai vu, je l’ai senti. J’ai vu que même à bout de souffle, la solidarité de cette famille est indéfectible. Ils sont forts, ils sont beaux et mon Dieu que je leur souhaite un peu de répit.

Ça fait que enweille Barrette, déguédine.

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Mets des solutions sur la table, on attend, le 15 avril, tout l’monde te regarde.

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