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Par la porte d’en arrière: la petite histoire du mini-putt au Québec

Carl Carmoni occupera toujours une place spéciale dans le coeur des amateurs de petit golf.

Par
Stéphane Martel
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Ce reportage est tiré du magazine URBANIA spécial rétro, publié à l’été 2005 (avec une photo de Passe-Montagne et Passe-Carreau qui s’embrassent en couverture).

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Populaire divertissement au cours des années 70, le mini-putt représente pour plusieurs le sommet inégalé du kitsch. Petit historique et incursion au cœur d’un phénomène social.

Les premières années

Inspiré par la chaîne américaine Putt-Putt, on ouvre un premier terrain à Québec en 1969. Un an plus tard, c’est le début des compétitions télévisées, mais un problème de taille se présente aux producteurs : il manque de joueurs.

On arrête donc les gens dans la rue : « M’sieur, m’dame, ça vous dirait de vous faire un peu d’argent et de passer à la télé? »

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L’offre est alléchante. Cinquante dollars assurés au perdant, ça se prend bien, non? Peu de temps après, on réussit à dénicher des commanditaires majeurs pour le tournoi provincial et on remet un total de 25 000 $ en bourses, dont 6 000 $ dans les poches du gagnant. Une véritable fortune pour l’époque.

Au milieu des années 70, on compte 281 pistes de mini-putt au Québec seulement. C’est la folie furieuse. Les terrains se touchent presque tellement ils sont nombreux. Ce n’est que plus tard, au cours des années 80, que l’on devra respecter un périmètre de cinq kilomètres entre chaque terrain de mini-putt.

À quoi attribuait-on ce succès de masse? À l’accessibilité du mini-putt. N’importe qui pouvait jouer et devenir une star du petit écran. Tout le monde pouvait s’identifier aux participants. 1976 marque l’arrivée des années de vache maigre.

TVSQ et les Buies

Quelques années passent puis l’engouement reprend de plus belle. C’est sur la piste du mini-putt Jean-Talon que se déroulent les premières émissions du retour à la télé en 1985, sur le défunt poste communautaire TVSQ.

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On veut relancer le mini-putt, mais les bons joueurs se font rares. « À l’époque, je riais de ça moi aussi! », raconte Jocelyn Noël, ancien joueur. « Ça n’avait pas de bon sens! Je me disais que je ne pouvais pas faire pire que ça. Et j’ai commencé à jouer une fois par semaine. »

C’est l’ère dorée du couple Buies dont le record de 19 sur un terrain de 18 trous tient encore à ce jour. Véritable raz-de-marée, le duo rafle tous les honneurs sur son passage. On découvre en Suzanne une joueuse exceptionnelle, alors que son conjoint se montre considérablement talentueux.

Suite à des problèmes territoriaux et de marketing, Mini-Putt International, qui finance toutes les pistes, fait faillite. On ferme alors 278 terrains.

Peu de temps après avoir tenté de faire compétition à Mini-Putt International en ouvrant leur propre chaîne, le célèbre couple divorce. Suzanne retourne vivre dans sa Gaspésie natale alors qu’André demeure à Montréal. Une des raisons de cette séparation? La légende veut que Suzanne ait battu son mari lors d’une compétition et que ce dernier ait eu de la difficulté à s’en remettre! Individuellement, les Buies tentent un retour à la compétition dans les années 90, mais le succès n’est pas au rendez-vous.

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L’époque RDS

À un certain moment, le Réseau des Sports enregistre jusqu’à quatre émissions par jour. Des petites heures du matin jusqu’en début de soirée.

Vers 1990-91, près de 1,2 million de téléspectateurs sont rivés à leur petit écran pour le rendez-vous hebdomadaire du Défi mini-putt. Un phénomène est né. On parle de la deuxième émission la plus regardée au canal sportif. Tout juste après le baseball des Expos!

À RDS, on tient mordicus à garder l’émission en vie, mais, faute de commanditaires, on se voit forcer de la retirer de la grille horaire estivale à la fin de la saison 2000.

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Biiiiiiiiiiiirdie!

Si quelques facteurs sont responsables de la popularité et de la longévité du mini-putt, le principal demeure sans contredit l’enthousiasme démesuré et les commentaires hyperboliques de Serge Vleminckx, derrière le micro depuis l’époque TVSQ.

Qui ne se souvient pas de sa célèbre marque de commerce : « Biiiiiiiiiiirdie! »?

Analyste aux côtés de Vleminckx pendant quelques saisons, Noël est catégorique en ce qui concerne l’influence du commentateur. « N’eut été de lui, le loisir du mini-putt au Québec n’aurait jamais été ce qu’il est devenu », lance-t-il d’emblée. « Lorsque j’ai commencé à jouer, il était sur le toit du Salon de quilles Boulevard et on l’entendait crier. Plus il criait, plus les joueurs et les spectateurs s’animaient. C’était un meneur de foule extraordinaire. »

Il se rappelle aussi d’une anecdote à la télé communautaire. « Il faut comprendre son rôle, et Claude Ricard, l’analyste, ne respectait pas toujours les règles établies par Serge. Il lui coupait la parole et ça l’irritait. Un jour, pensant qu’il était hors d’ondes, Vleminckx s’en est pris à Ricard et tout le Québec a été témoin de leur chicane! »

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Quelques vedettes

Surnommé l’éternel deuxième, Jocelyn Noël est un des joueurs ayant connu le plus de succès au cours des années 80 et 90, après deux premières saisons difficiles. Compétiteur coriace au caractère bouillant, il partage le record du joueur ayant remporté le plus de victoires consécutives au petit écran, soit un total de sept.

Ayant eu l’occasion de voyager avec ses parents, il commence à jouer à un très jeune âge et se découvre des talents cachés. Travaillant aujourd’hui comme technicien en informatique pour le gouvernement du Québec, Noël se fait encore reconnaître partout où il va et conserve un souvenir impérissable de ses années sur le terrain.

« Les compétitions, c’est bien. Les bourses aussi. Mais de savoir qu’autant de gens nous regardaient à la télé, c’est ce que j’aimais le plus », précise celui qui commençait à analyser les parcours un mois avant une compétition. « Je ne suis peut-être pas meilleur que la plupart des joueurs, mais j’avais plus de pratique dans le corps », raconte-t-il.

Joueur expressif et communicatif qui avait l’habitude de parler à sa balle, Carl Carmoni pouvait passer de 30 à 40 heures sur un terrain avant un affrontement.

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Ayant remporté 21 tournois en compagnie de sa femme Suzanne, Carmoni précise que le facteur le plus difficile à gérer était le stress lors des compétitions télévisées.

« La nervosité, c’est normal, mais ça doit se contrôler. Lorsque tu as de la misère à respirer, que tu ressens des douleurs à l’estomac et que tu es incapable de parler de manière cohérente, tu dois faire quelque chose. J’ai dû m’ajuster. » Courtier consultant en transport de marchandises, Carmoni se souvient avec nostalgie de ses 35 ans de compétition. « On n’était pas particulièrement intéressés par l’argent, souligne-t-il. On voulait conserver notre titre. C’est ça qui était important. »

Gilles « The Champ » Bussières est un autre joueur ayant connu sa part de succès au cours des trois dernières décennies. Plus calme et posé, moins extraverti qu’un Carmoni ou un Noël, Bussières était néanmoins un fier compétiteur qui n’acceptait pas facilement la défaite.

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Carmoni se souvient d’une anecdote à ce sujet. « Après une compétition à Delson, il n’était vraiment pas content. Il avait mal joué et venait de subir une défaite frustrante. Il était stationné tout juste devant un fossé et en voulant quitter le terrain, il a fait marche arrière et sa voiture s’est retrouvée dans le fossé! On était une vingtaine de joueurs à essayer de la sortir de là. »

Un avenir

Depuis quelques années, on assiste à une prolifération de forums de discussions ayant pour thème le mini-putt. Même une encyclopédie sur le Web consacre une section au Défi mini-putt et à ses vedettes!

Après quelques années noires, le sport gagne en popularité.

Revivra-t-on un jour l’intensité d’une compétition Jocelyn Noël/Carl Carmoni? Entendra- t-on Serge Vleminckx crier « Suuuuuuuuuperbe! » suite à un bon coup de Darry Cliche? Verra-t-on le mini-putt renaître de ses cendres et prendre d’assaut le petit écran une fois de plus? Noël demeure convaincu que oui. « C’est une question de mode. Serge serait intéressé de revenir. Moi aussi, mais je me mettrais moins de pression sur les épaules. J’ai des obligations maintenant. »

La vie de famille, ça change un homme!

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