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Par-delà l’histoire de Catherine Fournier : assiste-t-on à de la récupération politique?

Élans de solidarité ou hypocrisie camouflée?

Par
Laïma A. Gérald
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« Je t’avoue que je suis profondément amère et que je me pose énormément de questions face aux réactions de nos élu.e.s », me confie Hélène (nom fictif), jointe au téléphone au lendemain de la sortie publique de Catherine Fournier.

Hélène, c’est la protagoniste de l’article Un furtivage clair, une agression sexuelle documentée, pas d’accusations publié dans le Devoir par Améli Pineda. En septembre 2022, le public prenait connaissance de l’histoire de cette femme « dont le partenaire a retiré le condom à son insu lors d’un rapport sexuel ». Depuis, elle « multiplie les démarches pour comprendre pourquoi le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) refuse de porter des accusations alors qu’il reconnaît qu’elle a subi une agression sexuelle ».

La femme de 41 ans, qui a porté plainte à la police de Longueuil au printemps 2019, considère que la décision relative à son cas constitue une injustice. Depuis, elle cherche à diffuser son histoire et sensibiliser le public via un site web et plusieurs médias sociaux sous le pseudonyme « JesuisHelene ».

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Cette semaine, les déclarations de l’ex-élue péquiste et mairesse de Longueuil Catherine Fournier ont fait couler beaucoup, beaucoup d’encre. En effet, le grand public apprenait mardi que la politicienne de 31 ans était la victime de l’agression sexuelle commise par l’ex-député Harold LeBel, en 2017.

Catherine Fournier / Facebook
Catherine Fournier / Facebook

« Je trouve ça courageux de la part de Catherine d’avoir été jusqu’au bout du processus. Et je pense que c’est un modèle, déclarait le premier ministre François Legault, dans la foulée. Évidemment, ce n’est jamais facile pour une femme, une personne, d’aller suivre tout le processus des tribunaux. On essaie […] d’aider le plus qu’on peut les victimes, mais malgré ça, je sais que ce n’est pas un processus qui est facile. Je veux la saluer pour son courage. »

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Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a lui aussi souligné la pugnacité de Catherine Fournier. « Ça envoie un message très clair aux différentes victimes au Québec, que c’est important de dénoncer et dans ce cas-là, justice a été rendue. […] Ça constitue un modèle pour plusieurs personnes. »

Pour sa part, le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, a tenu à défendre la gestion de l’affaire au sein du Parti Québécois. « J’espère que le fait que justice a été rendue et que le système a fait son travail lui donnera une paix intérieure », a-t-il souhaité.

En entendant les discours de plusieurs hommes politiques flattant allègrement le système de justice dans le sens du poil, un certain malaise s’est logé dans le creux de ma poitrine. Et dans celle d’Hélène aussi.

« Oui, je trouve que certains politiciens font preuve d’hypocrisie. » — Léa Clermont-Dion

« Depuis [mardi], j’écoute ce que nos politiciens disent fièrement sur l’importance de porter plainte, de dénoncer les agresseurs et sur le “succès” de notre système de justice en qui on devrait avoir confiance et je suis en colère […], raconte-t-elle. Utiliser un seul et unique cas pour témoigner de la réussite du système de justice et se féliciter de la tournure des événements, c’est comme dire : “On a pas l’intention de changer quoi que ce soit”. Mais c’est une grande négation, un grand déni de ce que vivent énormément de victimes, dont moi. »

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Hélène, qui appuie toutefois Catherine Fournier, considère que ces soudains élans de solidarité de François Legault, compte tenu de toutes les failles du système en matière de crimes à caractère sexuel, ont un effet profondément invalidant pour les victimes. Elle parle d’une puissante victimisation secondaire, cette réaction émotive éprouvée par une victime dont les attentes, qui restent sous-jacentes, ne sont pas comblées, ce qui peut provoquer un sentiment de rejet et d’isolement.

Quand vient le temps de qualifier les prises de paroles de François Legault, qui semble faire une généralité de l’histoire de l’ancienne députée du Parti québécois pour redorer l’image d’un système loin d’être infaillible, Hélène emploie le mot « hypocrisie ». Ce terme est également utilisé par la chercheuse postdoctorale, autrice et documentariste Léa Clermont-Dion, qui a elle-même couvert le sujet dans T’as juste à porter plainte, une série documentaire suivant le chemin de croix parcouru par les victimes d’agressions sexuelles au sein du système de justice.

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« Oui, je trouve que certains politiciens font preuve d’hypocrisie, évoque-t-elle. Certains démontrent leur solidarité publiquement, alors que dans les dernières années, ils n’ont pas nécessairement offert leur aide ni leur soutien à Catherine, ainsi qu’aux victimes d’agression sexuelle. »

En ce sens, peut-on voir une forme de récupération et d’instrumentalisation politiques de l’histoire de Catherine Fournier pour se donner bonne conscience?

(Ou conforter dans leurs opinions ceux qui n’attendaient que ça pour « avoir raison », et incidemment, discréditer la démarche de celles qui se tournent vers d’autres méthodes, comme les médias sociaux et le mouvement #Metoo, pour dénoncer leur agresseur?)

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Bref, le dossier de Catherine Fournier, aussi courageux et louable soit-il, est-il un cas d’école?

Faire œuvre utile

L’ordonnance de non-publication, qui interdisait aux médias de diffuser le nom de la Catherine Fournier, a été levée mardi matin, sur ordre d’un juge et sur demande de la victime.

Notons toutefois que le 15 décembre 2020, soit deux ans et demi après l’agression, et malgré ladite ordonnance, il s’est écoulé « 62 minutes […] entre l’arrestation [d’Harold LeBel] et la communication de renseignements permettant d’identifier [Catherine Fournier] dans les médias ».

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Ainsi, alors que l’identité de la députée péquiste au moment des faits était déjà bien connue dans les cercles politiques et médiatiques, la politicienne a choisi de reprendre le contrôle du narratif en participant au documentaire Témoin C.F., une prise de parole qu’elle qualifie de « bien réfléchie, éclairée et volontaire ».

« Je suis fière d’être passée par là et j’en suis sortie la tête haute, bien au-delà du verdict. » — Catherine Fournier.

« Si je choisis de prendre la parole à partir de maintenant, c’est pour partager mon expérience, faire bénéficier à d’autres personnes de ce que j’ai appris en contribuant à démystifier cet inconnu que représente le parcours d’une personne victime d’agression sexuelle à travers le système judiciaire, en espérant que du positif puisse finalement émerger de ces tristes événements. Faire œuvre utile », écrivait-elle mardi sur Instagram.

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Mille et une failles

Je tiens à le souligner d’entrée de jeu : la démarche Catherine Fournier, qui utilise sa voix pour défendre les victimes d’agression sexuelle depuis plusieurs années, est d’une importance capitale.

« C’est vraiment important de documenter ce qui se passe au cours d’un processus judiciaire […], fait valoir Léa Clermont-Dion. Catherine Fournier a un certain pouvoir dans la société en tant qu’élue. […] Elle met en lumière une problématique cruciale, qui nous donne à penser qu’il y a un manque de protection des victimes au sein des partis politiques. »

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En effet, si elle se dit « satisfaite de [s]on expérience », considérant avoir bénéficié d’un « accompagnement exemplaire » et s’être sentie « soutenue par le système », Catherine Fournier met aussi en lumière plusieurs ratés. Le bris de son ordonnance de non-divulgation, par exemple.

Elle dénonce également le manque de soutien et de « solidarité » qu’elle a reçus à l’Assemblée nationale dans la foulée de cette affaire.

« Personne n’a rien dit, personne n’a vraiment posé de questions. J’ai senti un grand manque de solidarité à mon égard », confiait Catherine Fournier, en entrevue avec La Presse.

« Madame Fournier fait une distinction entre les personnes qui l’ont accompagnée, que ce soit les inspecteurs, le procureur, les intervenants sociaux et le système lui-même. »

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« On voit que madame Fournier place des critiques assez sévères, notamment face au cafouillage majeur en lien avec le bris de l’ordonnance de non-divulgation, à certains aspects du travail du DPCP, aux délais, aux nombreuses fois où elle a dû revenir en cour pour raconter son histoire, etc », constate Rachel Chagnon, professeure au département des sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal et co-autrice du rapport Justice pour les femmes marginalisées victimes de violences sexospécifiques. « Je perçois une nuance importante : madame Fournier fait une distinction entre les personnes qui l’ont accompagnée, que ce soit les inspecteurs, le procureur, les intervenants sociaux et le système lui-même. »

Aux yeux de Rachel Chagnon, une avocate de formation qui souhaite plus que tout croire au système de justice, en plus de nous aider à avancer comme société, le cas de Catherine Fournier est un exemple de la manière dont les choses se déroulent lorsqu’elles se passent bien.

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Mais peut-on réellement se baser sur cette histoire pour évaluer la qualité du système de justice?

Catherine Fournier / Instagram
Catherine Fournier / Instagram

Une success story?

En prenant connaissance de la pléthore d’articles, de chroniques, d’éditoriaux et d’entrevues à propos du cas de Catherine Fournier depuis mardi matin, mon réflexe a été de me dire : « Enfin, une histoire de plainte pour agression qui “finit bien” ». La politicienne a obtenu gain de cause, Harold LeBel a été condamné, c’est inspirant pour toutes les victimes, particulièrement dans une société où tant d’agresseurs passent entre les mailles du filet. Une vraie success story!

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Mais j’ignorais encore le contenu de la boîte de Pandore que je m’apprêtais à ouvrir en m’intéressant à la question.

« Il faut savoir que seules 50 % des victimes qui vont en procès pour agression sexuelle et qui se rendent jusqu’au bout du processus obtiennent un verdict de condamnation. […] C’est donc une minorité sur l’ensemble des victimes d’agression à caractère sexuel », me font toutes les deux remarquer Léa Clermont-Dion et Rachel Chagnon.

Cette dernière ajoute que dans notre esprit libéral nord-américain, on associe le verdict de culpabilité à une forme de succès du système. Pas que ce soit forcément la volonté de Catherine Fournier de tirer cette conclusion; c’est plutôt une question de mise en scène et de narratif.

« L’expérience judiciaire peut être constructive sans condamnation, croit la professeure. Ce parcours éprouvant n’est pas fait pour tout le monde. […] Si on choisit cette avenue, c’est bien de le faire en connaissance de cause et en pleine conscience des limites du système, justement. Évidemment, il marcherait mieux si on avait encore plus de ressources. »

« Dire que le système fonctionne à partir de l’unique exemple de Catherine Fournier m’apparaît donc comme un raisonnement très incomplet. »

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Rachel Chagnon émet une seconde réserve. Tout en saluant son courage de témoigner à visage découvert, sa contribution à la déstigmatisation des victimes d’agression sexuelle et surtout, sans rien enlever à la gravité de ce que la politicienne a vécu, « il faut reconnaître qu’une partie du fameux succès de l’entreprise de madame Fournier découle de qui elle est comme personne : une jeune femme blanche, éduquée, articulée, forte d’un capital de pouvoir, qui connait ses droits ».

Sans jamais cesser de peser chacun de ses mots, Rachel Chagnon fait appel aux théories sur l’intersectionnalité notamment invoquées dans le rapport Justice pour les femmes marginalisées victimes de violences sexospécifiques. Selon la professeure, Catherine Fournier se trouverait dans une catégorie de femmes qui ont des chances optimales de succès. Plus on lui retire une à une les caractéristiques évoquées plus haut, moins elle n’a de probabilité d’être crue.

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En effet, les personnes marginalisées, celles appartenant à une minorité culturelle, sexuelle et de genre, les travailleuses du sexe ou encore les personnes en situation de précarité financière ont moins de chance d’être prises au sérieux si elles se lancent dans une pareille entreprise.

Au fil de l’échange, les mots de Legault, Jolin-Barrette et Plamondon me reviennent en tête. « Justice a été rendue »; « Le système a fait son travail ».

« Dire que le système fonctionne à partir de l’unique exemple de Catherine Fournier m’apparaît donc comme un raisonnement très incomplet, conclut Rachel Chagnon. L’immense majorité de victimes d’agression ne présente pas son profil. »

Malheureusement, le respect, la déférence et la propension à être crue sont tributaires de qui l’on est en tant que personne, ce que des kilomètres d’études démontrent.

« Le problème en soi n’est pas de reconnaître le succès de la démarche de Catherine Fournier, mais c’est de s’arrêter là qui serait un danger. »

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Et encore là, comme l’a illustré la journaliste Isabelle Hachey cette semaine, dans La Presse, même un haut statut comme celui de Catherine Fournier fait l’objet de commentaires de type victim shaming : « Pauvre con qui se fait charmer par une petite garce ambitieuse », ou « Clairement, elle n’était pas enchaînée à son lit… rien ne l’obligeait à rester et subir ce qu’elle dit avoir subi. ELLE N’AVAIT QU’À DIRE NON ET CRISSER SON CAMP DE LÀ ».

Ça va, 2023?

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Dans la foulée, au lendemain des déclarations de Catherine Fournier, la présidente de l’Assemblée nationale du Québec, Nathalie Roy, affirmait qu’« un nouveau commissaire au respect sera nommé et entrera en fonction pour la prochaine rentrée parlementaire ». Une initiative concrète et digne d’intérêt.

Je terminerai ce texte en saluant, moi aussi, le courage immense et l’engagement essentiel de Catherine Fournier. Et comme me l’a dit Rachel Chagnon : « Le problème en soi n’est pas de reconnaître le succès de [sa] démarche, mais c’est de s’arrêter là qui serait un danger ».