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Papa, maman, j’étais escorte
Marylène Lévesque a été tuée par un homme qui avait déjà assassiné une de ses partenaires à coup de marteau. Quand j’ai lu à propos de son meurtre, et la différence d’âge entre la femme et l’homme en question, j’ai écrit à une amie journaliste pour savoir si elle savait si la victime était une travailleuse du sexe. Quand ça s’est su, les médias ont ajouté son activité professionnelle dans leurs titres. Ce n’était plus une femme qui était morte, ce n’était plus un homme en liberté surveillée qui avait tué une femme : c’était une travailleuse du sexe, retrouvée avec des marques de violence, morte, dans une chambre d’hôtel.
J’étais bouleversée et je n’ai pas demandé à écrire sur le sujet, parce que je ne savais pas quoi dire. J’étais figée dans l’horreur, cette horreur de femmes qui meurent, cette horreur de travailleuses du sexe dont l’identité est par à coup totalement enterrée par leur profession, par ce que les personnes pensent et disent de leur profession.
J’avais peur de mourir quand j’étais travailleuse du sexe, pas dans une chambre, pas sur mes talons; j’avais peur de mourir accidentellement, surtout en avion, j’étais angoissée par les avions. J’avais peur de mourir et que mes parents sachent que j’avais été escorte.
Je leur avais écrit une lettre, que je gardais cachée dans une boite de céréales, et parfois au congélateur, dans une boite de croquettes de poulet.
Le meurtre de Marylène Lévesque m’a amenée à parler avec des copines dans l’industrie du sexe de ce qui arriverait, si nous mourions, et ce que nous trouverions si difficile, pour après, quand nos parents apprendraient pour notre travail, quand ils assisteraient au mépris et à ce que personne ne connaît sauf nous.
Marylène Lévesque est morte dans une chambre d’hôtel, mais ce qui est dit sur les travailleuses du sexe et contre elles participe à toutes les violences qu’elles subissent.
J’avais peur de mourir et que mes parents sachent que j’avais été escorte. Je leur avais écrit une lettre, que je gardais cachée dans une boite de céréales, et parfois au congélateur, dans une boite de croquettes de poulet.
J’ai retrouvé la lettre que j’avais écrite à mes parents. Je vous en montre quelques extraits, sans savoir pourquoi, vraiment, mais avec l’espoir que vous sachiez qu’il y a des travailleuses du sexe dans la vie de tout le monde et que nous ne pouvons rien dire, rien dévoiler, souvent et que c’est lourd, pour nous toutes, ce silence, et ce deuil, présentement, que vivent les collègues de Marylène Lévesque, un deuil qu’elles ne peuvent pas toute exposer.
Quand j’ai partagé des extraits de cette lettre, d’abord sur Facebook, d’autres travailleuses m’ont dit qu’elles avaient déjà fait pareil. Une lettre pour leurs parents, en prévision de leur mort. Je ne sais pas quoi en penser, sauf que j’espère que cette sensibilité ira jusqu’à vous et que vous penserez plus souvent à écouter mes sœurs de boudoirs, plutôt que de parler à leur place. Nous ne sommes pas des sous-femmes parce que nous ouvrons les jambes et refusons de le faire gratuitement.
« Chers parents,
J’espère que vous n’aurez pas à lire ceci. Si vous le lisez, c’est que je suis probablement morte. Je vous aime, je vous aime beaucoup et je vous remercie pour tout ce que vous avez fait pour moi.
Je ne tiens pas à ce que vous sachiez tout sur moi, sur ce que j’ai fait. Je ne travaillais pas au Archambault. Ne cherchez pas à savoir où je travaillais exactement, mais sachez que j’étais heureuse et que je vivais la période la moins stressante de ma vie, je pense. Ne lisez pas mes journaux intimes. Je ne veux pas qu’ils soient lus. Jetez-les, je ne veux pas qu’ils soient lus.
Gardez les livres que vous voulez. Offrez les autres à mes chers frères, j’aurais aimé vous connaître, vous voir plus, je crois en vous, vous aurez une belle vie, il ne faut pas se brûler trop vite.
Si vous réussissez à trouver un J*, dessinateur de pub et bédéiste qui aime les filles aux cheveux noirs, dites-lui qu’il a beaucoup de talent et qu’il est super gentil et qu’il peut se créer une secte tout seul et se trouver une autre fille aux cheveux noirs.
Un message aussi pour S*, il dirige une agence de photographes sur Saint-Laurent. Il est super gentil et il recommencera à gagner plein de matchs de tennis bientôt. Les moments avec lui me rendaient à la fois triste et si heureuse.
Je n’aime pas beaucoup de gens. Je suis méfiante et inconstante dans mes amitiés. Dites à Geneviève la cousine que c’est ma petite sœur, que je l’adorais même si je ne le rappelais pas assez, elle est super belle et intelligente, mais ne couche surtout pas avec Danny.
Il me manquait qu’un enfant ou deux. Et un chien aussi. Je dois être en train de donner du fromage Kraft à Boule, là, et à essayer de caresser Noireau. Merci d’avoir été là pour moi. J’ai adoré sortir avec toi maman. Les navets étaient super bons. Même si tes goûts musicaux ne sont pas les mêmes que les miens, c’était super d’être en auto avec toi papa. J’ai aimé vivre un peu votre quotidien.
Je pleure en écrivant ça, j’espère vraiment que vous n’aurez pas à le lire. Je voudrais être dans un joli pot, en poussières, et avoir une tombe où il serait inscrit quelque chose de beau et mignon comme moi, une tombe sur laquelle il y aurait le mot fée. J’aimerais vraiment ça. Je ne vous en dis pas assez, j’espère trop ne pas mourir, je vous aime pour toujours. »