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Où est passé le fameux tube de l’été?

À quand un nouveau succès à la « Get Lucky »?

Par
Billy Eff
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Si je vous parle de l’été 2014, il y a probablement une couple de choses qui vous reviennent en souvenir. Et si je vous demande de penser à la chanson phare de 2014, vous me direz très certainement que c’était Happy du chanteur Pharrell.

Mais seriez-vous capable de déterminer le tube de l’été 2022? Ou même celui de 2023?

Il semble que, parmi tant d’autres choses, la pandémie ait aussi tué la mode de l’hymne de l’été. Devant une offre sans cesse grandissante de musique, le public ne sait plus où donner de la tête; le marché est devenu trop segmenté pour qu’un seul artiste ou une seule chanson puisse captiver l’imaginaire de la planète entière, comme a pu le faire Pharrell en 2014.

Mais qui a tué le hit de l’été?

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Trop, c’est jamais assez

Avec une chanson téléversée sur les plateformes de streaming chaque 1,4 seconde, soit 22 millions de nouvelles sorties par année, on peut vraiment dire que le marché de la musique est saturé. Le fait que la musique soit maintenant instantanément accessible et presque gratuite a beaucoup changé la relation qu’on entretient avec elle. Finie l’époque où l’on encourageait son artiste préféré en achetant son album ou qu’on découvrait de nouveaux artistes grâce à un blog. Pour une bonne partie du public, la musique, ça coûte 10 $ par mois et ça finit là.

À moins qu’il y ait un show de Taylor Swift, de Drake, ou d’un.e quelconque autre artiste dont une bonne partie de la popularité découle du fait d’être justement populaire. Dans ces cas-là, les gens n’ont aucun problème à sortir les grands moyens : plus de 31 millions de personnes sont toujours sur la liste d’attente pour les spectacles de Taylor Swift à Toronto l’an prochain. C’est le bon moment pour vous rappeler qu’on n’est que 38 millions de personnes, au Canada.

Bref, ce n’est pas qu’on manque de nouvelle musique : on manque d’oreilles prêtes à écouter ce qui se fait de mieux et de nouveau.

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Car la pandémie a aussi comme effet de nous retrancher dans le confort ouateux de la musique que nous écoutions enfants. Une soirée sur quatre à Montréal est une soirée « throwback », ce qui n’est même plus nécessaire : entrez dans n’importe quel bar peuplé de trentenaires et vous êtes beaucoup plus susceptible d’entendre du Backstreet Boys ou du Britney Spears que du Bad Bunny et autres musiques émergentes.

Ça se reflète même dans la musique qui sort en ce moment. Prenez Same As It Was de Harry Styles, qui aurait tout aussi bien pu sortir en 1988 tant c’est une courtepointe de sonorités de tubes disco. Prenez encore Jack Harlow, avec son interprétation de Glamorous de Fergie sur First Class, idem pour Bebe Rexha et David Guetta avec la chanson I’m Good (Blue), qui évoque le hit de Eiffel 65 datant des années 90.

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On est pris dans un genre de cercle vicieux un peu bizarre ou les plateformes de streaming semblent être aussi bénéfiques pour faire démarrer la carrière de jeunes artistes que pour raviver celles d’artistes quelque peu tombés dans l’oubli. Stranger Things a aussi permis à la légendaire Kate Bush de revenir dans l’imaginaire collectif tandis que TikTok a introduit toute une génération aux sons mielleux du Creedence Clearwater Revival.

Des maisons de disques dépitées

Un récent article du média spécialisé Billboard rapportait que les professionnels de l’industrie de la musique ont le moral au plus bas. En effet, les maisons de disques se rendent compte qu’il est plus difficile que jamais de faire percer un nouvel artiste et attribuent entre autres cela au fait que le marché soit hyper saturé. « Tu sais, quand tu vas en camping et qu’un gars sort sa guitare et tu te dis “Pitié, arrête ça!”, eh ben ce gars-là est sur les applis de streaming, maintenant! », explique un professionnel en riant jaune.

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Depuis l’invention des CD, les maisons de disque détenaient le monopole de la distribution et de la diffusion musicale. On n’a pas grandi sur du Britney Spears et N’Sync parce que c’était ce qui se faisait de mieux en termes de musique, mais parce que leurs gérants et leurs labels entretenaient des relations privilégiées avec les programmateurs de radio, les éditeurs de magazine et les organisateurs de soirées mondaines.

C’est même une tradition qui continue aujourd’hui, demandez à Scooter Braun! Les maisons de disques investissaient beaucoup dans ces artistes et voulaient à tout prix un retour sur investissement. Aujourd’hui, en tant que fans, nous avons un peu dérobé ce pouvoir aux maisons de disque.

Si votre ami sort un album, vous pourriez très bien vous coordonner avec vos amis pour le faire hisser au sommet du palmarès; tout ce que ça prend, c’est un bon plan.

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Depuis plusieurs années, les fans de K-pop s’adonnent à ce genre de stratagèmes qu’ils coordonnent sur des forums.

On pourrait certainement pointer du doigt le fait que les radios commerciales battent de l’aile depuis quelques années; maintenant qu’on peut écouter ce qu’on veut quand on veut, on peut aussi choisir un style de musique qui nous plaît, plutôt que d’avoir à subir les goûts des programmateurs de radio (ou du moins ce qu’ils se font wine and dine pour jouer!). Pour qu’une chanson devienne un tube, plus besoin d’un effort coordonné par les maison de disque : suffit juste d’avoir un public suffisamment investi.

Tiktok, une bombe à retardement

« Il faudrait que tu publies plus souvent sur TikTok! »

Ça semble être la nouvelle expression à la mode, chez les pros de l’industrie de la musique. Plus que jamais, les médias sociaux sont la métrique à laquelle ils se fient le plus lorsqu’ils prennent une décision par rapport à un artiste.

Une personne avec un excellent album mais pas de plan marketing réussira moins bien qu’une personne avec un album exécrable, mais une présence en ligne irréprochable.

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Surtout que si, pendant longtemps, il fallait être artiste ou athlète pour être une célébrité, un dude qui joue à la console seul chez lui toute la journée devant sa webcam ou encore une jeune personne qui fait des critiques de maquillage, peuvent attirer autant, sinon plus d’attention et d’engagement qu’un artiste dont toutes les dates de tournées sont complètes.

Mais à trop se fier à TikTok, ces compagnies de musique se sont souvent tirées dans le pied, car elles doivent maintenant composer avec toute une cohorte de jeunes artistes à qui ils ont donné des contrats, dont les statistiques devraient faire d’eux des stars mais qui, pourtant, peinent à vendre une douzaine de places pour un concert dans leur propre ville.

Même des artistes établis à qui Tiktok a donné une nouvelle visibilité, comme le chanteur Steve Lacy, se sont rendus compte du pouvoir limité des vidéos courtes, aléatoires et successives. Si sur le papier, sa chanson Sunflower était un hit, il a été très frustré de constater en concert que son public ne connaissait de sa discographique que l’extrait de 7 secondes le plus joué sur TikTok.

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Ce qui nous mène au dernier aspect le plus important : nous. En tant que public, est-ce qu’on estime qu’en 2023, il est encore pertinent de désigner de manière arbitraire un seul artiste dont la chanson pourra tout dominer 4 mois sur 12? En tout cas, nos habitudes de consommation musicale semblent indiquer que non : on veut se choisir un nouveau hit nous-mêmes et chaque jour, s’il le faut!

Devant tant d’offres, il devient difficile de faire un choix et notre attention devient beaucoup trop dissipée. On ne vit pas dans l’ère du consensus et, en ce sens, notre génération signe peut-être l’arrêt de mort d’une longue tradition de l’industrie musicale. Mais peut-être que ce n’est pas si mal que ça!

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