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Il est un temps pour le latte au pain d’épices. Mais il est aussi un temps pour prendre des nouvelles de Manuel.
HO!
Oh! que je viens de vous avoir avec ce magnétique portrait de Manuel Hurtubise, portrait qui appelle à la retrouvaille, au mystère et aux rapprochements. Le truc, c’est que c’est d’un autre Manuel dont j’avais envie de vous parler. C’est juste qu’il est furieusement moins vendeur du contenant (et du cardigan).
MIRADOOOOOR!
De grâce, ne quittez pas. C’est que mon Manuel (non-Hurtubise), on s’en tamponne le coquillard sur le régulier. Moi, la première. Trop confrontant.
Mon Manuel passait son temps assis à côté de la machine à tickets, dans une station de métro près de chez moi (et probablement près de chez vous, aussi. Toute la même affaire: dépanneurs, librairies et stations de métro participantes. Tant qu’il y un rebord à dérouler, ça le fait). Mais la station près de chez moi, c’était la sienne.
Et oh! (ce billet comporte moult « oh! ») que c’était plaisant, à l’époque où je ne lui adressais mot, de me paqueter la carte Opus en le maudissant silencieusement de me fixer le baise-en-ville, à se demander si je vais lui sortir un bouquet d’hydrangées du petit trou de la machine ou cette liasse-surprise dont je n’aurai pas besoin, finalement. C’est ma tournée, mon nouare. PRENDS DONC TOUT.
C’est épouvantable. Mais ces pensées, je les ai maintes fois tricotées.
Combien de fois ai-je eu envie de lui dire, sous ses petites phrases saucées dans le vitriol et soufflées comme ma Stella (mon caniche de grain) s’en prend aux hommes – c’est-à-dire uniquement quand ils sont loin, loin, loin su’l trottoir, redevenus inoffensifs et fin prêts pour se faire servir toute qu’un chant de gorge canin doublé d’un habile jeu de palettes qui se greffe à tes pires cauchemars – lui dire, donc, que m’envoyer chez le yâbe parce que je ne lui remettais pas systématiquement mes chouclaques ou mes bons du Trésor dès que nos regards se croisaient n’aiderait pas sa grand’ cause .
Plusieurs fois.
C’est que Manuel, il était en colère. Souvent. Mi-vingtaine, je crois, il était difficile de deviner de quelle décennie il avait été expulsé, les périls de la rue ruisselant sur sa belle bette d’artiste qui en veut aux tourniquets de ne pas tourniqueter dans le sens du soulagement.
Chaque fois que j’y repense, j’ai honte. Honte de ne pas lui avoir payé une slush plus tôt. D’avoir affronté sa salve d’insultes aux trois poivres avec mon grand courage de madame qui se demande si elle a envie de s’embarquer dans le dix minutes qui s’en vient. Mais surtout honte de n’avoir cassé la glace que le jour où il rossait Fusée, son gros chien crème-brun-sale-sale.
C’est Fusée qui a fait office de pont entre Manuel et moi. Un pont de qualité, d’un ventricule à l’autre, de ma rive à la sienne. Des rives qui avaient peur de se toucher et qui branlaient sur un manche rare à la seule perspective de communiquer. Super-Poutre-less. Une excellente alternative au Pont Champlain, d’ailleurs. Je le vois déjà, avec ses belles grands’ pattes de vieux chien aux grosses fesses qui ferait pas de mal à un grillon, étalées d’un chic Montréal à sa rive-sud comme si c’était un grand cadeau, à se demander quand est-ce que c’est que tu vas te décider à sortir un cookie de ton palazzo, qu’il puisse ensuite aller se traîner le rond de cuir près de l’ilôt à recyclage spécialement aménagé à cet effet. Faudrait soumettre l’idée.
Ben oui. J’ai trouvé le courage d’affronter le pas-fin du métro le jour où il tapochait son chien. La bravoure, toi, j’en avais plein le casseau. De voir Manuel patauger dans sa misère chaque jour ne m’interpelait pas assez. Ça prenait un volet canin. Quelque chose de concret, d’inacceptable. Une souffrance illustrée napolitaine, en trois couleurs, avec des marionnettes.
Et ce jour où je suis intervenue auprès d’un Manuel (non-Hurtubise) qui frappait Fusée parce qu’il avait pilé sur son dessin, je me suis trouvée lâche, rare. Un lâche cheap. Par chance, y’avait pas de miroir à portée de pupille pour que s’immortalise mon triple menton de la honte en mon cervelet.
Une fois calmé, il en avait, des affaires, à me conter. La fatigue. L’usure. Cet orteil qu’il avait perdu cet hiver. La prison. Le dessin. Sa cachette à bananes et autres trésors. Son ostie de chien Fusée. Le gars qui veut lui casser les jarrets. Leonard Cohen. Ses rêves qu’il ne réaliserait pas, parce que life is a bitch and then you die.
C’est ben résumé, pareil.
Cap sur l’été avait les dents moins lilas, tout d’un coup. Une conversation avec Manuel, ça te replaçait le spectre de couleurs.
On a bien dû être chummés de machine à tickets pendant six mois, je crois. Parfois, Manuel allait en-d’dans, parce que quêter dans le métro, c’est comme voler des radios de char ou mettre le feu au buste de Dalida. C’est pas joli. Mais il finissait toujours par retontir, mi-guilleret, mi-détruit. C’était difficile de lire dans ses petits yeux noirs d’artiste.
Mais depuis un mois, je ne lis que le mur. Manuel est parti. Fusée aussi. Plus personne ne dessine sur une vieille feuille ou n’envoie chiaille son prochain. Parfois, y’a un monsieur qui marmonne en fixant le sol. Le contact n’est possible que si je m’étends sur le carrelage. J’y songe.
J’espère qu’il va bien (le monsieur qui marmonne, mais surtout Manuel). J’en doute fort, en fait. À grands élans de fourches brandies avec lanternes et Purell, il a dû être chassé de mon beau quartier fleuri aménagé pour les gens biens.
Pour les gens qui vivent dans le déni en achetant leurs dix tickets tout en jonglant de quel fromage ils couvriront leurs cailles, ce soir.
Je nous aime bien. On est pas mal beaux.
Mais en ce 12 du 12, y’a pas juste Chili qui a les blues.
La bise.