.jpg)
Où est Eduardo Malpica?
« Il me parle des gens qui ont volé son papa, me demande constamment où il est. Le plus dur, c’est que je n’ai aucune réponse… »
Assise à la table de sa cuisine, Chloé Dugas confie être à court d’arguments lorsque son fils de quatre ans et demi, Santiago, lui demande pourquoi son père s’est mystérieusement volatilisé il y a de cela 55 jours.
Elle-même se démène depuis deux mois pour tenter de comprendre comment Eduardo Malpica, son conjoint sans histoires de 44 ans, a disparu dans la nuit du 25 novembre dernier, après une altercation dans un café-bar de Trois-Rivières.
Elle m’accueille dans leur maison de la rue de la Vérendrye où la petite famille s’est installée depuis un an, après des années passées dans le quartier montréalais de Verdun.
Chloé se fait un devoir de répondre à toutes les demandes d’entrevues pour ne pas que la disparition d’Eduardo soit reléguée aux oubliettes. « Je ne m’expose pas dans les médias pour le fun. Mais je me sens tellement impuissante dans tout ça… », soupire-t-elle, les traits fatigués.
Les gens se mobilisent et se sentent concernés, ce qui console Chloé. Elle trouve une forme de réconfort dans cet élan de solidarité. « Eduardo, c’est ton frère, ton chum, un gars ordinaire qui se retrouve dans une situation extraordinaire », résume-t-elle.
.jpg)
Une situation extraordinaire pour le moins nébuleuse qui, depuis le début, ouvre la voie à moult spéculations. « Mon chum, c’est un intellectuel, c’est pas MacGyver. Comment il peut survivre seul pendant 55 jours sans portefeuille et sans permis de conduire? Ça n’a pas d’allure! Comment ça, personne ne le voit nulle part? », lance dans un cri du cœur sa conjointe des huit dernières années avec qui la relation était pourtant au beau fixe.
Chloé revient une énième fois sur les faits marquants de cette étrange histoire qui chamboule son univers.
« Il avait hâte de se faire des amis. »
Tout commence le 25 novembre avec un 5 à 8 au Musée POP de Trois-Rivières. Organisé en partie par Eduardo, cet événement culturel rassemble des intervenant.e.s de douze régions québécoises. Investi dans diverses causes de justice sociale, le conjoint de Chloé détient depuis un an un poste d’agent d’éducation à la citoyenneté mondiale au sein du Comité de Solidarité Trois-Rivières.
« Le mois de novembre avait été intense pour lui et le 5 à 8 des Journées québécoises de la solidarité internationale était l’aboutissement d’un travail de plusieurs mois », raconte Valérie Delage, directrice générale de l’organisme.
Mme Delage n’a que des bons mots à l’endroit d’Eduardo. « Il a un sens moral très fort, il est très respectueux et a une bonne entente avec tout le monde », l’encense-t-elle, soulignant aussi sa timidité.
.jpg)
Ce soir-là, Eduardo avait le cœur à la fête et célébrait la réussite de son événement.
« Il m’a envoyé des photos de cœurs en me disant qu’il m’aimait. Il avait hâte de me parler de son événement », raconte Chloé tout en mentionnant qu’Eduardo, loin d’être un gros buveur, se limitait la plupart du temps à quelques pintes.
Après le musée, il poursuit donc les festivités au café-bar du Zénob, rue Bonaventure, avec une poignée de collègues qui quittent les lieux à minuit. Eduardo, lui, reste au bar à discuter avec un client. « Il devait être content. Il avait hâte de se faire des amis ici. On adorait notre maison, notre vie, mais il souffrait un peu d’avoir aussi peu de vie sociale ici, lui surtout », explique Chloé.
« Ce n’est vraiment pas son genre. »
Lorsque Chloé se lève, le lendemain matin, aucune trace d’Eduardo dans le lit. « Depuis qu’on est ensemble, il n’a jamais découché. Je pensais qu’il était dans la chambre de la visite, moi et le petit avons même fait attention au bruit pour le laisser dormir… »
Mais Eduardo n’est nulle part, y compris au bout de son cellulaire où Chloé, d’abord fâchée, lui envoie des messages vocaux.
Puis sa colère se mue rapidement en inquiétude. « J’ai commencé à contacter ses collègues en craignant de faire un drama pour rien. »
Les collègues en question lui répondent que tout allait bien au moment de quitter le bar. Chloé se tourne alors vers la direction de la police de Trois-Rivières pour signaler sa disparition.
– Il est pas mal tôt encore pour ça, lui répond-t-on.
– Peut-être, mais ce n’est vraiment pas son genre. Je ne vous appellerais pas, sinon, rétorque Chloé.
.jpg)
Presqu’aussitôt, les collègues d’Eduardo se montrent pro-actifs.ives en organisant spontanément des fouilles et en créant une cellule de crise.
« Même si ça ne lui ressemblait pas, on pensait le retrouver sur un banc de parc. Mais on a vite compris que c’était sérieux et que chaque heure comptait, affirme Valérie Delage au sujet de la battue qui a mobilisé une vingtaine de personnes. On a sillonné partout, y compris les berges avec des drones. On ne pense pas qu’il s’est jeté à l’eau, mais on ne sait jamais. On espère en tout cas qu’il est toujours en vie. »
Les collègues d’Eduardo alertent également la police en indiquant qu’il n’est pas le genre à partir sans donner de nouvelles. « On a aussi interpellé les élus locaux qui ont mis de la pression à leur tour », ajoute Mme Delage.
Parallèlement, la police se rend une première fois chez Chloé prendre une déposition, suivie le lendemain d’un interrogatoire plus serré portant cette fois-ci sur des questions intimes.
À Trois-Rivières, l’affaire commence à faire jaser et déborde rapidement grâce à un avis de disparition partagé par un ami actif sur les réseaux sociaux qui se trouvait également au bar ce soir-là.
« Son statut a été partagé 6 000 fois et le mot s’est répandu comme une traînée de poudre », illustre Chloé qui refusait à ce moment (et encore à ce jour) d’envisager de funestes scénarios. Même si c’est pas son genre, j’espérais qu’il ait couché avec une fille et qu’il revienne la queue entre les deux jambes avec une histoire poche… »
.jpg)
Une grosse battue est organisée le dimanche, rassemblant cette fois-ci une cinquantaine de personnes, incluant les membres de la famille d’Eduardo qui résident à Montréal. La police de Trois-Rivières érige un poste de commandement et rencontre plusieurs personnes, notamment les client.e.s du bar présent.e.s la veille. La Sûreté du Québec est aussi dépêchée sur place dans un rôle-conseil.
« Même les élèves d’Eduardo sont venus aider, ça m’a beaucoup touché », souligne Chloé. En plus de son travail au Comité, Eduardo enseigne depuis un an la sociologie au Collège Laflèche.
La femme du parc
Les proches d’Eduardo s’accrochent aux miettes d’espoir qui se présentent à l’occasion.
Il y a d’abord cette femme, qui raconte l’avoir aperçu vers midi le lendemain dans un parc des environs où elle faisait du bénévolat auprès de personnes en situation d’itinérance. « Il lui aurait dit que rien n’allait pour lui à Trois-Rivières, que sa vie était gâchée et qu’il devait refaire sa vie ailleurs », rapporte Chloé
Elle est une fois encore d’avis que ce charabia, même s’il se révèle un jour véridique, ne fait absolument aucun sens. « On a une maison qui nous coûte trois fois rien, Eduardo a sa job de rêve et pas une journée ne passe sans qu’on se dise qu’on s’aime. J’en reviens toujours à ça, mais ça ne fait aucun sens. »
Jointe au téléphone, la police de Trois-Rivières assure qu’une équipe d’enquête oeuvre à temps plein sur le dossier, entre autres pour valider et corroborer diverses informations reçues, notamment le témoignage de cette femme du parc.
.jpg)
La description d’Eduardo, son accent et ses propos sur la soirée de la veille collent apparemment avec la réalité. « Il aurait dit à la dame au parc avoir eu honte de ce qui s’est passé ce soir-là… », rapporte Chloé.
Agression et racisme au Zénob?
Revenons-en justement à cette soirée au café-bar le Zénob. Tout semble en effet indiquer cet établissement comme le point de départ d’une suite d’événements inhabituels dans la vie d’Eduardo.
« Il s’est fait tabasser violemment à l’intérieur et à l’extérieur par une bande. Quelqu’un aurait même sorti une hache pour la brandir devant lui, à l’extérieur », débite Chloé qui tente désespérément de recoller les morceaux de cette soirée.
Il y aurait sinon cette insulte à connotation raciale proférée à l’endroit d’Eduardo par un client du bar. « L’homme lui aurait demandé : comment on dit ça, “tapette”, en espagnol? », poursuit Chloé. Son conjoint n’aurait pas rapporté d’autres incidents racistes depuis son arrivée à Trois-Rivières.
.jpg)
Par ailleurs, des collègues d’Eduardo disent avoir été témoins de l’insulte en question. « Quelqu’un a voulu le provoquer. La bagarre qui a suivi aurait pu être déclenchée par ça, mais c’est de la spéculation », nuance Valérie Delage.
Prétextant ne pas vouloir nuire à son enquête, la police locale ne s’est pas avancée sur la thèse de l’agression raciale ni sur la présence d’une hache pendant l’incident.
« Cette information (la hache) a été amenée dès le départ aux enquêteurs. Cependant, celle-ci n’est toujours pas corroborée et les enquêteurs invitent la personne qui serait impliquée à se manifester afin de faire la lumière sur cette partie de l’événement », indique le corps municipal.
Chloé allègue que la SQ lui a transmis des informations que la police de Trois-Rivières se garde jusqu’ici de dévoiler, particulièrement en ce qui concerne la violence de l’altercation raciste subie par son conjoint.
« …comme s’il attendait l’autobus… »
Chloé souligne avoir visionné des extraits d’images captées par les caméras à l’intérieur du bar et fournies par la police à des fins d’identification.
On y apercevrait Eduardo se faire pousser par une fille avant d’être roué de coups par plusieurs individus. « Après s’être fait battre, Eduardo se lève et demeure debout au milieu du bar, les bras croisés, comme s’il attendait l’autobus, narre Chloé. Avant de se faire tabasser, on le voit debout et il a l’air d’une loque, il peine à tenir sur ses jambes. »
Chloé se demande comment Eduardo a pu se mettre dans un tel état alors que, selon les témoins avec qui elle a parlé, il discutait de manière cohérente au bar moins d’une heure avant. Elle n’écarte pas que quelqu’un ait pu mettre de la drogue dans son verre à son insu.
Eduardo aurait ensuite été entraîné à l’extérieur du bar et menacé à la hache avant de s’éloigner seul vers 2h15 sur la rue des Ursulines.
La police de Trois-Rivières refuse de spéculer sur ce qui s’est passé dans le bar. Même retenue au niveau des allégations racistes ayant pu mettre le feu aux poudres.
« C’est pas impossible que des propos aient été prononcés, mais ça n’a pas été établi comme le mobile de la dispute », précise le sergent aux affaires publiques, Luc Mongrain. Quant aux client.e.s impliqué.e.s dans l’altercation avec Eduardo, chacun.e aurait été rencontré.e par la police.
Enfin, une autre hypothèse suggère qu’Eduardo aurait été insistant avec une cliente du bar et que les choses auraient dégénéré à partir de là. « J’écarte pas le fait que c’est une possibilité, mais ça serait vraiment hors caractère. Ce n’est pas un coureur de jupon, il méprise ces comportements, même », mentionne Chloé.
.jpg)
Elle ajoute que l’anxiété d’Eduardo est un autre aspect majeur à considérer.
« Je travaille seule à la maison et il m’écrit régulièrement pour s’assurer que je vais bien. Même chose pour son fils, qui est la prunelle de ses yeux. Il va le voir dormir quatre fois dans la nuit pour s’assurer qu’il respire encore », raconte la conjointe.
Selon elle, il est possible qu’Eduardo ait paniqué après l’altercation au bar, ce qui expliquerait peut-être pourquoi, le lendemain midi, il aurait dit à la femme du parc avoir eu honte de son comportement et vouloir fuir.
Même si Chloé préfère chasser cette idée, est-il possible qu’Eduardo ait pu être en crise au point de s’enlever la vie? « On pense à tout, mais chaque jour qui passe risque d’aggraver sa détresse psychologique et augmenter ses chances d’en finir.»
Pour l’heure, elle réfute en bloc la thèse du départ volontaire, préconisée par la police. « Qu’il quitte sa femme, ça se peut, mais son enfant c’est impossible. Je ne dis pas ça pour me convaincre, mais dans son état normal, ça serait impossible. Il ne s’est pas levé un matin en se disant : je pars et je ne reviens plus. »
Si quelques voix s’élèvent pour remettre en question le travail de la police dans cette affaire, la conjointe d’Eduardo refuse de lui jeter la pierre de peur de compromettre son lien – même ténu. D’autant plus que le dossier demeure encore actif et prioritaire.
.jpg)
En attendant, Chloé tente de mener un semblant de vie normale pour Santiago. « Il a cessé les crises et il est en train de s’enfermer dans une forteresse. À l’école, quand je vais le porter, ses amis me demandent : est-ce que le papa d’Eduardo est revenu? Imagine à quel point on lui en parle… »
Pendant que les proches d’Eduardo se font un sang d’encre, la machine à spéculations continue de s’emballer. Et en son centre, une seule question subsiste : où est Eduardo Malpica?
Toute personne pouvant fournir de l’information permettant de localiser Eduardo Malpica est priée de contacter la police de Trois-Rivières au (819) 691-2929 # 6.