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Où ça mène, un cadavre. Exquis ou davantage.

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Nous avons demandé à notre communauté sur Facebook de prendre la première phrase du roman Papillons d’Annie Loiselle et de créer une nouvelle histoire. Nous lui avons envoyé le résultat, pour avoir ses commentaires.

Voici la première phrase, et ce que vous avez créé:

Elles sont assises sur des petites chaises de métal disposées autour du lit, sauf Augustine, qu’on a installée dans le grand fauteuil des visiteurs pour qu’elle y soit plus confortable. Ça fait longtemps qu’elle attend.
De son fauteuil, Augustine, le souffle court, toise ses amies. Elles auraient toutes été éligibles, mais elle sait que cette fois c’est son tour, c’est aujourd’hui qu’elle naîtra de nouveau. Elle en sort l’objet et se tourne vers ses amies. Elle desserre sa main pour qu’elles puissent le voir et rien ne se passe, pas un silence, pas une parole, rien. Pourtant, elle s’attendait à une réaction, peu importe laquelle.
C’est dans ce rien que l’objet s’anima. Il avait absorbé l’énergie des mots qui auraient dû sortir, des regards étonnés qui auraient dû fuser. Il se déroulait lentement, comme la pousse d’une fougère, à l’infini. Cette chose si petite et si grande, si tout et rien à la fois. J’étais vide, vidée, vidangée et voilà que de ma coquille creuse s’évadait une onde de choc à peine perceptible, écorchant mon échine dorsale… j’entrait dans l’oeil de la tornade.
Le pendule de la vieille horloge en bois émit un “tac” tonitruant. Un seul. Derrière mes tempes résonna mon coeur. Une fois. Dans l’infinité de cette seconde, le cours du temps avait altéré celui de ma vie.
Marie cligna des yeux.
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Ce billet est commandité par les Romans Stanké.
On s’imagine l’écrivain tracassé, en face de son latte, schizo sur les bords, en train de gribouiller sur une napkin, suicidaire, fumeur, alcoolique, toxicomane ou toxique, c’est selon. Ça frappe l’imaginaire, hein ? Bon, je vais vous régaler, je vais avouer que je me suis mise à écrire alors que j’y avais en quelque sorte renoncé. On parle du célèbre syndrome de la page blanche, des années de silence, de phrases stockées dans l’obscurité du Ça (come on, vous avez tous un peu lu Freud!).
Vous serez peut-être déçus d’apprendre que je suis en bonne santé, pas vraiment torturée, pas du tout une martyre de l’écrit obsédée par un Surmoi envahissant. Mais, voilà, la vie, ça va vite, trop de boulot, 8 à 4, plus le trafic, le souper à préparer, plein d’enfants (cinq, yeah !), les devoirs, les chicanes nucléaires, les doigts (les nez, les orteils, les nombrils, c’est sans limites !) sales dans les vitres, les nuits d’insomnie, s’inquiéter, consoler, écouter, aimer, aimer, aimer, du matin au soir, la nuit aussi, souvent, pas mal comme tout le monde, quoi ! Le rush quotidien, alors qu’écrire suppose un geste lent, commis en surtemps, à contre-courant. C’est de la job, faut vouloir… ou y être obligé, inexplicablement, être habité par cet objet qui s’anime, qui a absorbé des mots qui doivent sortir, qui poussent comme des fougères, qui vident, vous l’avez dit.
Ce sont vos mots, je vous les vole.
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Écrire, c’est entrer dans la tornade, oui, tester le vertige, la folie, naître de nouveau, à toutes les pages, à tous les manuscrits. Au départ d’un roman, c’est vrai, tous les personnages sont éligibles. Pourquoi elle plutôt qu’une autre, et lui avec elle, et eux, ensuite, et de cette manière ? Parce que leurs noms, leurs visages, leur vie qui débute, dans ma tête, à n’importe quel âge, à ce point infinitésimal dans l’univers de la création, l’inspiration, qui vient de tout et de rien, d’un rassemblement. De gens aperçus de près ou de loin, de contrastes, d’idées, de partages, de lectures, de vieux cadavres, exquis ou pas, de saveurs, d’odeurs, de monde, de soi, de l’autre et j’en passe. Vampire, vous avez dit vampire ? Sans doute un peu, mais personne ne s’en rend vraiment compte. Écrire permet de travestir. De changer de vie. Lire aussi, dans le fond.
Chaque jour, j’écris en état d’urgence : il n’y a que là, à la toute fin de la nuit, presque le matin mais pas encore, où je me retrouve seule avec tous les possibles, l’infini qui se déroule, les coquilles creuses soudain pleines, le pendule de la vieille horloge qui fait tic-tac (j’exagère, j’ai juste un timer sur mon micro-ondes).
Malgré tout, l’écriture n’est pas un lieu de solitude.
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Votre histoire, en cadavre exquis, c’est un peu la mienne, la nôtre, disons-le franchement. Vous avez pris mes femmes, mes mots, j’ai repris les vôtres ici, et les autres syllabes sont allées partout, ici, ailleurs, autrement, comme mes romans. Tant mieux. Merci.
J’aurais pu dire la fin de l’aventure. Inventer Marie, avec ses grands yeux de taupe, sa main fraîche, sa peau translucide, qui rencontre Jacob, brisé, pour la première fois, et qui se dit : « Lui, il va payer pour tous les autres. » L’entendre. La lire, comme l’Augustine dégustée de mon roman. La voir devenir papillon, elle aussi. Ce sera peut-être le début d’une prochaine histoire, chez Stanké…
–Annie Loiselle