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Texte tiré du numéro 12 spécial Ethnies – Été 2006
Récit d’un voyage de reconnaissance, d’un band de banlieue immigrant (ARTIST OF THE YEAR), de farces de colons, d’une presque bagarre entre deux ethnies très distinctes et d’un amour en voie de cohabitation. Tout ça dans le 514, entre deux nids-de-poule.
«Le Canada et les État-Unis se divisent en plus de 100 régions téléphoniques caractérisées par un indicatif régional formé de trois chiffres.» Bottin téléphonique de Joliette 2006-2007
Fin des années quatre-vingt-dix, l’Île de Montréal croule sous les demandes de numéros de téléphone, c’est qu’on assiste à l’explosion du cellulaire et de la pagette. On doit donc feeder tous les dealers et les gosses de riches de la place. En janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, le Canadian Number Administrator, supervisé par la North American Numbering Plan Administration, se voit dans l’obligation de créer un indicatif flambant neuf pour combler tout ce beau monde.
Ainsi naît le quatre cinq zéro.
Plus qu’une simple série de chiffres, le nouvel indicatif établi désormais une frontière claire entre la banlieue et la planète Montréal. Exit les jokes de nègres, de newfies et de blondes, aujourd’hui c’est chic de rire du quatre cent cinquante entr’paranthèses.
Pour t’illustrer convenablement le propos, ma précieuse, orvenons à l’anecdote qui ouvre ce texte. Comme ça, on ciblera les caractéristiques particulières du gars de banlieue average, ensemble, dans le confort de tes mains.
D’abord, en plus d’avoir gossé un quart d’heure sur mon parking, du Métropolotain à la Quincallerie, j’ai commis trois célèbres impairs rattachés à ma race de crotté : ça m’a pris six nids de poule avant d’ajuster mon champ de vision adéquatement, j’ai tourné à droite sur tous les feux rouges, et je me suis fait klaxonner mur à mur parce que j’ai chauffé tranquilleun.
Chuis pas monté en touriste à soir, c’est pour le boulot que chuis ici : je dois faire une interview avec l’artiste de l’année pour le compte d’un autr’magazine hip.
Nathael Duhaime, Camille Jacques et David Richard – membres fondateurs de l’électro-funk ARTIST OF THE YEAR – m’attendent à la Quincaillerie au bout d’une giga-table. Louis Coutu, le batteur de la version live d’AOTY, les accompagne.
Le band a failli créer un buzz solide à l’été deux mille cinq avec son long-jeu cUT dISCO, hommage à pitons au mouvement cut disco initié par Vic Peterson durant les seventies. Malgré une chire d’éloges chez Bande à Part, Mirror et les Inrockuptibles, entr’autres, l’engin décolle malheureusement pas. « À Montréal, il y a tellement de shows pis d’expos que ça donne une crowd plus pointue. » Commente Dave quand je lui fous mon enregistreuse d’ultra-reporter sous le nez.
La serveuse débarque et m’orgarde de travers quand je lui commande une quille de Laurentides. « Amène-moi une pinte de bière pâle d’abord, ma belle. » Je fais exprès, je l’admets.
Ça rigole autour de notr’bout de table. Ça rigole parce que tout le band est composé de quatre cinq zéro. Ça nous fait rire, nous autres, les farces de colons. Paraît-il. Car il y a toute une légende qui entoure le banlieusard, qui en fait un proche parent du mongole.
Par exemple : le quatre cinq zéro n’a aucun goût. Il conduit une mini-fourgonnette et elle s’habille chez Winners (limite au Château si elle est le moindrement au fait de la mode). Il vénère le café Van Houtte et elle croit que Chez Cora est l’expérience déjeuner.
On raconte aussi qu’il a le Canadian Tire comme maîtresse du samedi tandis qu’elle rêve de s’ouvrir un bed and breakfast, qu’il ne jure que par la résine de synthèse et qu’elle fourrerait volontiers avec Philippe Dagenais.
Bref, le quatre cinq zéro profite en masse de son forfait Illico câble-internet-téléphone pour ses télécommunications, écoute les radios commerciales, lit les magazines de Québécor et adhère ainsi au contrat social tel que dicté par les bonzes du spectacle […] le quatre cinq zéro est assuré que le soleil se lèvera encore sur son driveway demain matin. Si je peux me permettre de paraphraser plus qu’approximatif le Jean-François Beaudoin de mon entourage.
Au bout de six pages de Moleskine générique noircies et d’une cassette de trente minutes loadés, je considère que j’ai assez de stock pour faire un portrait convenable. Faqu’on se cale tous dans nos chaises et on se met à jaser tranquille en matant la faune environnante.
Ça fait quelques années déjà que Nathael, Camille et David habitent l’Île. Ils sont ce qu’on appelle depuis un certain temps des cinq un quatre cinq zéro, une sorte de überbanlieusards pour les amateurs d’étiquettes. Ils ont été élevés dans l’Enfer de la banlieue, mais ça ne les empêche pas de s’orpérer impeccablement sur Saint-Laurent ; ils ont plotté la plupart de leurs cousines, pourtant ils ne chauffent pas de Ford F-150. « Quand j’étais ti-cul, j’ai pissé sur une clôture électrique pour voir si c’était vrai qu’on pouvait pogner un choc. » Lance Camille en feuillettant nonchalament le Nightlife, guide numéro un des tourist traps les plus en vogue. « Sinon je me rappelle p’us grand chose de la région : j’étais constamment sur l’acide. »
C’est à ce moment qu’un taupin de première, assis avec ses chums derrière moi, décide de se magasiner une coup’de claques sur la gueule. « Ortourne chez vous, sale quatre cinq zéro ! » Sa bande s’esclaffe bruyamment.
Je tiens à te préciser, ma toute sucrée durant les jours où t’ovules, qu’aujourd’hui j’ai pas pris la médication qui me rend aussi aware qu’une plante d’intérieur. Chuis donc prime comme une Honda Civic montée par un gars de Saint-Félix-de-Valois.
Le cinq un quatre dans mon dos vient de commettre une grossière erreur de jugement en se laissant aller de la sorte. Erreur des plus répandues à travers la population montréalaise. Erreur qui consiste à prendre tous les quatre cinq zéro pour des citoyens de Laval ou de Longueuil. Je profite de la tribune qui m’est offerte pour souligner en extra-gras que le territoire de l’indicatif régional qui nous intéresse est plus grand que l’état du Vermont, donc il ne se limite pas qu’aux dortoirs de la métropole. Dans le quatre cinq zéro, on ortrouve du daddy cool de Blainville soit, mais aussi du hillbilly de Matha.
D’un mouvement brusque, je m’orcule avec ma chaise et coince ainsi l’abruti contre sa table. Je l’observe deux secondes et demie : t-shirt manches trois quarts Meow avec un imprimé metal flake représentant le Elvis de Warhol, lunettes de soleil Chips Police pendues au col, casquette brune à filet et barbe soigneusement pas rasée depuis quatre jours. « Ah, c’est ça, un gay ? Ils ont l’air en santé par icitte. Chez nous, on les orconnait d’après le nombre de bleus qu’ils ont dans face. » Que je garroche en plantant mes yeux sévères dans les siens.
Pendant que la scène se fige, l’instant de créer un suspense à la mordille-moi le noeud, j’aperçois mon reflet dans le miroir de ses lunettes : ma face d’habitant dans ce décor branché, ça cadre pas pantoute. C’est dommage mais il va falloir que je m’y fasse d’une manière ou d’un autre parce que cet été j’immigre à Montréal. J’appréhende sérieusement ce move, même si ça me rapprochera considérablement de toi, mon coeur. Right, même un killer comme moi, ça peut avoir les j’tons.
Parlant de j’tons, le kid que je garde à six pouces de mon nez n’en mène pas large. Le doux parfum de sa chienne attise ma violence gratuite. « On fait à peine connaissance, mon beau, je vois pas pourquoi j’ortournerais chez nous tout d’suite. »
On a embêté une longue demie-heure les connards de la table d’en arrière, tellement, que leurs chicks ont préféré se joindre à nous. Trois superbes cinq un quatre pure race. Puis on a filé au Big Cheese afin d’aider aux rapprochements.
On a probablement fini ça en partouze, mais ça, l’histoire le détaille pas.
***
Chuis un quatre cinq zéro.
Si dans la grand’ville un môme peut se trimballer avec son kirpan à l’école, je revendique mon droit à ne pas me faire emmerder quant au fait que je préfère mon odeur de fauve à n’importe quelle fragrance griffée, que je fasse mon épicerie chez Wal Mart et que je me passionne pour les derbies de démolition. Entr’autres.