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Orientation sexuelle : changer de langue et de pays pour s’assumer

MEDIAFUGEES: donner une voix aux réfugiés du Québec.

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Hamzeh Rahal (pseudonyme) est syrien. Originaire de Damas, il vit aujourd’hui au Québec. Il nous raconte ici les raisons qui l’ont poussé à trouver refuge chez nous.

Grandir avec la langue arabe n’a rien d’original. Selon les estimations, nous serions près de 400 millions d’arabophones dans le monde. Né (et choyé) dans une famille syrienne de la classe moyenne, j’ai prononcé mes premiers mots en arabe syrien.

Situé à peu près au milieu d’une fratrie de quatre frères et de cinq soeurs, je me suis très vite senti différent des autres hommes. En me comparant à mes amis de sexe masculin, je voyais que je ne correspondais pas au stéréotype de «l’homme syrien normal» qui semblait tant plaire aux filles. Avec les années, cette différence s’est exacerbée, me poussant à travestir mes comportements.

Jeune adulte, j’ai échappé quelque peu à cet impératif en me plongeant dans la langue anglaise. Inscrit en littérature anglophone à l’Université de Damas, j’ai découvert une langue-exutoire. Si je trouvais dans la langue arabe un confort familier, la pratique de l’anglais me permettait de me soustraire aux injonctions sociales. Durant mes années d’études, j’ai ainsi découvert les films hollywoodiens, la musique américaine, la culture pop. J’y voyais des hommes aux pratiques et aux comportements très différents du modèle syrien standard. En cachette, ça m’a permis de me construire et de m’aimer : il existait une réalité parallèle dans laquelle je n’étais pas particulièrement différent.

J’ai profité de ce départ pour enfin mettre des mots sur ce qui n’était jusqu’alors qu’un malaise latent : j’étais homosexuel.

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Mais difficile de développer une carrière polyglotte dans un contexte où les bombardements et les enlèvements font peu de cas des sensibilités linguistiques. En 2013, j’ai donc fui Damas pour le Caire. Plusieurs membres de ma famille ont également vécu l’exil et sont aujourd’hui dispersés entre l’Allemagne, la Syrie, le Canada et les pays du Golfe.

Malgré le déchirement, j’ai profité de ce départ pour enfin mettre des mots sur ce qui n’était jusqu’alors qu’un malaise latent : j’étais homosexuel.

Ces mots, je les ai tout de même gardés pour moi. L’homosexualité est une transgression dans la société arabe actuelle, et l’Égypte ne fait pas exception.

Changer de personnalité. Encore.

En m’installant au Caire après la révolution, j’ai été embauché comme enseignant dans un centre d’anglais. Ces centres sont très populaires en Égypte et voient défiler toutes sortes de personnes. J’ai donc rapidement découvert les moeurs d’un pays plus dur que je ne l’aurais cru.

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J’avais dans ma clientèle un nombre incalculable de jeunes hommes et femmes qui faisaient de leur apprentissage une soupape de décompression. « Je ne veux pas rester avec mon mari, il me traite mal », « je veux être artiste, mais mon père me force à être médecin », « j’ai deux enfants, je ne peux pas partir » : chaque nouvel élève arrivait avec son lot d’histoires et de problèmes.

À travers ces récits, j’ai observé un décalage entre la rudesse des règles sociales et l’impression que beaucoup brûlaient d’envie de fumer du haschich ou de collectionner les amant.e.s. Certaines pratiques étaient en recrudescence, comme le mariage coutumier, ou Orfi. Primé des couples hétérosexuels, ce type de mariage est conforme à la Charia (loi islamique). Il permet de ne pas subir les affres de la police, très active en matière de moeurs, ou de prendre une chambre pour deux à l’hôtel sans que le mariage ne soit enregistré à l’État Civil. Contrairement au mariage traditionnel, le mariage Orfi est facile à rompre et n’implique pas les deux familles, ce qui sous-entendrait un engagement (trop) sérieux des principaux concernés.

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L’anglais semblait aussi libérateur pour les Cairotes. Pas sûr que j’aurais pu obtenir leurs confessions en arabe. Le fait est qu’ils s’exprimaient en anglais, et de plus en plus précisément à mesure que le niveau augmentait. Je n’ai jamais su si c’est le caractère libérateur de mes cours qui en était la cause, mais leur progression impressionnante enchantait mes employeurs.

«Tu es marié, Monsieur Hamzeh?», me demandait-on souvent. Ces questions m’ont de nouveau poussé à faire semblant. Je me suis donc inventé une petite amie, une certaine Suzanne, expatriée britannique dont je m’épuisais à vanter la beauté.

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En devenant un enseignant à succès, j’ai attiré l’attention sur moi. «Tu es marié, Monsieur Hamzeh?», me demandait-on souvent. Ces questions m’ont de nouveau poussé à faire semblant. Je me suis donc inventé une petite amie, une certaine Suzanne, expatriée britannique dont je m’épuisais à vanter la beauté. Mon entourage adorait l’idée que je sorte avec une Anglaise. On m’a laissé tranquille pour un temps.

Les colocataires avec lesquels je partageais un appartement dans le quartier du Rehab étaient moins faciles à berner. Ils m’ont un jour surpris alors que je flirtais au téléphone avec un autre homme et n’ont pas tardé à me menacer d’en parler à mes employeurs. J’ai alors compris que je ne pourrais pas vivre longtemps si je devais continuer à mentir aux autres et à craindre pour ma réputation ou mon intégrité physique.

Quelques mois plus tard, j’obtenais un statut de réfugié et partais m’installer au Québec. Le garçon sensible qui avait caché son homosexualité en terre syrienne et le prof d’anglais populaire du Caire allaient encore devenir quelqu’un d’autre. En apprenant le Français, c’est une identité de plus qui viendrait s’ajouter.

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Hamzeh Rahal travaille aujourd’hui comme traducteur. Il collabore également avec l’organisme MEDIAFUGEES, qui offre une tribune aux réfugiés de la francophonie.