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On se pense bon

Par
Judith Lussier
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Un nouveau site promet de transformer complètement la façon de vous penser bon sur les réseaux sociaux.

Certaines expressions en révèlent beaucoup sur les cultures desquelles elles ont émergé. Comme des miroirs, elles nous rappellent qui nous sommes et d’où nous venons. Par exemple, l’expression «débarquer» d’une voiture ou dans un lancement rappelle que nous, les Québécois, sommes arrivés par bateau il y a de cela quelques centaines d’années. Ainsi, alors que toute la francophonie débarque d’un bateau, comme d’une barque, ou, au pire, d’un avion, nous, Québécois, débarquons à toutes les sauces, encore après toutes ces années, et ce, peu importe notre degré d’aisance avec les embarcations nautiques.

Les français utilisent des expressions fabuleuses que nous n’avons pas ici, comme «se faire des plans sur la comète», qui, à ma connaissance, n’a pas d’équivalent ici. C’est peut-être parce qu’après être arrivés par bateau, en pleine crise de scorbut, il ne nous restait plus grand loisir de se projeter dans une situation plus enviable que celle d’élever une douzaine d’enfants dans la tradition catholique.

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D’autres expressions, bien qu’elles ne traversent pas l’Atlantique, trouvent leur parfait équivalent chez nous. Par exemple, l’expression «se la raconter», couramment utilisée en France pour indiquer le fait de se raconter des histoires dans lesquelles on se met en valeur, a sa version québécoise : se penser bon. Au Québec, quelqu’un qui se pense bon est couramment appelé un «fendant», ce qui n’est sûrement pas étranger à nos origines de bûcherons défricheurs. Celui qui fendait le plus de bois devait se la raconter plus que les autres, c’est certain.

Avec l’avènement des nouvelles technologies, de nouvelles expressions surgissent. Et avec de nouvelles expressions, de nouvelles révélations. Au Québec, nous avons adopté le terme «courriel», qui témoigne de notre attachement à la langue française, alors que les Français continuent de s’envoyer des «mails», ce qui témoigne de leur admiration pour la langue anglaise. Tout simplement.

Avec les réseaux sociaux est apparue l’expression «personal branding», et avec elle, sa plus ingénieuse déformation : le personal branling.

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Le personal branling est le fait de se la raconter en public, ou, en termes de chez nous, de se penser bon sur les réseaux sociaux. Un nouveau site est dédié à ceux qui maîtrisent plus ou moins adroitement cet art subtil de se la raconter au premier, second ou troisième degré. Par exemple : «Refuser un job chez Google : check». Cette branlette au second degré indique presque subtilement que son auteur est trop big pour Google, et qu’il peut donc se permettre de refuser ce job qui, pour le commun des mortels, en serait un de rêve.

Parce que depuis l’avènement des réseaux sociaux, on ne se le cachera pas, on se la raconte tous. Prenez quelques minutes pour aller visiter vos trois ou quatre derniers statuts. Bon, mes derniers tweets révèlent surtout que @BazzoTV m’a fait tilter avec sa décision de remplacer «chroniqueuse», qui, on le rappelle, est la forme féminine correcte de «chroniqueur», par «chroniqueure», son pendant parano-féministe, mais je peux vous jurer que je ne donne pas ma place dans la branlette 2.0 non plus.

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Je ne suis pas la seule. Qui n’a pas tenté de rivaliser d’imagination avec les plus grands humoristes pour trouver la réponse la plus rigolote au hashtag #nomfrançaisdemultinationale? Qui ne s’est pas autoproclamé «out-of-the-box thinker» dans sa description Twitter? Qui n’a pas fait une remarque sur son nombre d’amis ou de suiveux?

Si l’expression «débarquer» a trouvé sa place dans la culture Québécoise, l’expression «personal branling» peut sans aucun doute se réclamer de la communauté 2.0. Et qu’est-ce que ça dit sur cette communauté? Qu’elle est puérile (je n’avais jamais compté mes amis depuis la troisième année), qu’elle est profondément insécure (au point de fonder son amour propre sur un nombre de clics ou un RT de @Guyalepage), et qu’elle est très sensible à l’argument d’autorité.

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Ceci pourrait changer. Depuis que je suis tombée sur ce site, je ferme ma gueule sur les réseaux sociaux. J’ai beaucoup trop peur que ça se retrouve sur Personal branling.