J’ai souvent dit que le principal moteur de ma personnalité introvertie est la lenteur de ma pensée. J’ai la vivacité d’esprit d’un trou noir et c’est ce qui fait que je finis par parler peu. Mes bonnes idées surviennent généralement 30 secondes trop tard. Ça peut paraître court, mais c’est une éternité dans une conversation. Oui, bien sûr, il m’arrive d’avoir à l’occasion une répartie soudaine ou un trait de génie fulgurant. Mais on parle là d’exceptions. En général, l’énergie que je mets à réfléchir sur ce que je dois dire me tire tellement de jus que je dois aller faire une sieste. Ça vaut autant pour un débat sur le conflit israélo-palestinien que pour une discussion sur le temps qu’il fait.
C’est un peu un miracle si je suis parvenu à me frayer un chemin dans le monde des médias où l’on mesure souvent l’attrait d’une personne par l’instantanéité de son opinion. Surtout que c’est Internet qui m’a permis de m’épanouir dans le monde des communications. J’y étais dès les débuts (bon, pas à l’époque de l’ARPANET, mais presque) et la nature asynchrone de la chose m’offrait le délai nécessaire pour dire ce que j’avais à dire.
VÉRIFIER AVANT DE PARLER
Internet est mon deuxième cerveau. Y ayant passé beaucoup de temps (trop, selon ma mère), il semble que j’ai développé cette tendance à ne pas trop emmagasiner d’informations, sachant que je peux y avoir accès facilement en ligne.
Je ne connais pas beaucoup de choses, mais je sais très bien où je peux trouver ce que je cherche.
Je sais que ça peut sonner comme quelqu’un qui fait une entrevue d’embauche et qui dit que son principal défaut est d’être perfectionniste, mais cette réalité fait que je n’ose la plupart du temps pas me prononcer sur un sujet avant de vérifier quelques trucs pour être certain de ce que j’avance. À une époque où tout le monde se prononce sur tout, et trop vite, ce n’est pas nécessairement un défaut. En fait, je pense que le monde irait bien mieux si plus de gens étaient aussi lents que moi. Mais non, nous vivons dans un monde à deux vitesses où je ne risque pas de pogner de ticket.
Être amputé de son deuxième cerveau
Tout ça pour dire que je suis allé récemment à l’émission On va se le dire de Sébastien Diaz, à la télé de Radio-Canada. J’aime bien aller à cette émission parce que ça me permet de m’informer sur toutes sortes de sujets très variés auxquels je n’aurais pas été confronté sinon. J’y rencontre aussi souvent des intervenants inspirants, en plus de Sébastien qui est un chic type. Par contre, ça vient aussi avec le stress de devoir m’imposer alors que cinq ou six autres personnes se battent pour parler.
Dans un combat pour le temps de parole, l’introverti lambda fait pâle figure. C’est mon talon d’Achille.
Seul, je suis capable de faire une entrevue d’une heure avec quelqu’un. Mais ajoutez une personne de plus, et je n’arrive pas à prendre ma place.
Somme toute, je crois que ça s’est bien passé, sauf peut-être pour un moment où il était question de Donald Trump avec Stéphan Bureau. Ce dernier expliquait que M. Trump avait quand même un bon bilan à son actif. Que son pays n’avait été impliqué dans aucune guerre sous sa gouverne et que les accusations de racisme à son endroit n’étaient peut-être pas justes puisqu’un pourcentage élevé de latinos et d’Afro-Américains l’appuyaient. Je doute que ce soit un argument, mais je n’avais pas envie de m’en mêler.
Jusqu’à ce que Sébastien m’interpelle et me demande si je trouvais qu’il fallait aussi parler des bonnes choses qu’a faites Donald Trump. J’ai répondu quelque chose comme : « On peut bien en parler, mais c’est complètement disproportionné par rapport à ses réalisations négatives. » Stéphan Bureau a alors répliqué en me demandant de fournir des exemples. J’ai dit : « Bien, tout ce qu’il dit… », ou quelque chose comme ça, ce à quoi Stéphan a répondu : « Ce qu’il dit, mais dans son bilan, qu’est-ce qui est négatif? ».
À cette question, mon premier réflexe a été de me demander s’il s’agissait-là d’une colle. Puis de me demander ce qui pouvait bien être inclus dans un bilan. Qu’est-ce qui encadre un bilan? Est-ce que de fomenter un coup d’État peut être inclus dans un bilan? Ensuite, je me suis demandé s’il serait acceptable que je sorte mon téléphone pour demander à Google de me rappeler les éléments les plus terribles du bilan de Trump. Puis, je me suis aperçu que le temps passait et que je n’avais rien répondu d’autre que : « Ah, hehehe ». À ce moment, Nathalie Petrowski est venue à ma rescousse et a évoqué la question de l’avortement, ce qui n’a pas trop semblé convaincre M. Bureau. Peu importe, la petite musique pour aller à la pause s’est fait entendre et on s’est dandiné jusqu’à la pub du Dr Ho.
LE PRINCIPE DE PETER
Tout ça pour dire que je suis poche en débat, et pas à peu près. Surtout sur des sujets sensibles autour desquels je ne veux pas faire d’erreurs.
Si on avait parlé du bilan de Kent Hughes avec le Canadien, j’aurais certainement su quoi dire. Mais ce n’était pas le cas. Je n’ai jamais autant l’impression d’atteindre mon niveau d’incompétence que dans ce genre de situation. On va se le dire, le principe de Peter me guette, quand je vais à On va se le dire. La fois précédente, j’avais entre autres été jumelé à Mariana Mazza, ce qui avait compliqué un peu ma prise de parole.
Et ce n’est absolument pas un reproche envers Mariana que j’adore, ou envers Stéphan qui est vraiment sympathique. Ils sont simplement des maîtres de la rhétorique et je suis un maître du bafouillage.
Bien sûr, je suranalyse tout ça. Je suis sans doute la personne que ce petit moment a le plus marquée. Les téléspectateurs qui ont écrit à mon sujet sur les réseaux sociaux parlaient surtout de mon chandail qu’ils ont trouvé beau.
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Comprenez-moi bien, je ne souffre pas de mon handicap verbal. Il y a bien longtemps que j’ai accepté ma condition et que j’ai identifié mes limites. Je ne suis pas « pas vite », je suis juste un peu lent. Je me rapproche de temps en temps de celles-ci parce que je sais que c’est bon de sortir de ma zone de confort. C’est comme ça qu’on devient meilleur (genre).
Peut-être même que si on se croise dans la rue, un de ces jours, j’aurai quelque chose à vous dire sur la météo dans un délai d’à peine 29 secondes.
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