« Le jour où Incendies ne sera plus pertinent, ce sera la paix dans le monde. »
Depuis quinze ans maintenant, Denis Villeneuve demeure une des voix les plus intéressantes et pertinentes à Hollywood avec des films comme Prisoners, Arrival, Bladerunner 2049 et maintenant la série Dune où il réussit à conjuguer le cinéma à grand déploiement avec une profondeur de propos qu’on ne trouve peu ou pas ailleurs. Cette série ininterrompue de succès, elle s’est amorcée avec un petit-film-qui-s’est-rendu-loin, Incendies.
Adapté de la pièce de théâtre de Wajdi Mouawad du même nom, Incendies raconte la quête de Jeanne et Simon, des jumeaux chargés par leur mère de se rendre au Liban porter une lettre à leur père qu’ils croyaient mort et à leur frère dont ils viennent tout juste d’apprendre l’existence. Le film a raflé de nombreux prix et s’est même mérité une mise en nomination à la 83e cérémonie des Oscars dans la catégorie meilleur film en langue étrangère.
Incendies a été la porte d’entrée de Denis Villeneuve vers Hollywood. « Ça a été un film fondamental dans mon parcours », avoue le réalisateur. L’œuvre est de retour en salles partout au Québec pour célébrer son quinzième anniversaire et j’ai eu la chance de discuter avec M. Villeneuve de son héritage culturel et de la place qu’occupe Incendies dans sa filmographie.
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S’affranchir de la colère
« Le test ultime, pour un film, c’est de traverser le temps tout en gardant sa pertinence. De bien vieillir. Je trouve que c’est un super beau compliment qu’on ait décidé de le remettre à l’affiche au grand écran pour célébrer son anniversaire », admet Denis Villeneuve par visioconférence, en direct de sa résidence montréalaise.
Fort d’une récolte de deux Oscars sur cinq mises en nomination (dont la prestigieuse catégorie du meilleur film) à la grand-messe du cinéma, Villeneuve est de retour dans la métropole pour assister à la deuxième naissance de son bébé. « C’est un film qui a été conçu pour le grand écran et qui y prend toute sa force de frappe. Je crois qu’aujourd’hui, il est plus pertinent que jamais. »
Incendies est un film très violent, tant sur le plan visuel qu’émotionnel. On peut y observer les ravages de la guerre sur plusieurs générations. Inspiré par la puissance du propos de la pièce de Wajdi Mouawad, le réalisateur cherchait à en traduire l’essence dans un nouveau médium et voulait originalement en faire un film silencieux. Malgré l’importante réécriture, il donne quand même le crédit au dramaturge pour l’impact colossal de ses idées.
« Incendies explore l’idée de s’affranchir de la spirale de violence et de la charge de colère des générations précédentes. Une colère on ne peut plus présente, aujourd’hui. »
Villeneuve souligne également le travail du directeur photo André Turpin et celui de la directrice artistique Andrée Line Beauparlant qui ont su capturer et transformer en images l’écriture poétique de Wajdi Mouawad. Encore aujourd’hui, Villeneuve est sûr d’avoir, avec son équipe, fait du bon travail. « Quand on regarde l’impact universel du film, tant au Japon, au Brésil ou aux États-Unis, quand on regarde comment il a traversé le temps, je pense qu’on a réussi à saisir une partie de son essence, oui. J’entends encore constamment parler d’Incendies. »
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Petit budget, grandes idées
Perfectionniste, Denis Villeneuve n’a pas toujours bien vécu avec ce qui est encore aujourd’hui une de ses œuvres marquantes. Il m’explique avoir été initialement frustré de ne pas avoir pu donner à son projet l’ampleur qu’il aurait souhaitée, mais qu’au fil des années, il a su faire la paix avec Incendies.
« Le rapport budget vs ambitions était complètement décalé, mais je pense aujourd’hui que c’est comme ça qu’il devait s’incarner : dans l’urgence et l’économie de moyens. J’ai été forcé de créer des moments de cinéma qui étaient plus forts que ce que j’avais imaginé au départ », raconte le réalisateur.
Il raconte également que la grande générosité de la Jordanie (où l’équipe a tourné les scènes situées au Liban dans le scénario) a été un facteur clé au moment du tournage. La petite nation du Moyen-Orient leur a donné accès à du matériel militaire, à des figurants et s’est impliquée activement dans le bon fonctionnement du processus.
Même si Denis Villeneuve a gravi les plus hauts échelons à Hollywood, Incendies garde une place spéciale dans le cœur du réalisateur.
« C’était pas mon premier film, mais dans un sens ça l’était? C’est un film souverain. C’était la première fois que ma vision n’était pas influencée par d’autres réalisateurs. »
S’il avait la chance de le retoucher aujourd’hui et d’en sortir une nouvelle version, il n’en ferait rien : « Je ne suis pas un de ces réalisateurs qui croit qu’on devrait retoucher et remonter une œuvre. Un film, c’est un peu comme le monstre de Frankenstein. Quand le sang se met à pomper et qu’il se met à vivre par lui-même, il faut le laisser aller avec ses qualités et ses défauts. »
Qu’on ait aimé ou non, Incendies est un film qu’on n’oublie pas facilement. Une œuvre intense, foisonnante et parfois inconfortable. Elle a traversé les années parce que, comme le disait l’auteur Cesar A. Cruz, « elle réconforte les cœurs troublés et elle trouble les cœurs paisibles ».
En cette période où l’incertitude règne sur (entre autres) le milieu de la culture, on peut bien trouver un peu de fierté à cette grande réussite québécoise.