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Le temps des slows dans les bars est révolu depuis un moment déjà. On a remplacé le face-à-face collé, par un shaft-à-fesses frotté. Ce n’est plus de regarder l’autre dans les yeux qui devient dur.
Le moment du slow devenait du bonbon; sucré pour certains, surette pour d’autres.
Sincèrement, tant qu’à vivre la honte de la toutoune qui reste sur le bord de la piste, j’allais souvent me mettre en file pour mon manteau ou les toilettes.
Sinon, y’avait un mec qui avait le temps de m’accrocher au passage et si en plus il était beau, je souhaitais ardemment que le deuxième slow soit November Rain de Guns parce que la chanson s’éternisait pendant quatorze minutes. On oubliait toujours qu’avant la fin, Slash se donnait solide dans le solo de guitare et que ça devenait malaisant. Souvent, le gars peu rythmé ou trop enivré, continuait à faire son gauche-droite gauche-droite mécanique même si la chanson passait d’un plain à un rock assumé.
Plain, je trouve ça beige comme appellation. Pourtant y’a rien de plain ou d’ordinaire à un slow; deux corps se touchent, parfois bras dessus, parfois dessous, sans savoir si y’aura un french pour clore le tout. La distance entre les deux partenaires variait toujours selon le niveau de confort.
C’est loin d’être plain de la belle séduction.
J’ai toujours préféré tenir le cou du gars pour avoir ses mains sur mes hanches. Le plaisir de sentir ses phalanges timides descendre sur mes fesses ça me laissait le temps de donner mon approbation ou non. Aujourd’hui, le pénis arrive vite dans l’derrière de la fille et même si le frottage dure 2 secondes, y’a le temps de l’écœurer avant qu’elle refuse.
On n’oublie jamais son premier slow.
Le mien c’était dans une épluchette de blé d’Inde en 1989. Une épluchette classique là, avec des lumières en plastique multicolores sur une corde qui passaient du cabanon à la maison de notre hôte. Madame Boucher avait loué une table en bois recouverte d’une nappe rouge et blanche et les carrés de beurre ont fini par avoir des mouches collées dessus. J’avais été nommée la Reine en épluchant le maïs coloré, mais un peu plus tard pendant l’épreuve de la course dans la poche, j’étais tombée face première dans le gazon. Ça annule un prestige monarchique sur un moyen temps.
L’élu s’appelait Denis, j’avais 11-12 ans, il en avait 14 et je le trouvais beau depuis que j’en avais 6. J’ai même baptisé mon bébé Boutchou en son honneur. Denis avait les yeux bleus, le sourire broché et les cheveux frisés. Il était gentil, car comparativement à tous les gars du coin, à ses beaux yeux, j’existais. Il me disait bonjour et ne me taquinait pas. C’est tout. Mais n’en fallait pas plus pour que ce soit l’homme de mes rêves.
Lorsqu’il a dit : “Veux-tu danser?” J’ai contenu mes cris aigus pour deux raisons. Un c’était Denis et deux : c’était la toune Carrie d’Europe. En 1989, c’était pas rien danser son premier slow sur une “toune de pouèles”.
Y’a pas eu d’étoiles filantes, on ne s’est pas embrassé, rien de juteux s’est produit et personne a fait un zoom de caméra sur mes yeux scintillants comme dans les films. Y’avait juste un nuage de grande fierté qui planait entre ma tête et les lumières en plastique parce que j’étais à son bras le temps d’une chanson.
Et c’est là qu’il m’a demandé sourire broché aux lèvres : “Es-tu contente? Tu danses avec moi.” J’ai répondu un oui timide, mais malgré ma prépuberté, je me souviens de m’être dit : “Ark, c’est lui qui devrait être content de danser avec moi, je suis la reine.” Finalement j’avais plus de prestige monarchique que je pensais, j’avais juste pas encore les ovaires pour l’affirmer.
Y’a gâché mon moment avec son arrogance de 14 ans.
J’aime encore Carrie d’Europe, j’aime encore mon Boutchou, mais Denis, c’est fini.
Love xx
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Pour lire un autre texte de Mélanie Couture : “Papa, tu n’es pas qu’un géniteur”