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Je n’ai pas peur de la mort; j’ai peur de l’avion. L’idée même du décollage me donne des vertiges, ne me parlez surtout pas de l’atterrissage. Il n’y a pas de mot pour décrire cette peur qui ne m’habite que lorsque je franchis la porte automatique d’un aéroport.
Oui je sais, c’est sécuritaire blabla. On a beaucoup plus de chances d’avoir un accident de voiture blablabla. Les accidents d’avion c’est super rare blabla- je m’en fous. Je suis dans le ciel, je n’ai pas le contrôle; je suis terrifiée.
Je suis aussi surtout sur les Ativans et j’attends impatiemment mon verre de vino.
La dernière fois que j’ai pris l’avion, je parvenais enfin à m’endormir quand trois Françaises (détail peu important, mais je choisis de le mentionner parce qu’elles ont confirmé le stéréotype des Françaises chiantes que tant de Français gentils doivent porter lourdement – je m’excuse aux gentils Français qui n’ont rien fait) bref, elles ont décidé de parler très fort du voyage qu’elles allaient vivre ensemble; SHOPPING À NEW YORK.
Au risque de me répéter, j’ai peur de l’avion. Je veux dormir. Les Françaises s’énervent derrière. Je pense qu’elles imaginent que tout l’avion veut savoir ce qu’elles vont faire à New York. Elles sont la pâle copie des filles de Sex and the city. Un peu plus cheap, tout aussi gossantes. Je fais l’erreur de pousser un petit «chut». Peut-être aurais-je dû poliment me retourner et leur demander de parler moins fort. Mais bon, j’ai dit «chut». Sorry.
Elles ont continué de plus belle. En se faisant un malin plaisir à répéter des « chuts » à leur manière – c’est-à-dire avec sarcasme et condescendance. Des femmes, dans la quarantaine avancée, s’amusaient à dire chhhhhut pour tourner au ridicule ma réaction de fille sur le buzz d’un Ativan. Excédée, je me suis retournée, et j’ai poliment dit « Excusez-moi, c’était maladroit de vous dire CHUT, mais c’est simplement que j’essaie de dormir et depuis le début du vol vous parlez comme si vous étiez seules dans l’avion. » Ce à quoi elles ont répondu qu’elles n’avaient pas à baisser le ton. Qu’elles avaient du plaisir. Que comme j’étais la personne « gênée par la situation », je devais MOI-MÊME demander à changer de place. Qu’elles n’allaient pas baisser le ton pour me faire plaisir. Qu’elles ne recevraient pas d’ordres d’une gamine. UNE GAMINE? J’ai 27 ans. Je ne me considère plus comme une gamine, j’ai donc été flattée une seconde qu’on me croit plus jeune que mon âge. J’hésitais entre dire « merci » et « va chier ». Un peu comme quand une amie te dit que ton chandail te fait bien, qu’elle ne porterait pas ça, mais qu’à toi, ça fait bien. Merci mais va chier. Merchier.
L’une des Françaises a même dit qu’elle pourrait être ma mère et que je n’avais pas à lui dire comment vivre. Non, Madame vous ne pourriez pas être ma mère. Ma mère m’a appris à m’excuser si je dérange quelqu’un. Lorsque par mégarde je parle trop fort, si quelqu’un me le signale, je m’excuse huit fois et je baisse le ton à tout jamais.
J’ai gentiment dit aux dames que leur comportement était égoïste. Que leur façon de voir les choses était uniquement tournée vers leur petite personne. Mais je n’en n’ai pas ajouté. Je me suis retournée. J’ai eu le goût de pleurer. Et tout le vol j’ai entendu leur faux «chut»; j’étais de retour au primaire, à endurer les niaiseries de trois filles de 8 ans convaincues que la vie leur appartient parce que leur gloss goûte les cerises.
Je me suis tue. Je n’ai rien ajouté. Dès que l’avion s’est posé sur la piste, je me suis imaginée descendre de l’avion et informer la sécurité que trois Françaises avaient parlé de bombes artisanales et de traffic de stupéfiants tout le long du vol. Juste pour les mettre dans la marde et qu’elles manquent leur correspondance. J’ai eu la vengeance hypothétique, parce que je n’ai rien fait de tout ça. Et jusqu’aujourd’hui, je me fais croire que j’ai gagné que j’ai été la plus intelligente de la gang.
Je n’ai rien dit mais maudit que j’aurais eu envie de parler. Mais elles étaient trop connes. Et normalement j’ai une patience avec l’humain en général. Mais avec elles, j’ai abandonné.
Ce que je voudrais dire à ces dames qui ont dérangé mon existence pendant un vol de sept heures, c’est que je ne suis pas fâchée. Je suis déçue. Déçue que leur expérience sur terre leur paraisse plus importante que la mienne alors qu’on vit le même mystère. La planète flotte dans l’infini, et on meurt à la fin. Nous ne sommes que des petits humains, qui par le miracle de la vie, sont capables de voir, de comprendre, de communiquer. Au lieu de partager ce droit de coexister en paix dans un même avion, mesdames, vous avez décidé que votre existence primait. Et parce que j’accepte l’absurdité de la vie humaine dans l’univers et que je feel bordeline nihiliste quand ça me plaît, j’aurais pu me permettre de vous blesser sérieusement. On meurt à la fin anyway. Mais comme on est beaucoup à exister, il a fallu se structurer en société et des lois m’interdisent malheureusement de vous faire mal sans conséquence.
Je sais que ma petite anecdote d’avion vient de prendre une tangente un peu philosophique, mais c’est vrai. Tous les jours, je réalise que je suis prise dans un corps, sur une planète qui flotte dans l’infini, et que dire de l’infini? Je vais mourir avant d’avoir été capable de concevoir ce qu’est l’infini.
Collectivement, on en est revenus vite, qu’on habite sur une énorme sphère qui tourne autour d’une gigantesque boule de feu, et que tout ça, ben, ça flotte dans l’infini. J’aimerais avoir plus d’explications. Mais les explications impliquent des mécanismes de la nature que je ne comprendrai jamais. Comme la notion d’infini.
Donc pendant qu’on attend la fin de la vie à ne pas comprendre ce qui se passe, est-ce trop demander d’essayer d’avoir du plaisir égal, en respectant celui des autres? Est-ce possible, ou je pense comme une gamine et je n’ai pas le droit de vouloir dormir et profiter du calme mental que me procure mon Ativan?
Ce que je veux vous dire mesdames, c’est : fermez vos yeules. De grâce. Fermez vos yeules. New York va encore exister même si vous ne passez pas sept heures de temps à en jaser avant d’arriver. On flotte tous dans l’infini, on meurt tous à la fin, vous n’êtes pas plus nice que moi, mesdames.
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