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On a visité L’étrange pays de Jean Leloup

Sur son 9e album, l'artiste culte revient avec une formule plus épurée.

Par
Estelle Grignon
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Ça y est : Jean Leloup a décidé de sortir de sa tanière pour nous offrir un nouvel album. Déjà sur À Paradis City, il entrait dans un registre plus épuré et organique. Quatre ans et plusieurs Félix plus tard, L’étrange pays va encore plus loin. Jean est seul avec sa guitare et les oiseaux pour livrer ce projet. Pas de musiciens invités, pas de boîtes à rythmes, pas de travail de studio flamboyant, pas de refrains explosifs. Les treize chansons sont présentées à leur état pur, et sont enregistrées en plein air.

Leloup à l’aube

J’ai écouté le projet plusieurs fois dans les derniers jours dans toutes sortes de contextes. Mais c’est ce matin, aux alentours de cinq heures, que j’ai eu le plus de plaisir à faire jouer l’album. L’étrange pays transpire l’aube, le lever du soleil. Ce moment où tout le monde est encore endormi. Il y a une certaine logique à tout cela. Jean Leloup est seul sur l’album : il y a donc une belle intimité qui s’installe lorsqu’on écoute le disque en pleine solitude aussi.

Camille Gladu-Drouin

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Est-ce qu’on peut faire jouer l’album en prenant une sangria sur le balcon avec ses amis? Probablement. Mais l’expérience ne vaudra jamais celle d’un café ou d’un thé sur le bord de la fenêtre. L’étrange pays, c’est la semaine seul au chalet qu’on n’a jamais le temps de se payer pour faire une introspection.

Hurler seul à la lune

Voilà quand même quelque temps qu’on semble découvrir un Jean Leloup de plus en plus introverti. On sent en effet un Leloup très seul sur l’album, alors qu’il chante surtout au « je », avec quelques références au « tu ». Ainsi, sur Les goélands, on le retrouve complètement isolé. « Où sont mes amis perdus/Où sont mes rêves oubliés/Au couloir des sans issues/Parmi tous les macchabées/Suis-je le seul rescapé? » Il passe ensuite le reste de la chanson à attendre les goélands, qui sauront lui dire s’il a « vécu réellement ».

Camille Gladu-Drouin

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La faune prend d’ailleurs une grande place dans le lexique du loup. Elle sert parfois de guide, parfois de repère tragique. En plus des animaux qui chuchotent au loin sur l’album, on retrouve un petit oiseau cassé, d’autres affolés et emprisonnés, un « immense bâtard moitié chien, moitié loup », des chevaux sauvages écrasés sur les rochers et un chat perdu en hiver.

Surtout, trente ans après la sortie de son premier album, Jean Leloup semble avoir beaucoup plus de questions que de réponses. Le questionnement, le deuil et l’inconnu semblent en effet être les thèmes de prédilection de l’album. Il faut dire que les clés qui sauraient déchiffrer ce que Leloup insinue sont souvent rares, alors qu’il parsème ses paroles de personnages et de fables.

Des chansons-squelettes

Avec des arrangements aussi épurés, certaines chansons sonnent carrément comme des démos. L’enfant fou, par exemple, porte cette mélodie fredonnée par Leloup, à coups de « da na na, na na na na ». Il est facile d’imaginer comment ce refrain, s’il était tombé dans les oreilles du chanteur une vingtaine d’années plus tôt, aurait pu se transformer en quelque chose de grand. Le Jean Leloup de L’amour est sans pitié ou de l’album live Les fourmis aurait sûrement mis de grosses guitares, ou encore des choristes par-dessus.

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Bref, il est facile d’écouter l’album et de se demander ce qui aurait pu arriver dans un autre contexte. On peut entendre la façon dont Le temps aurait pu virer en rock lourd ou comment L’oiseau-vitre aurait eu le potentiel de devenir une pièce aux accents funk bien rythmés. Mais voilà, c’est le Jean Leloup de 2019 que l’on retrouve ici. Difficile de savoir si ces chansons auront droit à une nouvelle vie dans le futur.

Camille Gladu-Drouin

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Mais même avec le strict minimum ou presque sur chaque pièce, le roi Ponpon est capable d’aller explorer des avenues plutôt variées. Il faut toutefois une écoute plus attentive pour comprendre toutes les subtilités qui séparent les différentes pièces.

Finalement, rien ne laisse présager que L’étrange pays se situera au haut du panthéon des meilleurs projets de Jean Leloup. La compétition est forte et les tours de force étaient trop fréquents dans le reste de sa carrière. Mais là n’est pas le point. L’étrange pays a son univers propre. C’est un album qui n’est pas là pour tout casser et chambouler. Simplement l’un des artistes les plus importants de l’histoire du Québec qui produit le son de quelqu’un qui prend le temps de s’arrêter. L’étrange pays est peut-être une fabulation dans l’esprit de John the Wolf. Mais c’est peut-être aussi Jean Leclerc qui décide de retirer ses verres fumés pour observer, un instant, le vrai monde autour de lui.

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