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On a tranché : « Dirty Dancing » est un film ultra-féministe!

Une histoire d’avortement illégal, de désir féminin et de sororité.

Par
Laïma A. Gérald
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Ça fait 35 ans que le public a découvert Johnny Castle (Patrick Swayze) et Baby Houseman (Jennifer Grey) dans le mythique film Dirty Dancing.

Adoré par des générations de fans, ce bijou cinématographique a inspiré de nombreux films (Holà, Diego Luna dans Havana Nights), une version scénique et des émissions de danse-réalité regardées dans le monde entier.

Je vais être parfaitement honnête, Dirty Dancing ne fait pas partie de mon panthéon personnel. Je me souviens vaguement avoir vu Danse lascive (VF) une fois quand j’étais adolescente, probablement en version doublée à TQS.

J’avais le souvenir d’une comédie romantique sirupeuse et vide avec des répliques quétaines comme « On ne laisse pas Bébé dans un coin » ou encore « Tu n’as pas besoin de courir le monde après ton destin comme un cheval sauvage ».

Du moins, c’est ce que je croyais avant de revoir l’œuvre la semaine dernière.

Derrière l’histoire d’amour entre Baby et Johnny, les chorégraphies et les chansons (EXCELLENTES, je l’avoue!) se cache une trame narrative profondément féministe, dont les échos résonnent de 1987 à aujourd’hui.

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Un deux trois, cha cha cha

Avant d’aller plus loin, je vous rappelle le synopsis.

Nous sommes à l’été 1963.

Frances Houseman, surnommée Baby, une jeune fille de bonne famille, se rend au club de vacances Kellerman’s, une sorte de camp de vacances familial de luxe dans les montagnes Catskills, avec ses parents et sa sœur.

Baby s’éprend du professeur de danse, Johnny Castle, un jeune homme séduisant aux origines plus modestes.

Baby est une jeune femme privilégiée et intelligente : elle est prédestinée à réaliser de grandes études universitaires et à faire un bon mariage. Elle rêve de rejoindre le Corps de la paix (Peace Corps) et de sauver le monde. Vous voyez le portrait.

Revirement de situation : pendant son séjour, Baby se retrouve mêlée par hasard à la vie des employé.e.s du camp, et elle s’éprend du professeur de danse, Johnny Castle, un jeune homme séduisant aux origines plus modestes.

C’est alors que Penny, la partenaire de danse de Johnny, tombe enceinte (pas de lui et de manière non désirée). Baby fait tout pour l’aider: elle emprunte de l’argent à son père pour payer l’avortement de Penny et même si elle ne sait pas danser, elle offre de la remplacer dans le spectacle de Kellerman’s.

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Ce qui l’amène à suivre des leçons avec le beau Johnny afin de maîtriser une chorégraphie complexe qui culminera vers le célèbre porté.

Malgré la désapprobation de son père, Baby tombe amoureuse du bel Adonis, passion qui culmine d’ailleurs vers la scène finale, la chorégraphie sur (I’ve had) The time of my life et son fameux porté!

Une histoire d’avortement illégal

Oui, Dirty Dancing raconte l’histoire d’amour de Baby et Johnny, que tout oppose, mais c’est aussi un récit d’avortement illégal, de sororité et de femmes qui se soutiennent, avec empathie et sans jugement.

Réalisée de manière clandestine, l’avortement se passe mal et Baby ira même jusqu’à demander à son père médecin de soigner sa nouvelle amie.

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Lorsque Baby apprend que Penny est enceinte et qu’elle ne souhaite pas poursuivre sa grossesse, elle n’hésite pas une seconde à lui venir en aide. Elle emprunte 250 $ à son père, sans lui dire à quoi servira l’argent, afin de payer l’intervention de celle qu’elle connait pourtant à peine.

Réalisée de manière clandestine, l’interruption de grossesse se passe mal et Baby ira même jusqu’à demander à son père médecin de soigner sa nouvelle amie.

En 1963, tout cela est complètement illégal. En effet, l’intrigue se déroule dix ans avant l’adoption de Roe v. Wade, un arrêt qui protégera le droit à l’interruption volontaire de grossesse sur tout le territoire américain… jusqu’en 2022.

Eh oui, on se rappelle que ce droit vient d’être annulé par la Cour Suprême aux États-Unis, ce qui donne à cette scène un écho particulièrement contemporain.

Si Baby offre à Penny d’apprendre à danser pour la remplacer le temps de sa convalescence, Penny s’empresse de venir en aide à Baby, dans son apprentissage de la chorégraphie. Pas de jalousie, pas de rivalité, juste de l’entraide.

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Là où j’ai été soufflée lors de mon récent visionnement de Dirty Dancing, c’est qu’à aucun moment l’initiative de Penny n’est discutée ou remise en cause. Même le père de Baby, qui découvre à quoi son argent a servi et qui la soigne in extremis, traitera la jeune femme avec bienveillance et ouverture.

Cette scène, tournée dans les années 1980 dans l’Amérique conservatrice de Ronald Reagan, était tellement importante pour la scénariste Eleanor Bergstein qu’elle s’est arrangée pour qu’elle ne puisse pas être enlevée au montage.

Des militant.e.s pro-choix ont régulièremet cité Dirty Dancing comme exemple de représentation bienveillante et sans jugement par rapport à l’avortement.

« Si vous voulez inclure un tel élément [un avortement illégal], vous avez intérêt à l’intégrer si précisément dans l’intrigue que le jour où l’on vous demandera de le retirer, vous ne pourrez pas le faire sans que le film s’effondre. Parce que si on peut l’enlever, on le fera », déclarait la scénariste au magazine Cosmopolitan.

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En outre, au fil des années, des militant.e.s pro-choix ont régulièremet cité Dirty Dancing comme exemple de représentation cinématographique bienveillante et sans jugement par rapport à l’avortement.

Désir féminin et récit initiatique

La guerre du Vietnam, l’assassinat de John F. Kennedy, le célèbre discours de Martin Luther King contre la ségrégation raciale : l’année 1963 est forte en histoire américaine.

Si Baby est remarquée par Johnny, c’est pour son potentiel et non pour son corps.

Dirty Dancing, derrière ses airs mielleux de comédie à l’eau de rose, s’ouvre sur des mises en contexte sociales et des discussions politiques entre Baby et son père. Rapidement, la jeune protagoniste est mise en valeur pour ses qualités intellectuelles plutôt que pour ses attributs physiques.

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D’ailleurs, il faut souligner que le personnage de Baby ne correspond pas aux standards de beauté hollywoodiens de l’époque. Elle est petite, a les cheveux bouclés, n’est pas plantureuse et a un nez qui fera damner Jennifer Grey pendant les 350 pages de son autobiographie Out of the Corner.

Si Baby est remarquée par Johnny, c’est pour son potentiel et non pour son corps. En fait, l’objet de convoitise sexuelle du film, c’est le personnage masculin, campé par le sulfureux Patrick Swayze.

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À travers les trajectoires des jeunes protagonistes, Dirty Dancing trace le portrait de l’émancipation de Baby. Réservée, timide et un peu coincée, elle découvre son pouvoir et son corps à travers l’apprentissage de la danse lascive (wink wink). Et quand je parle de « dance lascive », je fais référence aux chorégraphies au sens propre, mais aussi à la découverte de sa sexualité.

Mais attention, le film ne présente pas du tout un personnage féminin dans un état d’attente et de passivité comme c’est souvent le cas au cinéma, bien au contraire.

C’est avec enthousiasme que Baby assume son désir naissant et choisit d’y succomber.

Lorsqu’ils sont sur le point de s’adonner à leur première relation sexuelle, c’est Johnny qui se tient, à moitié nu, au centre de la pièce, tandis que Baby commence à danser autour de lui pour le séduire. C’est avec enthousiasme qu’elle assume son désir naissant et choisit d’y succomber. Pour sa part, Johnny apparaît comme un amant attentionné et non comme le classique jeune homme qui profite de la naïveté de sa conquête.

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De plus, quand arrive la fin des vacances, Baby ne change pas ses plans pour rester avec l’élu de son cœur, pas plus qu’elle ne pleure toutes les larmes de son corps devant l’obligation de le quitter.

Ceci étant dit, j’entends l’argument que la fameuse émancipation de Baby vient (encore et toujours) d’un homme. Mais vu le niveau d’agentivité qu’on peut attribuer à la jeune femme, je suis prête à passer outre.

Après tout, c’est Patrick Swayze qui, en mode lipsynch, prononce les mots…

I’ve had the time of my life
No, I never felt this way before
Yes, I swear, it’s the truth
And I owe it all to you

… en regardant Jennifer Grey dans les yeux.

Si Dirty Dancing a marqué des générations avec ses chansons accrocheuses, ses chorégraphies à rendre jaloux les participant.e.s de Dancing with the stars et son histoire de type Cendrillon des années 60, l’œuvre a fait des petits. En effet, de nombreux dance movies comme Save the Last, Step Up ou Take the Lead ont repris la classique trame de jeunes issu.e.s de milieux sociaux opposés qui se lient d’amour ou d’amitié grâce à la danse.

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Mais ce qui résonne le plus fort aujourd’hui, et qui fait que l’œuvre traverse les époques, c’est le discours surprenant actuel sur les classes sociales, l’émancipation et la sororité.