La plupart des gens qui forment une foule à un concert ne sont pas calés en musique. J’en fais partie. Mon copain Jacob, par contre, travaille dans l’industrie et va observer des détails techniques qui me sont complètement étrangers. On s’est dit que ce serait intéressant de faire une critique à trois points de vue afin d’avoir une vision 360 d’un show: mon habilité à appartenir à la moyenne comme spectatrice, les connaissances musicales de Jacob comme technicien et l’avis d’une ou d’un collègue musicien. C’est le plus près d’un jury d’American Idol que je ne pourrais jamais être.
Il ne restait qu’à trouver un spectacle et le dernier membre de notre trinôme. Le groupe de doom pop NOBRO faisait la première partie d’Alexisonfire à Winnipeg il y a quelques semaines donc nous avons demandé tout bonnement à notre amie Safia Nolin si elle voulait nous accompagner. Les 25 heures de char pour s’y rendre ont fait peur à sa gérance et nous nous sommes plutôt tournés vers le concert de la formation au Ministère le 30 janvier dernier dans le cadre de la cinquième édition du Taverne Tour. Il allait faire moins frette et on pouvait manger une poutine en bonus. Sorry not sorry English part of Canada.
Punk is not dead
NOBRO avait piqué ma curiosité parce que le band tourne pas mal dans les médias. Elles reviennent justement d’une tournée pancanadienne avec Alexisonfire et The Distillers. Leur EP intitulé Sick Hustle sort au printemps sous l’étiquette Dine Alone Records. Et la cerise sur le sundae, elles joueront avant les iconiques Pussy Riot en mars prochain à Toronto. C’est une manière plus marquante de débuter la décennie que de suivre une résolution de diète cétogène mettons.
Pour garder l’effet de surprise, Safia s’est courageusement abstenue de stalker leur site web.
Maintenant fan
Le jour J, nous sommes arrivés juste à temps pour le début du show dans un Ministère plein à craquer.
Première constatation, les filles sont vraiment loud (allo Simon Cliche). Safia vient à ma rescousse avec du papier de toilette en guise de bouchons. Impossible toutefois de jaser pour connaître les réactions à chaud de la petite bande, on n’entend que les pièces qui s’enchaînent l’une après l’autre de façon explosive. Je décèle seulement un « fuck les chansons de 8 minutes » de la part de Safia, en réaction aux pièces rapides mais accrocheuses de la formation.
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Crédit : Camille Gladu-Drouin
Le concert se poursuit et les membres du band se balancent de plus en plus la tête devant un mur de projections électriques. La foule qui était jusqu’à lors assez léthargique commence à suivre le rythme. Jacob se dépêche de nous laisser le contenu de ses poches afin de se lancer dans un mushpit naissant. On le perd dans une marée de hoodies suants et de testostérone. On le revoit dégoulinant pour la dernière chanson, un cover de Kick out the jam des MC5.
Si j’avais des doutes sur l’appréciation du show par Safia, elle me donnera l’heure juste en se dirigeant vers la table de merch. « J’ai vraiment aimé ça », dit-elle un t-shirt du band entre les mains.
Mon copain vise un souvenir plus « marquant » en empruntant un sharpie à la fille de la billetterie. Son souhait de rencontrer le band se réalise et on croise NOBRO qui s’adonne au sport le plus pratiqué en musique soit charrier son stock dans une van. Il leur demande de lui signer la face, parce qu’un autographe qui salit pas les taies d’oreillers ça ne semblait pas suffire.
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Autour d’une poutine
J’en profite pour jaser de leur dernière tournée à la claviériste et percussionniste Lisandre Bourdages. Elle s’est dit bien contente de revenir à une plus petite salle après des spectacles de stadium. Le band côtoyait littéralement leur idoles chaque soir, un rêve mais une énorme pression à la fois. Le sac magique devait y aller au toast.
C’est autour d’une généreuse poutine dans le calme relatif d’un fast food de quartier que nous avons enfin pu donner notre avis sur la soirée. Je plonge dans la sauce brune comme dans le vif du sujet, « j’ai vraiment aimé l’énergie de chacune des filles. Tu regardais n’importe laquelle et tu embarquais.»
Jacob poursuit sur la même lancée : « Ça paraît que c’est un band unis, ça se sentait. J’ai trouvé qu’elles étaient toutes talentueuses musicalement. Un gros wow pour les runs de basse de Kathryn McCaughey, la chanteuse principale. Aussi, j’ai été impressionné quand les filles changeaient d’instruments. » Par exemple, la drummeuse Sarah Dion s’est donnée à la basse pour la pièce et la claviériste à pris sa place derrière la batterie.
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Crédit : Camille Gladu-Drouin
« C’est la chanson en français par la guitariste qui m’a surprise. J’ai trouvé que vocalement elle était bonne aussi, » indique Safia en faisant référence à Karolane Carbonneau.
Cette remarque me fait réaliser que les membres ont toutes eu des solos où elles étaient mise en valeur comme musiciennes. « J’aimais qu’elles prennent chacune la parole également, qu’elles soient engagées ensemble dans les chansons. »
« Ça renforçait cette idée-là qu’elles soient en ligne droite sur le stage, ajoute Safia. Côté mise en scène, les projections bord en bord sur le band étaient folles! C’est une esthétique qui leur allait vraiment bien. J’ai appris en parlant aux filles que ça ne venait pas de leur organisation, mais de la salle. D’habitude, quand tu n’as pas ton éclairagiste, c’est assez de base. »
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Crédit : Camille Gladu-Drouin
Privilèges
On se fait remplir nos verres d’eau une millième fois et la conversation change de direction. « C’était une bonne idée de ne pas écouter ce que le band faisait avant le show, réfléchit Safia. L’effet que ça m’a fait de découvrir NOBRO directement en concert, c’est que j’ai été conquise dès la première chanson. Je ne sais pas si elles font de la musique depuis longtemps, mais je me suis demandée pourquoi je ne les connaissais pas. Elles sont Montréalaises en plus! »
Je fais ma petite recherche et je découvre que le band existe depuis 2014. Je mentionne le boys club en musique et Safia acquiesce rapidement. « Avec le festival BleuBleu sur lequel je travaille, je m’en rends compte. Ça commence tellement loin dans le processus qu’il y a moins de filles. NOBRO m’a fait penser à des personnes en particulier qui auraient capoté d’être là et de voir un band qui leur ressemble.»
Jacob: « C’est sûr que malgré elles NOBRO devient un modèle, un peu comme Bikini Kill et sa fondatrice Kathleen Hanna. C’est une méga icône du punk des années 90 et du féminisme. Pour donner un exemple comment elle était big, c’est elle qui a donné le nom à la chanson culte de Nirvana en disant “Kurt smells like teen spirit”. En concert, elle demandait aux gars d’aller en arrière et aux filles de s’avancer. Comme ça, elles pouvaient trasher ensemble avec le band. »
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Crédit : Camille Gladu-Drouin
« Connaissez-vous Lido Pimienta? Rebondit Safia. Elle est une artiste canadienne d’origine colombienne qui a gagné entre autres le prix Polaris il y a deux ou trois ans. À un concert à Halifax, elle avait créé une grosse vague en demandant aux gars d’aller en arrière et aux filles de couleur d’aller en avant de la scène, devant les filles blanches. Cet acte-là permettait aux femmes de couleur d’avoir un safe space. C’est un privilège d’être plus proche de la scène en sécurité. »
Jacob nous avoue qu’il a réfléchi à ces enjeux en allant dans le mosh pit plus tôt. Il était composé pas mal juste de bros et les filles se répartissaient sur les côtés. « Quand ça virait plus intense, je me suis sentie mal de faire parti de ce mouvement-là. Il y a moyen de mosh pitter sans se prouver et pousser fort. »
Safia : « Je ne sais pas comment les filles sur le stage se sont senties en voyant juste des gars dans un mosh pit au devant de la scène. Ça me ferait chier je pense, mais en même temps tu veux que les gens trippent comme si c’était un show comme tous les autres shows du monde. »
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On revient sur les qualités musicales du concert parce que je voulais absolument partager comment j’ai été surprise d’entendre des bongos. L’effet était pas mal plus rock qu’à Belle et Bum. Nous sommes les trois d’accord pour dire que les pièces étaient toujours diversifiées. « Je trouve que c’est difficile de définir ce qu’elles font comme style de musique en fait, » lance Safia.
Jacob: « Je dirais que c’est un mélange de riff à la Black Sabbath, de punk rock des années mi 2000 et du Incredible Bongo Band sur un sugar rush. »
Cette phrase-là et les frites froides dans mon assiette m’ont indiqué qu’on avait probablement faite le tour.
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