La justice réparatrice est un concept encore flou pour le commun des mortels.
Équijustice, un organisme important dans le domaine la décrit ainsi sur son site web : « La justice réparatrice offre des espaces d’écoute et d’échanges, confidentiels, sécuritaires et respectueux, à toutes les personnes concernées par un acte criminel – victimes, auteurs, témoins ou proches – ou par un conflit. »
Toujours pas clair? La nouvelle série de Chantal Cadieux Mea Culpa passe de la théorie à la pratique et nous plonge dans l’univers de Bérénice (Mélissa Désormeaux-Poulin), une médiatrice en justice réparatrice, elle-même victime collatérale d’un meurtre commis vingt-cinq ans auparavant et qui doit composer avec la remise en liberté du tueur (Maxime Gaudette).
« Dans le processus de justice traditionnelle, les victimes collatérales ont principalement un rôle de témoin, mais elles n’ont pas nécessairement l’espace pour s’exprimer comme elles le souhaiteraient et vivre ce qu’elles ont à vivre », m’explique la directrice générale d’Équijustice Marie-Ève Lamoureux qui a trouvé le personnage de Bérénice très crédible.
Ensemble, Marie-Ève et moi avons regardé les deux premiers épisodes de Mea Culpa afin de produire la critique la plus éclairée possible.
La place (ou l’absence) du pardon
En toute transparence, Chantal Cadieux a consulté Équijustice pendant l’écriture de la série. Le directeur de la médiation sociale Luc Simard et la directrice d’Équijustice Drummond Sonia Vallée ont pu donner l’heure juste à l’autrice à propos du travail de médiateur.
« J’ai aimé qu’on fasse allusion à la préparation individuelle en amont lors de la rencontre entre la jeune femme et son père condamné pour pédophilie. Ça arrive souvent qu’au moins un des participants à un processus de justice réparatrice ne soit pas prêt à une rencontre face à face d’entrée de jeu. C’est un aspect très réaliste du métier », affirme Marie-Ève Lamoureux.
En résumé, Mea Culpa raconte l’histoire de Bérénice, mais aussi de ses amis Marie-Dominique (Jessica Barker), Lysanne (Cynthia Wu-Maheux) et Rémi (Dany Boudreault). Ce dernier est devenu tétraplégique suite à la tragédie ayant coûté la vie à leur amie Vania (Lou Thompson) en 1999. Les quatre personnages vivent chacun à leur manière avec les contrecoups de ce traumatisme et avec la nouvelle de la libération du coupable après avoir purgé la quasi-totalité de sa peine.
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Leurs histoires personnelles s’entrecoupent avec leur souvenir du féminicide qui a marqué leurs vies, exposant l’impact des répercussions dans leur quotidien. Une structure narrative somme toute assez standard, mais qui se démarque par son exploration en profondeur de thèmes comme le trauma, la colère, le sentiment d’injustice et le pardon.
Cette quête transparaît surtout à travers le personnage de Lysanne qui est, ma foi, très en colère. Déjà prompte à l’affrontement, elle explose chaque fois que le nom de David (le meurtrier de Vania) est mentionné.
Parfois à un poil de se transformer en le Jean-Luc Mongrain de 1996, ce niveau de colère est-il vraiment chose courante dans un procédé qui valorise l’échange?
« C’est sûr que Lysanne n’est pas dans une position où elle s’imagine pouvoir dialoguer avec David. Je crois qu’elle aurait besoin d’un accompagnement individuel a priori, mais tout dépendant de ses intentions, c’est possible de dire les choses avec fougue pendant les rencontres, surtout si on se sent blessé », explique Marie-Ève.
C’est probablement bon signe pour ce qui suit, mais Mea Culpa ressemble à l’histoire d’une réconciliation impossible entre des gens ayant été séparés par un geste irréparable.
SI on ne pardonne pas, qu’est-ce qui se passe?
Marie-Ève n’est pas d’accord avec moi sur l’impossibilité de la quête de Bérénice et m’aiguille sur une nuance de la justice réparatrice qui n’est pas (ou du moins pas encore) facile à comprendre à travers les personnages de Mea Culpa.
« Dans la série, l’accent est beaucoup mis sur le pardon, mais ce n’est pas l’unique objectif de la justice réparatrice. Une victime peut vouloir simplement dire à son agresseur l’étendue des répercussions qu’elle a vécues. Elle peut aussi avoir des questions auxquelles elle souhaite avoir des réponses. Le pardon n’a pas nécessairement à faire partie du processus si ce n’est pas ce qui est recherché », m’explique Marie-Ève.
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Alors, Lysanne a le droit de ne pas pardonner David, surtout si son intention est plutôt de lui expliquer comment ses actions l’ont fait souffrir. À cet effet, le personnage le plus intéressant de la série est de loin Rémi, qui vit avec les conséquences les plus graves. Si on ignore pour l’instant ce qu’une rencontre avec son agresseur pourrait lui apporter, c’est le personnage qui pourrait le plus bénéficier de réparations, un autre aspect de la justice réparatrice pour le moment trop peu abordé dans la série.
« Dans le premier épisode, Bérénice et son collègue parlent d’un jeune qui devra tondre le gazon d’une propriété vandalisée. C’est un gros aspect de ce qu’on fait. Il n’y a même pas nécessairement besoin d’avoir eu de crime pour avoir recours à la justice réparatrice. Par exemple, on peut faire de la médiation pour une chicane entre voisins. On essaie de faire en sorte que tous ceux et celles qui participent sentent que justice a été rendue », ajoute la DG.
Malgré ces questions qui demeurent pour le moment en suspens, Mea Culpa semble bien alignée pour s’imposer comme digne successeure d’À cœur battant. En explorant une ressource sociale encore largement inexplorée, la série propose une toute nouvelle perspective sur la dynamique victime/agresseur, en plus de bénéficier de l’approbation de professionnels du milieu.
Le beau Christophe L’Allier en serait fier.