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Début des années 2000. Deux hommes se présentent sur scène dans un théâtre rempli à craquer. Chacun porte une cape qu’on dirait fabriquée avec des rideaux des années 70. L’idéateur du projet, Simon Morley, a l’air d’un musicien grunge avec sa tignasse frisée. Son acolyte, David Friend, porte un chapeau à la Gilligan et des verres fumés. Sous leur chape, les Australiens sont nus comme des vers. L’excitation est palpable dans la salle, principalement remplie de femmes. Après quelques minutes de blagues, ils ouvrent leur cape comme des exhibitionnistes qui se montrent la zoune en dessous d’un imperméable. Éclats de rire.
Merci à toi!
Pendant près de deux heures, Morley et Friend plient et déplient leur pénis, l’enveloppent dans leur scrotum, se tirent les couilles. Chaque fois, le résultat agit comme le punchline d’une histoire invraisemblable. La tour Eiffel, le hamburger, le ventilateur, l’IMAX : les tricks des deux marionnettistes, diffusés sur un écran géant derrière eux, déclenchent chaque fois des rires généralisés. À noter: les érections sont incompatibles avec les acrobaties phalliques. Pour exceller dans l’art de l’origami australien, il faut que sa verge reste bien molle.
C’est fascinant de revoir ces images pour plusieurs raisons. La première, évidemment, c’est qu’on se demande si c’est « encore possible » de lancer un tel show aujourd’hui. Pendant masculin beaucoup plus jackass des Monologues du vagin de Eve Ensler, Puppetry of the Penis a connu un succès monstre partout dans le monde. Si le spectacle faisait rire à ses débuts, les images font aujourd’hui réfléchir… en souriant.
À première vue, on pourrait croire que les Australiens célèbrent la masculinité et l’omniprésence phallique. Il y a un peu de ça, mais c’est surtout le ridicule qui est au coeur de ce spectacle qui souffle vingt bougies en 2018. Le ridicule du pénis tout-puissant, mais aussi le ridicule de l’obsession du phallus. En acceptant qu’on rie d’eux et de leur verge, les acolytes proposent quelque chose comme une séance de défoulement.
Élevé dans une famille catholique, Simon Morley roule toujours sa bosse et se produit sur scène, avec ou sans vêtements. Il élève sa famille dans un petit village anglais. On lui a parlé en pleine zizanie autour de l’accord du Brexit.
Raconte-moi les débuts de Puppetry of the Penis.
Avec mon frère, je faisais déjà des figures avec mon pénis dans des soirées et j’ai eu l’idée de produire un calendrier, qu’on a imprimé à 20 000 exemplaires. C’était une très mauvaise idée parce qu’au fond, personne n’a envie de voir mon pénis tous les jours de l’année. Je ne voulais pas faire un show parce que ma mère était très catholique et cela l’aurait dévasté. Mais j’avais 20 000 calendriers à vendre. J’ai donc fait des shows pour vendre des calendriers.
Bien plus de 20 000 personnes ont vu le show! Comment vous êtes-vous retrouvés en tournée mondiale?
On a commencé sur le circuit des festivals, au Melbourne Comedy Festival, mais c’est au festival Fringe d’Édimbourg qu’on a pris notre envol international. C’était en 2000. On a eu de la chance, parce qu’aujourd’hui c’est très difficile… tout a été fait. À l’époque, c’était assez facile de faire ce qu’on fait parce qu’on brisait tous les tabous.
Vous êtes passés par Montréal en 2001, non?
Notre passage à Montréal était formidable. C’était juste après notre série de représentations dans le West End, à Londres. Au lieu de faire seulement 10 ou 15 minutes, on a pu faire tout notre show à Juste pour Rire. On a passé cinq semaines dans la ville! C’était génial, on est tombé en amour. Du smoked meat et des femmes magnifiques : que demander de mieux?
Te souviens-tu de la réaction du public ici?
Personne dans le monde n’est vraiment prêt à ce qu’on se sorte les parties génitales. La réaction est toujours la même, de l’Australie à l’Angleterre… sauf à Montréal! À Montréal, quand nos capes sont tombées et que nos pénis sont apparus sur l’écran géant, le public ne réagissait presque pas, comme si c’était normal. Comme si les gens se disaient « OK, d’accord », ça va en prendre plus que ça. Ce n’était pas choquant pour eux! Mais sinon, le public est encore surpris aujourd’hui, même si on se rend dans des pays où ne sommes jamais allés. On est allé en Suède pour la première fois cette année et la réaction a été géniale.
Faisais-tu déjà de l’humour avant de lancer Puppetry of the Penis?
J’étais un promoteur dans l’industrie de l’humour, en Australie. Je faisais faire de la tournée à des humoristes. J’ai eu l’idée de Puppetry of the Penis et si j’avais trouvé quelqu’un d’autre, je serais resté producteur. Mais j’ai mis les billets des spectacles en vente et je n’ai pas eu le choix! Tous les gars avec qui je travaillais en Australie étaient connus à la télé et à la radio. Ils faisaient des tournées de seulement deux ou trois mois, ce qui fait que j’avais beaucoup de temps libre. Alors, comme je passais le reste de l’année à me tourner les pouces, j’ai décidé de créer un nouveau spectacle.
Tu avais 33 ans quand tu as lancé Puppetry of the Penis et aujourd’hui tu es dans la cinquantaine. La société et le milieu de l’humour ont beaucoup changé.
Je me sens comme un dinosaure. Mes amis humoristes de mon âge trouvent que c’est un monde très difficile à naviguer. À l’époque, on allait dans des universités pour faire des shows [avec Puppetry of the Penis], c’était assez edgy. On était quasiment des anarchistes. Mais aujourd’hui ce serait impossible à faire… on offenserait probablement tout le monde.
Faire un show nu devant des centaines de spectateurs et les faire rire, c’est assez rare comme feeling. Comment on se sent?
Dès que tu te présentes devant six ou sept cents personnes, que tu retires ta cape et que tout le monde rit… ce serait assez dévastateur de ne pas vouloir une réaction comme ça. Les rires te font sentir très puissant, même s’il y n’a plus rien d’autre à montrer au public. C’est tout ce que j’ai. C’est fascinant comme échange.
Évidemment, il faut soulever la question du consentement. Penses-tu que le show serait reçu différemment à la lumière des trop nombreuses affaires de harcèlement et d’agression?
Aujourd’hui, quand je fais des shows au Royaume-Uni, je fais une demi-heure au début pour raconter comment tout a commencé. Je partage aussi des histoires. J’ai réalisé avec le temps que ce qu’on fait est soit de l’humour, soit une presque agression sexuelle. (Note ― La traduction ne rend pas complètement justice à Simon, qui dit avec autodérision: « I came to realize that what we do now is either funny or bordering on sexual assault. »). Il y a des millions de femmes qui ont vu des pénis sans nécessairement le demander et qui peuvent en rire grâce à nous. C’est délicat, mais je crois que la seule façon de rester drôle sur scène est de foncer sans s’arrêter ou vouloir tout expliquer.
C’est une façon de dédramatiser?
Je crois que c’est sain de diffuser des images de parties génitales masculines sur un écran géant et laisse les femmes en rire. Mais si on se met à trop y réfléchir, ça devient plus complexe.
Penses-tu que les femmes devraient pouvoir montrer leurs mamelons dans les médias sociaux, comme les hommes?
Je crois qu’il faut être en mesure de montrer ce qu’on veut. Je suis un grand fan de la campagne « Free the Nipple »… essentiellement parce que j’aime les seins! On m’a contacté pour lancer une campagne du genre « Free the Testicles », mais je ne suis pas certain que je veux voir défiler des couilles [sur Facebook]!
Puppetry of the Penis n’est pas un spectacle militant ou érotique. C’est avant tout un spectacle d’humour.
Pour moi, il y a seulement l’humour qui compte. Et je crois que ce qu’on fait, c’est de l’humour dans sa forme la plus pure. Faire ce qu’on fait sans que ce soit sexuel ou dirty, il faut le faire! Quand une grand-mère vient voir le spectacle, elle est peut-être choquée les dix premières minutes, avec des images de pénis qui font trois étages de haut… Ça risque d’être l’un des moments les plus confrontant de sa vie! Par la suite, elle réalise qu’on est de bons garçons. Mais on marche sur un fil de fer. C’est devenu plus complexe quand on a mis sur pied des spectacles de tournée parce que certains gars traversaient la limite. Il fallait faire très attention. Ça prend un peu de sous-entendus sexuels, en gardant l’humour au coeur de tout ça.
Comment se passent les auditions?
Montréal est un des premiers endroits où nous avons fait des auditions, avant d’en faire à Toronto et New York. On a trouvé un gars à Montréal et on l’a formé. Et avant chaque spectacle, il se masturbait. Je lui ai demandé: « qu’est-ce que tu fais? » Il m’a répondu qu’il ne voulait pas avoir une érection. OK… si tu penses que tu peux avoir une érection quand des centaines de personnes rient de toi, c’est malsain. Il a fallu qu’on le renvoie avec pas mal de tact!
Et quel genre de candidat était retenu?
N’importe quel idiot se présentait en audition. Souvent, c’étaient des gars comme nous, qui voulaient vivre une aventure. Ce sont surtout des plombiers ou des gens sans réelle expérience de scène qui ont fini par faire partie de nos shows. Il fallait que les gars soient sympathiques.
Vingt ans après les débuts de Puppetry of the Penis, quel est le chapitre le plus marquant de cette aventure?
En 2001, on est passé de Toronto à New York. Notre spectacle avait lieu dans un théâtre de la 42e rue et la première était prévue deux jours après le 11 septembre. On devait faire la une du magazine Time Out, qui n’est jamais sorti cette semaine-là. C’était la première et la seule fois de l’histoire du magazine que ça arrivait. On était sur un des premiers avions à atterrir à New York quelques jours après les attentats, on a vu Ground Zero du haut des airs et on ne savait pas trop quoi faire.
On pensait annuler les spectacles, mais on s’est mis à en parler autour de nous et on nous a dit : les gens ont besoin de rire. On a finalement repoussé le show d’une semaine et graduellement, le public est venu nous voir. On a fait des spectacles pour des femmes de pompiers et de policiers. Tout le monde avait besoin de rire, comme on traversait un moment très intense. Et on est resté à New York deux ans avec le show. Moi, je suis resté six ou sept mois, et on a formé de nouveaux gars. Je suis parti pour Los Angeles. Peu après, on avait huit troupes en tournées partout sur la planète.
Tu es devenu père de famille. Tes enfants savent-ils ce que tu fais dans la vie?
Je n’ai jamais vraiment eu à « annoncer » à mes enfants [qui sont à l’école primaire] ce que je faisais dans la vie. Ce n’est pas trop étrange pour eux. Bon, c’est sûr que lorsque leurs amis apprendront ce que je fais, ça risque de changer… mais c’est dans longtemps! J’étais à Berlin plus tôt cette année pour participer à un cirque sexy. C’est quelque chose que je n’avais jamais fait avant, faire partie d’un autre show. Ma femme et mes enfants sont venus me visiter. Pendant la représentation, les enfants étaient en coulisse avec moi, car je voulais que ma femme voie le spectacle. Je suis monté sur scène 10 minutes et vers la fin de mon numéro, je vois mon fils accroupi entre les jambes d’un autre artiste… ses yeux étaient gros comme ça et il riait comme un fou! Quand je suis retourné en coulisse, il m’a dit: « Papa, ton hamburger était ÉPIQUE! ».
Merci Simon.
Merci à toi!