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Soir de semaine bien ordinaire dans Petite-Patrie. Un gloussement aigu vient troubler la tranquillité à saveur de BBQ de cour arrière. Les Real Single-Moms-Vino-Lovers of Montreal sont en bas de chez moi. Je les entends mastiquer des crudités en caquetant sur la perte de leur peau élastique. Je ne perds pas de temps: c’est l’heure d’aller en chic-pyjama-t-shirt-XL-pas-de-pants dans la cour avec mon selfie stick beugler “GIRLLLLLS I GOT THE MAGIC STICK”.
Je suis à ça de me partir une compagnie de style démonstration Tupperware, mais avec des selfie sticks:
BYOSS (bring your own selfie stick) ou bien choisissez parmi notre étonnante collection de modèles, pour le modique taux horaire de 99,99$!
Je fournirais même les perruques de couleurs, pour celles qui veulent se la jouer Miley Cyrus.
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Parce que, voyez vous, en plus d’aimer les selfie sticks, I FUCKING LOVE INSTAGRAM! J’adore le display de ma vie ordinaire en coordonné de couleurs pastels, le tout bien croppé entre deux rectangles blancs. Si j’avais à choisir une seule application pour mon téléphone intelligent, ce ne serait point celle de Desjardins ou de la STM: ce serait Instagram, lieu de tous les crimes narcissiques.
Je comprends bien que les selfie sticks, ce n’est pas pour tout le monde. Il faut une bonne dose de courage pour utiliser un selfie stick en public. Il est légèrement masochiste de se photographier devant une foule, bâton de métal à la main, sourire béat au visage. C’est le fond du baril, l’endroit où l’égo se cache pour mourir. Que voulez-vous: je suis une artiste, exhibitionniste jusqu’au bout, que ce soit par écrit confessionnel ou dans la vie. Si Sylvia Plath avait un selfie stick, elle aurait le meilleur Instagram feed: photos de larmes sur sa joue, portraits devant coucher de soleil emo, voir même clichés du four avec le hashtag #oneday.
Or, je n’aime pas seulement les beaux feed Instagram, ceux qui sont aussi travaillés qu’un Tumblr choisi dans un top 10 de Dazed Digital. J’aime aussi les comptes Instagram qui documentent la vie de tous les jours. Le banal, l’ordinaire. Des photos de plantes mortes, de coins de mur, de napkins sales: amenez-en. C’EST UNE PERFORMANCE ARTISTIQUE, criai-je entre deux selfies mal cadrés. Oui, la documentation du day-to-day me fascine. D’ailleurs, le New York Times, champion détecteur des nouvelles modes (#normcore tatoué sur le coeur forever) a publié un article la semaine dernière sur le phénomène du borecore. Des Vine au Meerkat de jeunes gens bored, la génération Y semble trouver un certain confort dans la documentation de l’ennui. Si Baudelaire avait un iPhone 6, il aurait le compte Vine le plus ennuyant (comprendre: le plus intéressant).
L’être humain a juste vraiment vraiment ultimement peur de crever dans l’oubli… Ce n’est certainement pas moi qui le dit en premier. Or, scroller down un Vine ou un Instagram rempli de platitudes, ça nous fait voir que non, nous ne sommes pas seuls. Ennui happens, et quand ça arrive, aussi bien le diffuser en mégapixels sur toutes les plateformes possibles. Ça fait changement de Facebook, où le modus operandi est généralement de broadcaster ses bons coups avec moult #feelblessed.
En tant que résidente sad girl, je milite pour l’affichage de l’ennui sur les médias sociaux. Je suis enthousiasmée par la diffusion du normal. Des gens, comme vous et moi, s’affichant en train de faire… rien pentoute. Selon l’article du New York Times, le réflexe de documenter ces moments d’ennui ne serait pas plus mal que les activités typiques d’ado en proie à un ennui viscéral: niaiser au centre d’achat, conduire sans but précis, gribouiller dans un cahier. Bien sûr, les plus cyniques diront que c’est seulement une autre manifestation du narcissisme d’une génération qui a grandi avec un ordinateur sous la main. Or, quand on met les choses en perspective, il faut avouer qu’il s’agit plutôt d’un passe-temps inoffensif. Tu n’aimes pas ma photo de coin de mur? Unfollow, et tu te serviras bien de ton application comme bon te semble.
Ce qui m’amène à vous faire part d’une expérience fascinante. Une connaissance à moi, possédant plus de 2000 followers sur Instagram, a décidé de vouloir perdre quelques uns de ces inconnus qui la suivaient. Elle a commencé à publier des photos de n’importe quoi (style stock photo de salade), toujours au nombre de trois, histoire de spammer bien comme il faut. Résultat: ç’a marché. Quelques 600 followers agacés l’ont unfollowée. Comme quoi les gens n’aiment pas l’ennui (et la répétition infinie de photos plates, ce qui est compréhensible). Mais l’expérience demeure intéressante. Si Jenny Holzer avait Instagram, elle en ferait une performance en continu.
Bref, Instagram est un outil, comme n’importe quelle application, et on peut en faire ce que l’ont veut. Preuve à l’appui: des comptes qui ressemblent à des Tumblr, où aucune photo n’est prise par l’utilisateur lui-même. On parle donc ici de détourner complètement le but d’une application, mais qui est là pour vous en empêcher? La police d’Instagram est plus occupée à bloquer des photos de bouts de seins qu’à éliminer des profils qui ne correspondent pas à l’idée originale qu’on se fait de l’application.
Si Instagram est un outil, le selfie stick est son instrument de prédilection. Note: le mien est rose, bien entendu. Get in, losers; on s’en va se photographier sous tous nos angles. Belles ou pas, intéressantes ou pas: on sera sur ton feed.
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