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« Il célèbre son dixième hiver. Ça va être son dernier. Je suis content que tu le prennes en photo », me confie Rosaire, fignolant avec soin ses derniers préparatifs avant la neige annoncée.
Malgré cette touchante complicité, l’abri d’hiver demeure un sujet de controverse propice aux débats houleux. Migrant des sous-sols au mois de novembre, plusieurs citadin.e.s le considèrent comme une excroissance défigurant le paysage, un indésirable utilitaire dénué de tout effort esthétique. Certaines municipalités l’ont même prohibé de leurs rues.
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Il est vrai qu’au premier coup d’œil, l’abri n’offre pas une caresse au regard. Son design, mettant de l’avant une horizontalité simpliste et l’âpreté du plastique, ne transpire pas la noblesse. Il expose sans pudeur une cage squelettique, des fenêtres opaques, un teint souvent blafard. Même si sa chair est résistante, l’absence d’ornements désole.
En proie aux intempéries, on le retrouve souvent troué, déchiré. Il n’est pas rare d’entendre sa robe maladroite déranger le silence de la nuit.
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Mais la critique populaire est-elle trop sévère à son endroit? Malgré sa loyauté, on le boude et le dénigre sans gêne. Ce mépris viendrait-il réellement de son ennui cosmétique, où ne nous renvoie-t-il pas plutôt aux désagréments de l’hiver, symbole de notre isolation saisonnière?
Je suis allé à la rencontre de ces structures et de leurs disciples, sillonnant le territoire montréalais pour mieux saisir leur indéniable popularité. On les déteste parce qu’elles sont partout.
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Lorsqu’on s’y attarde, chaque abri développe étonnamment une personnalité qui lui est propre. Tous pareils et tous différents. Ses traits pendouillants révèlent un territoire de textures bricolées, de reliefs ficelés, enrubannés. On y colle des frites de piscine, des pancartes électorales, des planches de bois répondant au froid du métal. La bâche se fait ici mur de graffiti. C’est tout un univers de recyclage qui gravite au sein du refuge.
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La palette de couleur change subtilement d’un abri à l’autre : blanc neuf, gris sale, bleu propre. Ses contours se renouvellent sans cesse. Des petits, des gros, des rallonges démontables et modulaires selon la créativité du bâtisseur devenu artisan.
Il s’installe sans classisme, autant au cœur des quartiers sensibles que des plus aisés. Il pousse au gré des architectures, certains tronçons sont une terre promise alors que d’autres ne s’y prêtent pas, privés d’entrées, de descentes ou de garages.
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On l’attache, le tend, le solidifie : « Check mon double ancrage de béton. C’est les années qui parlent. L’expérience. Check mon jeu de cordage, il partira jamais », se vante Sylvain, clope au bec dans Saint-Michel.
Dans un ballet silencieux, deux hommes dressent un abri avec une efficacité étourdissante. « On est dans le gros jus. C’est notre sixième aujourd’hui, dans 15 minutes, on est parti. »
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Sur la 36e Avenue, des enfants raclent les dernières feuilles alors que le voisinage s’affaire à élever les structures. Rituel automnal, de préparation à l’hibernation, Claude ne pourrait s’imaginer traverser la saison froide sans un abri pour son automobile : « J’suis rendu trop vieux pour pelleter les tempêtes. Mon dos est déjà assez barré de même », confie-t-il en inspectant sa forteresse de plastique alors que son épouse la décore de lumières de Noël.
Sur une artère de Saint-Léonard où les abris sont légion, Salim termine non sans misère son installation : « C’est mon premier. Je voyais le déneigement comme du sport, mais je commençais à trouver ça trop long. J’espère qu’il va passer l’hiver sans s’envoler », blague-t-il en serrant une dernière attache.
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Directrice artistique tant sur les plateaux de tournage que sur les planches de théâtre, penser et concevoir des espaces est le quotidien de Camille Barrantes. J’ai cru bon de solliciter son regard sur le phénomène.
« Ce que je trouve le plus fascinant est l’ingéniosité des propriétaires, mentionne-t-elle. Chacun semble y ajouter sa signature, lui donner une âme. L’abri devient alors plus qu’une simple cachette pour voiture, mais une douce extension de la maison. Malgré son apparence minimaliste, son installation semble extrêmement compliquée. Un cauchemar de camping qui se répète chaque année. »
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Une piste de réflexion sur l’origine de la méfiance pointerait vers sa précarité : « Son corps, imposant et léger, semble brutalement délicat, remarque la spécialiste. Sa carapace synthétique entre en tension avec la brique, et c’est ici que le bât blesse, il dévoile notre relation complexe avec l’abri secondaire, le rudimentaire. »
« Il y a une hantise de sa laideur, mais en hiver, sa blancheur relative se fond avec le tapis enneigé, poursuit-elle. Et puis les fleurs du jardin ne sont plus apparentes, les arbres sont nus, son austérité ne s’impose pas si mal avec le gris du paysage. L’objet s’intègre dans une palette hivernale. Pourquoi ne pas jouer avec les couleurs vives comme les tentes de plein air? »
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Fort à parier que l’abri d’hiver temporaire sera de toujours une cible facile de railleries par ceux et celles qui ne profitent pas de ses avantages. Mais les imperfections ne font-elles pas la beauté d’une ville? Qu’il ne leur en déplaise, il est devenu un incontournable de notre patrimoine bâti. L’abri incarne, depuis près de 50 ans, la force d’une résilience collective, d’un peuple qui refuse de se laisser abattre par l’hiver. Ces tanières de fortune offrent un baume, un remède. La réconciliation est nécessaire.
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Quatre95 a parlé avec le président d’Abris Tempo : c’est par ici.