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OD Martinique : le royaume de l’authenticité
L’auteur est professeur de sociologie.
Être « authentique ». C’est une loi qui plane comme un devoir absolu dans les maisons d’Occupation double. Cette injonction donne des sueurs froides à Félix, Isaack, Philippe et Walide quand Jay leur demande sur quels critères ils vont se baser pour gérer l’élimination du dimanche. Finalement, le quatuor exécute son plan avec brio. Jonathan quitte la maison avec Clémence… nouvelle membre en règle du CA.
Dans un élan rhétorique, les gars justifient leur décision en invoquant l’« authenticité ». S’ils placent Clémence dans l’enveloppe rouge, au fond, c’est parce que Jonathan a manqué de transparence, en coulant secrètement des infos qui auraient dû rester dans le groupe des gars. Mais Jimy peine à mettre tout le blâme sur l’ami pompier. Il se sent « traître », inauthentique.
Tu ne seras point fake
Pour mesurer l’influence de l’authenticité à OD, essayons de comprendre le sens de cette valeur dans la tête des candidat.e.s. Commençons par Ally. Si d’emblée elle « n’aime pas la face » de Michael, c’est parce qu’à son avis, il projette une fausse image de lui sur les réseaux sociaux. Selon la candidate, pour être « vrai », il faut montrer un seul et même visage de soi dans toutes les circonstances. En public comme en privé.
Pour mesurer l’influence de l’authenticité à OD, essayons de comprendre le sens de cette valeur dans la tête des candidat.e.s.
Michael endosse cette conception de l’authentique. Lorsqu’Ally s’excuse pour ses propos directs, le photographe lui répond : « C’est ta personnalité, pis c’est toi pis reste comme ça tout le temps […], c’est ce qui fait ta beauté. » Au moment de délibérer pour la garder dans le CA, Michael propose cet argument à Freeman et Zacharie : « C’est quelqu’un de franc. C’est quelqu’un d’honnête. » En résumé, l’éthique, c’est la franchise.
Par conséquent, Félix peut se dire qu’il agit vertueusement quand il confirme à Jonathan : « T’es un peu fake. » Il nuance à peine sa pensée quelques jours plus tard, lors d’une tentative de réconciliation : « Je trouve que la personne qui est avec nous, elle est fucking nice, fucking authentique. C’est juste que la personne qui est avec les filles, c’est peut-être une autre personne. » Isaack approuve : « Ici, je ne sais pas s’il se perd dans son propre personnage ou s’il n’est juste pas lui-même… mais c’est flagrant. »
Jouer sur deux tableaux
Plusieurs candidat.e.s d’OD partagent la conviction qu’il existe un Moi stable, coulé dans le béton. Or, le sociologue Erving Goffman voit plutôt la société comme une pièce de théâtre où nous jouons des rôles en fonction des situations et des gens en face de nous. Cette mécanique sociale se remarque dans plusieurs scènes d’OD Martinique. Prenons Philippe, Michaël et Aïssa comme cas d’étude.
Le sociologue Erving Goffman voit plutôt la société comme une pièce de théâtre où nous jouons des rôles en fonction des situations et des gens en face de nous.
Philippe cultive le flou avec Virginie. Mis au fait de l’arrivée de Kiana pour le deuxième tapis rouge, il confie : « Je sais que j’avais de l’intérêt envers Virginie. Je pense qu’il faut être honnête, authentique » et donc mettre les choses au clair avec elle. Lors d’un 5 à 7, il l’informe de son intérêt pour les nouvelles filles, tout en gardant une porte ouverte. Maintenant, il mijote une séparation pas trop pénalisante pour sa game : « I was honest, I didn’t lie », dit-il en anglais pour s’assurer que PERSONNE ne comprenne ses propos.
Avant le party rétro, Michael épouse la vibe d’un Don Juan lorsqu’il confie aux gars qu’il va donner à Clémence « de l’ostie de marde ». « Être fidèle à moi, c’est ben beau dans la vie de tous les jours, mais » à OD, c’est une autre histoire. Oups, finalement, Clémence le friendzone. De retour avec les gars, Michael raconte ce dénouement comme le fruit d’une décision commune. Au confessionnal, il précise : « Je suis content qu’elle ait été vers Jo parce que j’aurais vraiment été dans un personnage, j’aurais dû faker certaines choses. »
Aïssa joue également sur deux tableaux. Après la visite de Jay, qui annonce l’entrée officielle de Mikaël et Tommy (une gracieuseté de Jonathan), Catherine réagit par un : « C’était le best case scénario! » Aïssa lui sourit et répond que « c’est vrai ». Elle prononce même « harmonie » en guise de célébration. Cette attitude contraste avec son discours dans le confessionnal : « Je voulais que Mick rentre, pis que Tommy rentre pas. »
Les périls de l’exposition
À supposer qu’il existe quelque chose comme un Moi véritable (not), Jonathan ne semble pas l’avoir découvert en Martinique : « Je ne suis pas de même dans la vie », dit-il au moment de faire ses valises. Même sentiment d’aliénation chez Jimy, qui se trouve « pogné du cul » devant les caméras. Mégane témoigne aussi d’une impression d’étrangeté. Lorsque Clémence évoque la possibilité de trouver l’amour à OD, la femme d’affaires rit nerveusement : « Tomber en amour dans le show […], je serais pas capable. »
C’est ainsi qu’en revoyant les épisodes dans le chalet des exclu.e.s, des candidat.e.s vont constater qu’ils et elles ne sont pas « exactement la même personne avec tout le monde ».
Les candidat.e.s d’OD Martinique sont dans de beaux draps. Oui, parce que Jonathan saupoudrait ces draps avec un porte-poussière rempli de vieux ongles. Et surtout, parce qu’une équipe de production les filme 24 h/24. Cette surveillance permet d’en faire des personnages qui se contredisent, en fonction de leurs intérêts dans le jeu et des publics auxquels ils s’adressent : les gars ou les filles dans les maisons, les membres du CA, la personne qui pose des questions ciblées dans le confessionnal, etc.
C’est ainsi qu’en revoyant les épisodes dans le chalet des exclu.e.s, des candidat.e.s vont constater qu’ils et elles ne sont pas « exactement la même personne avec tout le monde ». Paradoxalement, cette prise de conscience pourrait déclencher un conflit interne avec leur conception de l’authenticité – cette valeur cardinale qui motive l’exposition de soi.