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Occupation : designer indigné

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Que restera-t-il du mouvement des indignés lorsque les derniers irréductibles auront plié bagages, yourtes et toilettes chimiques?

Réponse: Une collection foisonnante d’œuvres graphiques faisant résonner sur le Web la voix d’#occupy.
Rencontre avec des designers qui ont photoshopé la cause.

« Je vis dans un trou perdu aux États-Unis. Créer, c’était tout ce que je pouvais faire pour signifier mon appui. » Lorsqu’Alexandra Clotfelter, 22 ans, découvre les premiers indignés de Wall Street, elle se rue sur son laptop. Trois clics plus tard, elle publie sur Internet un poster aux accents vintage. On y voit le taureau de la Bourse ligoté par des cordes rouges. Le succès est immédiat : « Je me suis mise à recevoir chaque jour des courriels de partout, de Buenos Aires à Berlin. » Repris par le Huffington Post, son poster est régulièrement désigné comme l’une des plus belles œuvres graphiques d’Occupy Wall Street.

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Alexandra Clotfelter est de ces graphistes qui se sont indignés via leur souris d’ordinateur. En trois mois, des centaines d’images ont surgi sur le net en soutien aux « 99% ». Elles esquissent le visage de la contestation. Et malgré le démantèlement des camps d’occupation, les designers n’en démordent pas. Car chaque jour, des dizaines de nouvelles créations s’ajoutent à la palette graphique d’Occupy. Mais pourquoi tant de graphistes ont-ils prêté leur Mac à la cause?

Coup de main

« Je suis plus utile à OWS en produisant de l’art graphique que sous une tente », justifie Jeanne Verdoux, une artiste française, à New York depuis 10 ans. D’ordinaire, ses œuvres ornent des publications prestigieuses comme The New York Times.

Mais le 15 octobre, ce sont les indignés qui profitent de son coup de crayon. Jeanne Verdoux publie une image où le signe du dollar bascule de son piédestal. Son dessin arrive à la deuxième place d’un concours des créations qui représentent le mieux Occupy. « Mon image est dépouillée, car je voulais que n’importe qui puisse se l’approprier, indique-t-elle. On peut la redessiner soi-même sur une pancarte. »

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Pour le designer californien R.Black, ce sont les émeutes d’Occupy Oakland qui servent d’élément déclencheur. « C’était le chaos, les bombes lacrymogènes explosaient partout, raconte-il. Au milieu de tout ça, il y avait une jeune femme paisible assise dans la position du lotus, devant les policiers. Ça m’a tout de suite inspiré. »

Dave Loewenstein, du Kansas, croit que le graphisme peut être un art engagé. « L’art visuel, c’est comme la poésie ou la chanson : il peut questionner, mobiliser et condamner. C’est mon rôle en tant qu’artiste de mettre mon travail au service des batailles que je soutiens. »

« L’image transcende la barrière linguistique et transmet l’émotion plus rapidement que les mots », résume Alexandra Clotfelter.

De Tienanmen à Twitter

Pour transmettre cette émotion, les designers indignés misent sur des symboles. Le taureau de Wall Street, le poing fermé à la Black Power et le masque moustachu de Guy Fawkes sont les plus populaires. « Ils sont devenus le langage du mouvement », d’après Dave Loewenstein, qui les a lui-même repris dans ses créations.

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Clin d’œil aux affiches de propagande soviétique, le rouge et le noir sont les couleurs de prédilection des créations indignées. R. Black utilise uniquement cette combinaison de couleurs. « Le duo rouge-noir peut exprimer à la fois l’amour, la haine ou la rébellion », explique-t-il.

L’Histoire inspire aussi les graphistes d’Occupy. R.Black, a repris la fameuse photographie de la place Tienanmen à la sauce Occupy. « L’homme devant le tank représente le pacifisme et le courage. Pour moi, il symbolise les 99%. » Mais dans l’image de R.Black, une foule se joint au protestataire. L’artiste explique : « Nous sommes cet homme et il est nous. Nous ne formons qu’un. Ensemble, nous pouvons. »

Si l’imaginaire des graphistes indignés pique dans le passé, il arbore aussi des emblèmes très 2.0. Pour preuve, les hashtags de Twitter côtoient les pouces enthousiastes ou désapprobateurs de Facebook.

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Contestation virtuelle

Car les réseaux sociaux sont le rouage essentiel d’#occupy. Non seulement ils ont étendu la contestation à travers le monde, mais c’est aussi grâce à eux que les designs indignés circulent.

Max Slavkin est un pro des réseaux sociaux. Quinze heures par jour, ce graphiste de San Francisco communique sur Facebook et Twitter au nom d’Occupy Design, une plateforme regroupant les créations indignées. Et il adore ça.

« Mais attention, ici, on n’est pas dans une logique verticale communiquant – receveur du message, indique-t-il. Les internautes suggèrent des idées d’œuvres graphiques sur nos pages. Et les designers les font naître graphiquement. »

Gratuité, libre-circulation, partage à l’infini, le design indigné repose sur une nouvelle conception de l’échange. D’ailleurs, toutes les œuvres indignées sont placées sous licence Creative Commons, une alternative aux contraintes du Copyright. « Nos posters sont nés pour être partagés librement! », clame Dave Loewenstein.

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Indignés préoccupés ?

La cause indignée attire aussi les graphistes en quête de reconnaissance. « Ils suivent la vague », lance Alexandra Clotfelter. « Pour un freelance, c’est une bataille quotidienne de trouver du boulot », rappelle Max Slavkin, lui-même à son compte. « C’est clair qu’Occupy Design ne peut pas les rémunérer. Mais on peut les soutenir en faisant connaître leurs œuvres ». À la clé, l’espoir de se faire remarquer par une boîte de design.

De tous les designers contactés par Urbania, aucun ne craint de se faire un jour taper sur les pinceaux pour s’être affilié à OWS. « Si mon portfolio dérange quelqu’un, je ne travaillerai pas avec », tranche Alexandra Clotfelter.

Finalement, dans l’univers du design indigné, les plus inquiets sont peut-être ceux qui relaient les créations. Pour eux, l’activisme se compte en journées passées devant l’écran à collecter des designs. C’est le cas de Jesse Goldstein, qui travaille à temps plein pour Occuprint, un site qui permet d’imprimer plus de 200 posters d’indignés. « Le sort d’Occuprint dépend de l’agrandissement de l’équipe. Pour le moment on est quatre, c’est trop peu », regrette-t-il.

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Plus d’indignés nécessaires sur le Web, donc. Mais pas seulement. « La contestation ne peut pas être uniquement virtuelle, elle doit être nourrie par l’occupation réelle », martèle Jesse Goldstein.

En occupant des lieux symboliques à travers le monde, les indignés ont frappé un mur. Ils en auront pourtant bâti un autre sur Internet : celui d’un art contestataire aux couleurs 2.0.

Le design indigné en images