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Nouveau salon mortuaire

On va tous mourir un jour. Mais maintenant, c'est sur Facebook que ça se passe.

Par
Catherine Paiement-Paradis
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Août 1997. J’ai appris la mort de Marie-Soleil Tougas à travers la radio du chalet, celle qui joue continuellement pour faire peur aux voleurs. Je montais les escaliers quand Radio-Canada a annoncé que son avion s’était écrasé. J’ai figé, j’ai nié et j’ai supplié ma mère de m’acheter l’édition spéciale du 7 jours une semaine plus tard. J’ai ensuite perdu un après-midi complet à regarder ses funérailles en direct à la télé, en écoutant Bruno Pelletier chanter La Quête de Jacques Brel. Je me souviens également d’avoir écrit dans mon journal intime que j’étais triste. Si Facebook avait existé, Catherine, 13 ans, aurait probablement écrit?: «Reposes-en paie, Marie-Soleil. Love forevar», sur sa page In Memoriam. Une chance que Facebook n’existait pas.

Maintenant, les défunts célèbres ne se contentent plus de faire la une du Dernière heure pendant un mois. À peine leur mort est-elle annoncée sur RDI, LCN ou plus récemment, sur Twitter, qu’une personne dans son salon se sent investie de la mission de lui créer un groupe hommage sur Facebook. Nelly Arcan, Pierre Falardeau, Gilles Carles, Lhasa de Sela, Alexander McQueen, la mère de la patineuse Joannie Rochette?: tous ces gens disparus dans la dernière année ont eu droit à un groupe R.I.P. quelques heures, voire quelques minutes après l’annonce de leur décès.

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Selon Victoria Freeman, qui s’occupe des relations publiques de Facebook au Canada, son employeur ne détient aucune statistique concernant le nombre de groupes hommages aux défunts sur son site. Mais leur popularité est indéniable. Au moment d’écrire ces lignes, ils étaient 77 091 de Soutien à Joannie Rochette – Décès de sa mère, 5 015 de Pierre Falardeau – Salut Pierre?! et 905 membres du groupe Nelly Arcan R.I.P. Pourquoi ce besoin de cliquer sur Joindre ce groupe instantanément, sans se poser de questions??

«?On a besoin de héros mythiques, qui le deviennent encore plus après leur mort. C’est universel, explique l’anthropologue et fondatrice du Centre d’études sur la mort de l’UQAM, Luce Des Aulniers. Mais il y a un dopage qui est fait par la mise en boucle médiatique, qui fait que tu te sens obligé d’y être. Tu ne peux pas ne pas y être. Et ça, c’est plus que de la vibration à l’unisson. Ça ressemble à une idéologie totalitaire?», dit-elle.

En effet, quelques utilisateurs de Facebook rencontrés pour cet article ont avoué qu’ils s’étaient sentis obligés de joindre un groupe RIP, que ce soit celui d’une personnalité connue ou un ami décédé, alors qu’ils auraient préféré s’abstenir. Quand on les écoute parler, on a l’impression que ce site, c’est comme une cour d’école. On veut faire partie de la gang et parfois, on succombe au peer pressure. «?J’ai accepté, parce que je ne me sentais pas à l’aise de rejeter celui qui avait créé le groupe. C’était sous prétexte de faire du bien à quelqu’un, pour l’aider dans son deuil. Mais je trouvais sa démarche égocentrique?», explique Christine (nom fictif), dont l’ami est décédé dans la dernière année. Honnête, elle cite d’autres de ses connaissances qui ont également joint le groupe «?de force?», de peur de désavouer le modérateur. «?C’est comme si on devait accepter de vivre le deuil avec tous et chacun, à leur manière. Mais moi, ça ne me tente pas.?» Elle continue toutefois d’être membre du groupe, pour ne pas créer de vagues.

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Dans un web 2.0 où tout le monde donne son opinion même si on ne veut pas la connaître, on retrouve des centaines de témoignages de sympathie de Manon, de François et de Carlos qui pleurent un mort qu’ils n’ont pas connu. Le phénomène n’est pas nouveau. «?Lorsqu’une personnalité connue meurt, nos propres chagrins refoulés ressortent?», explique Luce Des Aulniers. Maintenant, on ne se contente toutefois plus de nous montrer le tapis de fleurs et de toutous pour Lady Di devant Kensington Palace au Téléjournal; on lit des centaines de condoléances publiques sur Facebook entre deux bouchées de toasts le matin. Partout dans le monde, des milliers de petites photos carrées déposent leurs bouquets sous forme de commentaires sur un mur virtuel.

«?Ces groupes permettent de donner un sens à des décès tragiques, comme dans le cas de Nelly Arcan?», affirme la psychologue Marie-Anne Sergerie, qui s’intéresse à la cyberdépendance. Une opinion également partagée par Christian Tétreault, qui a perdu sa fille âgée de deux ans en 1985, et dont il relate l’histoire dans son livre Je m’appelle Marie. «?N’importe quelle manifestation, qu’elle soit sur Facebook, dans un groupe de discussion ou dans une fête organisée, maintient les morts en vie et entretient leur influence, explique-t-il.

D’accord.

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Mais des fois, ça devient gênant de lire tous ces «?Tu m’e manque chouchoune, xoxoxo?» et «?Un ange est passer trop vite.?» Et ça, c’est quand la chicane ne pogne pas entre deux utilisateurs ou que tu ne tombes pas sur un montage Photoshop de Lhasa de Sela avec des ailes d’ange bleues sur un fond de ciel enflammé. Une personne est morte… Pourrions-nous seulement faire silence pour une fois??

Début janvier, on a fait grand cas de la manière dont la nouvelle de la mort de Lhasa de Sela s’est répandue sur un blogue personnel d’abord, puis sur Twitter et Facebook, avant même que la nouvelle ne soit confirmée par la famille. «?Ce sont des préoccupations bassement Écho Vedettiennes, affirme Christian Tétrault, qui partageait le même gérant que la chanteuse. Ben oui, c’est sorti sur Facebook?! On s’en câlisse de ça?! Trois jours après, ceux qui couraillaient sur Internet étaient passés à autre chose. Mais pas sa mère et son chum.?»
L’entourage de Pierre Falardeau, décédé à la fin du mois de septembre dernier, a connu une histoire similaire. Avant même que la famille ne l’annonce officiellement, la rumeur de la mort du cinéaste circulait sur Internet. «?Sur le coup, ça m’a fait quelque chose, mais j’imagine que ce genre de situation est inévitable quand tu es célèbre, confie la conjointe du polémiste, Manon Leriche. Mais après ça, j’étais tellement sous le choc que je n’avais plus le temps d’y penser.?» Peu familière avec Facebook, elle se dit toutefois touchée par ces groupes qui rendent hommage à son amoureux, ses enfants lui ayant appris qu’un de ceux-ci militait même pour qu’une rue porte son nom. «?Ça prouve que Pierre touchait les jeunes. Il aurait été content?», dit-elle.

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