Logo

Nouveau chapitre, même Loud

On parle de changement, de succès et d’héritage culturel à l'aube du lancement de son nouvel album « 12/12».

Publicité

Fallait être là pour comprendre.

C’était avant la pandémie, tout le monde (ou presque) écoutait Loud Lary Ajust et Dead Obies. Le hip-hop célébrait l’identité montréalaise d’une nouvelle façon qui rendait la ville un peu plus magique. Une année record de Loud est arrivé un 3 novembre au matin dans un Québec prêt à recevoir un rap à son image, en pleine quête d’émancipation. Ce matin-là, le temps s’est arrêté. Intuitivement, on savait tous qu’il se passait quelque chose de spécial.

Photo : Jean Bourbeau
Photo : Jean Bourbeau
Publicité

L’album-phare du mouvement venait de nous être livré comme le corps du Christ. Le bar sur Hell What a View: tu peux pas changer les hoes en Kent Nagano vit encore dans ma tête sans payer de loyer aujourd’hui.

« C’est vrai que ça fait déjà huit ans, mais dans ma tête, ça fait pas si longtemps », confie Simon Cliche-Trudeau, alias Loud, assis à la console de Planet Studio, une institution montréalaise tapie dans un immeuble anonyme de la rue Papineau. « Tout a déboulé tellement vite. Pendant longtemps après ça, on était toujours dans le prochain projet, la prochaine tournée. Tous les souvenirs sont encore super frais dans ma mémoire. »

Discrètement à cran avant la célébrité, Loud est demeuré un personnage somme toute énigmatique dans la culture québécoise au fil des années. Bien qu’il ne se soit jamais caché, le rappeur n’est que très peu bavard sur sa vie en marge des feux de la rampe. 12/12 sera son troisième album depuis Une année record, mais le premier conçu en aval de la consécration culturelle ayant suivi son premier album solo.

Publicité

« Je suis beaucoup plus conscient de mes contradictions. De ce désir de célébrité, mais de mon besoin de m’en sauver aussi. Aujourd’hui, j’ai beaucoup plus de recul sur ma carrière et mon parcours et j’ai l’impression que ça s’entend sur mon nouvel album », affirme-t-il.

Photo : Jean Bourbeau
Photo : Jean Bourbeau

La gratitude comme mot d’ordre

Vêtu d’un coton ouaté aux couleurs des Blue Jays et d’une casquette, Loud a effectivement l’air aussi relax qu’un gars qui nous reçoit dans sa cuisine autour d’un café. Il a l’air bien.

Publicité

« Après Une année record, il y a eu un souci de répondre à la demande qu’on avait nous-mêmes créée. Un conflit entre l’obligation et l’inspiration qui m’a suivi pendant un petit bout. »

« Cet album-ci, je le fais par choix. J’avais des idées et on a eu du fun à le créer ensemble. »

Ce plaisir est évident à l’écoute de 12/12. Le rappeur affirme avoir bouclé une boucle en 2022 avec son troisième album Aucune promesse, où il retournait à des racines hip-hop plus pures et qui se voulait une fracture avec son image plus grand public. 12/12 est foncièrement personnel, ce qui le libère de contraintes réelles et perçues. On y entend un gars qui est retombé en amour avec son métier.

Photo : Jean Bourbeau
Photo : Jean Bourbeau
Publicité

Loud est reconnaissant de toujours éprouver la même passion pour le hip-hop et de pouvoir faire la musique qu’il souhaite, soit dénuée d’impératifs commerciaux qui risqueraient de dénaturer son rapport à la création. 12/12 est un album très rap, mais on y retrouve aussi l’influence indirecte d’auteurs-compositeurs-interprètes comme James Taylor et Carole King. La chanson Entre nous, en duo avec Salomé Leclerc, en est un bel exemple. « J’aime beaucoup la musique de type voix et guitare acoustique. C’est très épuré et ça laisse beaucoup de place au storytelling », explique le natif d’Ahuntsic-Cartierville.

Cette liberté créative, il la doit en partie aux chansons qui ont fait de lui un véritable phénomène culturel.

À ce sujet, le rappeur estime qu’entendre Toutes les femmes savent danser chez Maxi ou Jean-Coutu est un avantage plutôt qu’un boulet à porter.

Publicité

« J’ai pas l’impression de me battre avec mes vieilles chansons. Je suis rendu ailleurs. C’est incroyable d’avoir une chanson qui peut tourner comme ça pendant dix ans. »

Un changement de perspective est l’autre moteur de ce renouveau créatif pour Loud qui remet la joie de la création au centre de sa vie. « Aujourd’hui je suis moins dans le “faisons le travail d’abord et amusons-nous après”. Le but, c’est d’être bien et de trouver de la satisfaction tout au long du processus. J’ai gagné en maturité et je travaille différemment aujourd’hui. J’ai plus d’outils, plus de perspective. Je me comprends mieux. Ça me permet de mieux le vivre. De moins me battre avec. »

Photo : Jean Bourbeau
Photo : Jean Bourbeau
Publicité

Vieillir avec son art

Même si Loud a l’impression d’avoir enregistré Une année record hier, la culture québécoise n’est plus là où elle était lorsqu’il a été catapulté au sommet. Bien que les Gen Z du bureau aient officiellement déclaré le rap québ comme étant cringe, il ne voit pas un réalignement de la monarchie culturelle d’un mauvais oeil :

« Mes chansons sont très clean pour certaines personnes. Je suis pas street et je suis pas dans le rap alternatif, non plus. J’ai quelque chose de plus grand public et ça plait pas à tout le monde et c’est correct », raconte-t-il en esquissant un sourire à l’usage du mot cringe. « C’est certain que si tu me vois juste dans un festival où je chante les deux, trois tounes que tout le monde connaît, tu vas peut-être trouver que j’ai l’air has been. Mon public vieillit et change avec moi par exemple. Les gens qui ont ce que je fais à cœur comprennent les nuances. »

Photo : Jean Bourbeau
Photo : Jean Bourbeau
Publicité

Parce que l’animal social hyperconfiant auquel on associe son personnage de scène des belles années de LLA est lui aussi en train de changer. Faire du rap à 37 ans en étant financièrement stable, c’est pas la même chose que de le faire à 20 ans avec rien à perdre et tout à gagner. « C’est certain que c’est pas pareil, mais je suis pas overwhelmed par ma vie d’adulte. J’ai pas d’enfants. Dans le temps, on cherchait à gagner des sous, à faire des albums et de la tournée en même temps. Aujourd’hui, j’arrive à avoir une meilleure discipline. »

Loud ne s’efforce pas de garder en vie l’image qui l’a rendu célèbre. Selon lui, c’est ça qui le rendrait cringe. « On manifestait beaucoup le succès qu’on voulait avoir dans la musique. Ça fait un peu partie de la game du rap. Même dans le titre Une année record ; elle a eu lieu, cette année-là, parce qu’on y croyait avant que ça arrive. Maintenant que j’ai les problèmes que j’ai toujours voulu avoir, comme je le dis dans 12/12, mes textes ont pris une tournure plus personnelle », souligne le rappeur.

Publicité

Bien qu’il ne mette pas de date de péremption sur sa carrière, la question de ce qui viendra ensuite pèse sur lui : « J’aimerais ça, éventuellement, écrire pour d’autres. Explorer d’autres styles musicaux, d’autres formes de chansons. Je suis encore à fond dans mes affaires, mais je m’imagine de plus en plus faire ça. Là, c’est moi qui porte l’image et le propos de ce qu’on fait. J’ai l’impression que j’aurais quelque chose à apporter à l’équipe de quelqu’un d’autre. »

Un album populaire et important comme Une année record, ça n’arrive presque jamais deux fois dans une carrière. Ce type de succès stratosphérique permet cependant à Loud de créer la musique qu’il souhaite et d’être authentique au possible. Cette liberté, elle vaut son pesant d’or et c’est cette richesse qu’on entend sur 12/12.

Publicité
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment.
Soyez le premier à commenter!

À consulter aussi