Logo

Nous sommes tous des métis

Par
Vanessa Quintal
Publicité
Sarah Trin Quan, Esteban Bergeron, Chloé Svoboda, Aritz Desjarlais,… Voilà les noms des enfants qui, désormais, babillent dans nos garderies. Tout cela parce qu’aujourd’hui, certaines histoires d’amour se fichent pas mal des différences culturelles et des préjugés.
Mais, en y réfléchissant, chaque être humain n’est-il pas, par nature, le fruit d’un métissage ?
À deux ans, Lea Henriquez, fille d’une Chilienne et d’un Québécois, disait «pello» parce que c’était beaucoup plus facile à prononcer que « cheveux». « Nous lui avons donné mon nom de famille chilien comme ça, même si elle est une vraie petite Québécoise, elle saura toujours qu’elle a un petit quelque chose en plus ! », affirme Andrea, sa maman. De son côté, Yvette Gatthas est le fruit d’un amour courageux entre une Israélienne et un Palestinien. Elle a adopté les traditions culinaires arabes comme le hummus et la tabouli, le caractère ambitieux et fonceur des Israéliens et le grand sens de la famille de ses deux cultures d’origine. Le père d’Yvette disait à ses enfants que la meilleure arme : « c’est la langue». Sa fille en a pris bonne note et n’en parle pas moins de cinq : l’hébreu, l’arabe, l’anglais, le français, l’espagnol et même un peu le yiddish ! Quant à Erika Kierulf, elle est la fille d’un Philippin aux origines espagnoles et danoises et d’une mère birmane aux origines allemandes et anglaises ! Si Erika est née au Québec, sa soeur est née en Inde et son frère en Angleterre. « Je crois que mes racines éparpillées m’apportent une ouverture d’esprit et plusieurs clés pour comprendre le monde, son histoire, ses cultures », raconte Erika. Sa famille a une tradition bien spéciale : tous les quatre ans, les Kierulf du monde entier se rencontrent à un endroit différent. L’année dernière, par exemple, ils étaient sous le soleil des Philippines et l’année d’avant, dans la froideur de l’Islande. Cette grande réunion de famille élargie rassemble ainsi des Danois, des Américains, des Norvégiens, des Philippins… «Avec ces gens de toutes les couleurs, mais qui partagent tous les mêmes ancêtres », poursuit Erika, « on réalise à quel point l’histoire de l’humanité est celle d’un grand mélange. »
Joseph Hillel
Ses deux parents sont métis :
1/2 français et 1/2 haïtien
«Arabe, Cubain, Espagnol… les gens ne devinent jamais
d’où je viens. Je dis que je suis un special blend ! »
Avant et après 1977
Publicité
Mondialisation oblige, les frontières sont désormais plus faciles à franchir et des rencontres entre des personnes vivant à des pôles complètement opposés sont possibles. Il y a aussi, bien sûr, le faible taux de natalité des pays occidentaux qui nous pousse à accueillir de plus en plus d’immigrants. Dans le Québec francophone, ce n’est vraiment qu’à partir de 1977 que les rencontres entre différentes cultures ont débuté. « Avant la loi 101 , explique Deirdre Meintel, professeur et chercheur au département d’anthropologie de l’Université de Montréal, les enfants d’immigrants allaient très majoritairement dans les écoles anglophones. Parce que, entre autres, le clergé catholique et conservateur du début du siècle ne voulait pas que les immigrants, souvent des Juifs, se mélangent avec les bons catholiques québécois. Mais la loi 101 initia non seulement la francisation des immigrants, mais aussi la diversification de la population francophone. Actuellement les francophones forment un groupe extrêmement hétérogène et cela change beaucoup le visage de la société, en contribuant à une mixité sociale et culturelle de plus en plus évidente. »
Le bon mot ?
Publicité
Le terme «métis» fut créé au Moyen Âge, en Europe, pour désigner un animal ou un végétal issu de deux espèces différentes. D’ailleurs le mot «mulâtre», qui viendra plus tard, est issu du mot «mulet», le résultat de l’accouplement de deux espèces distinctes, le cheval et l’âne. L’origine de ce mot met déjà l’accent sur la connotation pour le moins péjorative d’une union métissée. Si, en Occident, le métissage s’est fortement accentué dans les années 80, il a pris une forme plus systématique et concrète aux temps des grandes conquêtes, des colonisations et de l’esclavage. À cette époque où l’on se voulait de «race pure», des unions interethniques (souvent des viols) donnèrent naissance à des enfants qui ont ensuite été les victimes de lourds préjugés. L’histoire des métis est donc indissociable des pages plutôt noires et violentes de l’histoire de l’humanité…
Le mot métissage suppose en fait le mélange de deux éléments considérés comme « purs », ce qui scientifiquement est un non-sens. Pourtant, cette idée a servi à soutenir des thèses racistes qu’on sait maintenant fausses. « J’évite d’utiliser le mot métissage », affirme madame Meintel. « Je n’aime pas ce mot parce qu’il a toute une histoire raciale et biologique derrière lui. Je préfère parler de mixité. Les anthropologues aujourd’hui vont utiliser des mots comme créolisation. Ils ont inventé tout un vocabulaire pour parler des mélanges culturels qu’on observe depuis la mondialisation. »
Dave de Souza
1/4 portugais 1/4 chinois,
1/4 russe, 1/4 polonais
« En plus de mes origines multiples, je suis né
à Hong Kong, alors quand les gens me demande
ce que je suis, je leur réponds : un freak. »
Il n’y a qu’une seule race !
Publicité
Au cours des années 60, des biologistes et des généticiens ont démontré l’inexistence scientifique de races au sein de l’espèce humaine. Cependant, même aujourd’hui, il est laborieux de faire accepter aux hommes si longtemps dupés à ce sujet que des différences superficielles comme la couleur de la peau ou la texture des cheveux ne correspondent en rien à des différences internes. «À ce titre, nous pourrions décider de créer la race des yeux bleus ou celle des cheveux roux ! » lance Jean- Michel Vidal, professeur d’anthropologie médicale à l’Université de Montréal.
«Un frère et une soeur ont bien des chances d’avoir plus de différences génétiques qu’avec un Noir ou un Asiatique à l’autre bout de la planète », poursuit-il. Il semble même que les variations génétiques entre individus d’une même population soient plus importantes qu’entre individus de populations différentes.
Mythes et réalités
Se mélanger entre peuples n’augmente-t-il pas la résistance des gènes et ainsi de l’espèce humaine en évitant les maladies héréditaires ? Rien de plus faux ! affirme monsieur Vidal qui nous met du même coup en garde contre ce genre de théorie. «Nous vivons dans une véritable loterie génétique. La rationalité génétique me fait très peur. Cependant, je comprends la bonne intention qui pointe derrière : si l’on se métisse, moralement c’est bien et ça combat les théories raciales… Mais ce faisant, cela reprend les mêmes alibis qui ont mené à l’eugénisme. Voilà l’énorme paradoxe ! Nous tournons en rond, il faut sortir de ces logiques-là pour faire avancer les choses. »
Kathy Maurey
1/2 chinoise et 1/2 française
Publicité
«À Montréal, pour la première fois, je découvre un endroit qui me ressemble.
Ici, il n’y a pas la lourdeur d’une culture unique et imposée. »
Homo metis
L’histoire humaine est aussi celle d’un métissage perpétuel. « Nous sommes tous des métis », affirme Jean-Michel Vidal. Des anthropologues de l’Université de la Pennsylvanie ont d’ailleurs découvert que cinquante millions d’Américains possèdent des ancêtres de race noire. Il est dommage que Martin Luther King ne soit plus là pour entendre ça ! Homo metis, voilà ce qu’est notre seule et unique race. Est-ce que cela pourrait être porteur de réflexion pour l’humanité ? « Voilà qui est fascinant, s’exclame Jean-Michel Vidal, nous savons tous que nous descendons de Lucy… Une Africaine en plus ! Cependant, cela n’a pas vraiment fait avancer les choses… » À moins que dans l’avenir ce ne soient les Sarah Trin Quan, Esteban Bergeron, Chloé Svoboda, Aritz Desjarlais et Lea Henriquez qui ne changent profondément les mentalités…
Publicité